Les fenêtres 8 et 9 de nos vitraux ne font pas partie des trois séries inspirées du Speculum Humanae Salvationis mais tout porte à penser que les séries représentant les charités chrétiennes et les vertus supplantant les vices ont été installées en même temps que les trois verrières représentant des personnages en pied, et qui se trouvaient primitivement, soit dans une des fenêtres latérales du chœur, soit peut-être dans une des fenêtres de la nef.
Il n'y a pas de correspondance théorique entre les deux séries (vices/vertus et charités) si ce n'est un parallèle entre qualités « chrétiennes » (les charités) et « laïques » (les vertus), les unes et les autres étant nécessaires à la concorde de la Cité et correspondant à l'idéal moral de l'époque. Les représenter dans l'église paroissiale principale de la ville a également une fonction pédagogique : « voilà comment il faut vivre, tant en collectivité qu'individuellement ». Cette dimension toujours individuelle et en même temps collective est fondamentale. Au XIVe siècle l'individu fait forcément partie d'une communauté qui lui donne refuge et protection et envers laquelle il est engagé par un réseau de libertés et de devoirs. L'architecture religieuse et sa décoration participent de l'encadrement social. En effet, les verrières sont pour l'essentiel de la population les seules images représentatives d'une autre réalité que la vie quotidienne. Représenter picturalement des valeurs communes et facilement compréhensibles, chacun comprenant ce que veut dire « nourrir l'affamé » par exemple, chacun pouvant faire la différence entre sobriété et gourmandise, permet à tous de se les approprier indépendamment de leur statut social, politique ou économique. Femmes, enfants, vieillards, riches, pauvres, citoyens, étrangers, magistrats, commerçants ou paysans, les vertus et les charités s'adressent à tous.
Les charités sont au nombre de six et correspondent à la parabole du Jugement que l'on trouve dans l'évangile de Matthieu au chapitre 25. Le Christ s'adresse à ses disciples sur le mode « j'étais affligé, vous m'avez secouru, entrez dans la joie de votre maître, recevez votre récompense » puis aux autres « j'étais affligé, vous ne m'avez pas secouru, retirez-vous, recevez votre punition » suivant une répartition entre les « brebis » à sa droite et les « boucs » à sa gauche. Conformément à la théologie médiévale, le Royaume de Dieu est compris dans une perspective mythologique comme une continuation de la vie présente mais avec une destination différente selon les actes réalisés dans la vie terrestre. Depuis l'Antiquité et les religions égyptiennes, il est en effet commun de concevoir l'immortalité comme étant une sorte de « survie » où chacun reçoit sa punition ou sa récompense.
Dans ce contexte, l'originalité de nos vitraux consiste dans le caractère profondément charitable du critère du Jugement. En effet, traditionnellement en théologique catholique romaine d'inspiration thomiste, la rétribution pouvait aussi consister en l'accumulation d’œuvres pieuses ou de dévotion. Sans aller jusqu'aux excès du début du XVIe siècle avec le commerce des indulgences qui allait précipiter la Réforme, la comptabilité des œuvres était un danger permanent pour la bonne conscience. À cette conception, les vitraux du temple répondent « qu'il ne peut y avoir de balance où nos œuvres s'inscriraient dans un compte où Dieu, établissant la balance du crédit et du débit calculerait pour chaque minute le solde en notre faveur » selon la très belle formule de Vladimir Jankélévitch. Au contraire, ce ne sont pas les neuvaines ou les pèlerinages, les sacrifices ni les donations, les dévotions ou les confessions qui sont l'absolu du salut mais les actions concrètes en faveur du prochain bien réel, réellement assoiffé, réellement affamé, réellement malade. Donner en exemple ces gestes entièrement en faveur du prochain, ici et maintenant, plutôt qu'en faveur d'une abstraction, fut-elle l'Église, caractérise l'intention des autorités municipales du XIVe siècle plus préoccupées par une charité en acte que par des manifestations de dévotion désincarnées et visant à « faire son salut ».
Donner en exemple au fidèle des actes qu'il peut réaliser dans sa vie quotidienne, plutôt que les actes extraordinaires de saints personnages, est un programme politique et théologique d'éducation populaire d'une extraordinaire modernité en cet « automne du Moyen-Âge » à la fois pour les individus, les familles, les corporations et la Cité elle-même, tous ceux qui sont réunis sous les murs de l'église. Choisir ce texte de Matthieu 25 est aussi programmatique par l'accent qu'il met sur « les plus petits ».
Lorsque
le Christ, dans ses dernières paroles à ses disciples leur déclare
« toutes les fois que vous avez/n'avez pas fait ces choses à
l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les
avez/ne les avez pas faites », il fait ainsi du pauvre, du
faible, de la veuve et de l'orphelin, et plus largement de l'autre
que moi, de celui que je peux soutenir, le critère absolu de
l'action bonne. Plutôt que les grandes œuvres au bénéfice du ciel
mieux valent les œuvres les plus humbles au profit de la terre,
voilà la règle d'or posée sur les murs de l'église Saint-Étienne
au XIVe
siècle !
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8-1 : INFIRMUS ERAM ET VISITASTIS ME Mt 25 , 36 j’étais malade, et vous m’avez visité, ἠσθένησα καὶ ἐπεσκέψασθέ με Vulgate : infirmus et visitastis me |
8-2 : PEREGRINUS FUI ET HOSPITIUM MIHI DEDISTI. Mt 25, 35 : j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ξένος ἤμην καὶ συνηγάγετέ με) Vulgate : hospes eram et collexistis me Peregrinus ne désigne pas les pèlerins seulement mais bien les étrangers extérieurs à la cité. |
8-3 : MORTUUS ERAM ET SEPELIVISTI ME j'étais mort et vous m'avez enseveli N.B. Cette charité n'est pas dans le texte évangélique, elle remplace « j'étais affamé et vous m'avez donné à manger », les commanditaires des vitraux considérant sans doute qu'il y a doublon avec « j'ai eu soif... ». |
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9-1 : SITIVI ET DEDISTI MIHI POTUM Mt 25, 35 j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire - ἐδίψησα καὶ ἐποτίσατέ με Vulgate : sitivi et dedistis mihi bibere |
9-2 : IN CARCERE FUI ET VENISTI AD ME Mt, 25, 36, j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi, ἐν φυλακῇ ἤμην καὶ ἤλθατε πρός με Vulgate : in carcere eram et venistis ad me |
9-3 : NUDUS ERAM ET VESTISTI ME (forme ancienne de vestimenta ?) : Mt 25, 36, j’étais nu, et vous m’avez vêtu, Vulgate : nudus et operuistis me, γυμνὸς καὶ περιεβάλετέ με |
8-1 : infirmus eram et visitastis me Mt 25, 36 j’étais malade, et vous m’avez visité, ἠσθένησα καὶ ἐπεσκέψασθέ με
8-2 : Pegrinus (forme abrégée de Peregrinus) et … . Mt 25, 35 : j’étais étranger, et vous m’avez recueilli (hospes eram et collexistis me ; ξένος ἤμην καὶ συνηγάγετέ με). Peregrinus ne désigne pas les pèlerins seulement mais bien les étrangers extérieurs à la cité.
8-3 : Mortuus eram et sepelivisti me j'étais mort et vous m'avez enseveli
9-1 : sitivi et dedistis mihi potum Mt 25, 35 j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire - sitivi et dedistis mihi bibere - ἐδίψησα καὶ ἐποτίσατέ με
9-2 : in carcere eram et venistis ad me Mt, 25, 36, j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi, in carcere eram et venistis ad me, ἐν φυλακῇ ἤμην καὶ ἤλθατε πρός με
9-3 :
nudus eram et vetisti me (forme ancienne de vestimenta ?) :
Mt 25, 36, j’étais nu, et vous m’avez vêtu, nudus et operuistis
me, γυμνὸς καὶ περιεβάλετέ με
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8-4 : Caritas Invidia – Charité Envie |
8-5 : Patientia Ira – Endurance Colère |
8-6 : Sobrietas Gula – Sobriété Gloutonnerie |
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9-4 : Fortitudo Accidia (Acedia) – Force Paresse |
9-5 : Castitas Luxuria – chasteté luxure |
9-6 : Largitas (sic) Avaricia – Générosité avarice |
Parmi les six charités « j'ai eu faim » est remplacé « j'étais mort et vous m'avez enseveli »
8-4 : Caritas Invidia – Charité et Envie
8-5 : Patientia Ira – Patience et Colère
8-6 : Sobrietas Gula – Sobriété et Gloutonnerie
9-4 : Fortitudo Accidia (Acedia) – Force Paresse (Courage et Lâcheté)
9-5 : Castitas Luxuria – chasteté luxure
9-6 : Largitas (sic) Avaricia – Générosité et Avarice
parmi les sept péchés capitaux, manque l'orgueil (superbia)
Nos vitraux ne suivent pas la liste traditionnelle des vertus chrétiennes qui distingue entre les trois vertus dites « théologales » (car données par Dieu) : Foi, Espérance et Charité et les quatre vertus cardinales (du fait de l'homme) : Prudence, Tempérance, Force et Justice. Il semble que l'inspiration de nos vitraux soit plutôt la tradition ancienne de la bataille du bien contre le mal qui remonte à la Psychomachia, ou bataille de l'âme d'Aurélius Prudentius au début du Ve siècle de notre ère. Par rapport à celui-ci, manque la lutte entre la foi et l'idolâtrie (Fides/Veterum Cultura Deorum - Pudicitia/Sodomita Libido – Patientia/Ira - Mens Humilis/Superbia – Sobrietas/Luxuria. - Operatio/Avaritia – Concordia/Discordia).
Matthieu 25, 31-46
31 Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. 32 Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs ; 33 et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. 34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. 35 Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; 36 j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi. 37 Les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ? 38 Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli ; ou nu, et t’avons-nous vêtu ? 39 Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi ? 40 Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. 41 Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu Éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. 42 Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; 43 j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. 44 Ils répondront aussi : Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim, ou ayant soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et ne t’avons-nous pas assisté ? 45 Et il leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites. 46 Et ceux-ci iront au châtiment Éternel, mais les justes à la vie éternelle.
Questions de disposition
Le cycle moral représenté par la lutte des vices et des vertus et les œuvres de miséricorde occupe actuellement les fenêtres 8 et 9, les œuvres de miséricorde sont groupées par trois dans les parties basses tandis que la bataille du bien et du mal est présentée, également par groupe de trois dans les parties hautes.
À l'origine, ces vitraux se trouvaient bien dans les fenêtres du chœur mais suivant une disposition différente. Lors de la réinstallation de 1905, ils ont été regroupés par quatre dans les fenêtres 7, 8 et 9 avec à chaque fois, l'un des trois personnages actuellement eux-mêmes regroupés dans la fenêtre n°10. Il ne faut donc pas rechercher une correspondance stricte entre les vices et vertus d'une part et les œuvres de miséricorde d'autre part. Par ailleurs l'ordre de présentation des œuvres de miséricorde ne correspond pas à l'ordre évangélique.
Pour des raisons de commodité, nous suivrons dans notre présentation l'ordre actuel des vitraux à savoir
8-4, la charité terrasse l'envie
8-5, la patience terrasse la colère
8-6, la sobriété terrasse la gloutonnerie
9-1, désaltérer ceux qui ont soif
9-4, le courage terrasse la lâcheté
9-5, la chasteté terrasse la luxure
9-6, la générosité terrasse l'avarice
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