L'Heure Musicale virtuelle du 11 novembre 2023

 4 novembre 2023

DIETRICH VON FREIBERG

1250 ? - 1310 ?

Héritages

 L'intégralité du programme

Une heure en musique...

Sa biographie est très mal connue. Entré très jeune dans l'ordre dominicain, vers 1271 il était lecteur au couvent de Freiberg. Il est probable qu'il vint étudier à Paris vers 1272/74, mais on ne sait pas sous quels maîtres. En 1280/81, il était lecteur au couvent de Trèves. Il revint ensuite à Paris et y donna des leçons sur les Sentences de Pierre Lombard. Le 7 septembre 1293, il fut nommé supérieur de la province dominicaine d'Allemagne (Teutonia), poste occupé avant lui par Albert le Grand, où il demeura jusqu'en mai 1296. C'est lui qui nomma Maître Eckhart vicaire pour la Thuringe. En 1296 ou 1297, il devint magister theologiæ à Paris et continua à y enseigner jusqu'en 1300. Son nom apparaît ensuite dans un chapitre provincial des dominicains tenu à Coblence en 1303 (où il fut élu « définiteur »), puis dans les chapitres généraux tenus à Toulouse en mai 1304 et à Plaisance en septembre 1310. Dans ce dernier, il fut désigné comme vicarius provinciæ Teutonicæ, dans l'attente de la nomination d'un nouveau provincial.

Thierry de Freiberg fut un auteur prolifique : on lui connaît trente-huit ouvrages, composés entre 1285 et 1310 environ. Ils couvrent pratiquement toutes les branches de la théologie, de la philosophie et des sciences naturelles connues à l'époque, ce qui fait de Thierry, par la quantité et la diversité de son œuvre, l'un des principaux héritiers d'Albert le Grand (mort à Cologne le 15 novembre 1280, mais on ignore si Thierry l'a jamais rencontré).

Thierry de Freiberg apparaît principalement comme un représentant du néoplatonisme latin du Moyen Âge. Il intègre des éléments aristotéliciens et thomistes à une métaphysique émanatiste et à une psychologie augustinienne. Une procession causale va d'un principe premier, l'Un, vers les intelligences, les âmes et les corps. L'un de ses principaux apports est sa doctrine de l'intellect, et la distinction qu'il fait entre ens reale et ens conceptuale, remplaçant la vieille distinction scolastique entre ens naturæ et ens rationis. Ses études sur l'optique sont également une contribution importante à la méthodologie scientifique. L'un des premiers grands noms de la pensée spéculative allemande, il a notamment influencé Maître Eckhart et Nicolas de Cues.

Trois églises romanes du IXe au XIe siècle témoignent de l’importance de l’ancienne abbaye bénédictine sur l’île monastique de Reichenau dans le Bade-Wurtemberg. Fondé en 724, il est rapidement devenu l’un des monastères les plus importants du sud de l’Allemagne. La tradition monastique est encore visible aujourd’hui dans les fêtes et processions religieuses uniques qui ont lieu sur l’île.

Autres rivages...

L’île de Reichenau près de Constance en Allemagne est célèbre pour ses trois magnifiques églises romanes. Il y a un millénaire, Reichenau était au cœur culturel de l’Europe avec le monastère de Kloster Reichenau, un important centre d’apprentissage. Les trois églises romanes d’Oberzell, Mittelzell et Niederzell ont survécu à cette période et sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Les peintures murales bien conservées de Reichenau sont parmi les plus anciennes d’Europe au nord des Alpes.

Reichenau est une petite île dans la partie Untersee du lac de Constance (Bodensee) à la frontière entre la Suisse et l’Allemagne. La production végétale est le pilier de l’économie moderne, mais au Moyen Âge, Reichenau était un centre culturel important.

Le premier monastère bénédictin du monde germanophone fut fondé en 724 après J.-C. par Karl Martell sous le nom de Kloster Reichenau. Pendant la période carolingienne, et jusqu’au début du 13ème siècle, Reichenau était un important centre d’apprentissage. L’âge d’or du monastère se situe entre le IXe et le XIe siècle et les trois églises romanes de l’île datent pour la plupart de cette période.

La basilique à trois nefs de Saint-Georges à Oberzell date en partie de la fin du IXe siècle et est considérée comme l’un des meilleurs exemples de l’architecture carolingienne tardive. L’abside occidentale et le portail datent du XIe siècle, tandis que certains éléments gothiques datent du XVe siècle. La crypte du début du IXe siècle ne peut être vue que lors de visites guidées.

La principale raison de visiter St Georg est de voir les meilleurs exemples de peintures murales d’églises de cette période en Europe au nord des Alpes. Les peintures murales très bien conservées qui remplissent toute la nef datent d’avant l’an 1000. La plupart de ces peintures jusqu’à 2 m de haut et 4 m de large illustrent les miracles accomplis par le Christ.

Un petit musée a récemment ouvert ses portes près de l’église. Il vaut la peine de visiter le musée d’abord pour une explication de l’histoire ainsi que des vues rapprochées des peintures reproduites.

Mittelzell est la plus grande ville de l’île de Reichenau et le Münster St Maria und St Markus est aussi la plus grande église romane de l’île. Il s’agit du centre originel du monastère de Reichenau, qui n’a été officiellement dissous qu’en 1757.

La basilique à triple nef avec transepts doubles date pour la plupart du XIe siècle, mais le chœur gothique date du XVe siècle. Quelques-uns des arcs et des parties du transept sont les constructions originales consacrées en 816. Les chevrons en chêne, exposés depuis 1970, ont environ 700 ans. Ils rappellent un navire inversé et sont typiques de l’époque.

Plusieurs reliques et reliquaires sont conservés dans le petit trésor (Schatzkammer). La plus importante est la relique de St Marc qui est arrivée sur l’île de Reichenau en 830. Plusieurs autres bâtiments de l’ancien monastère et un jardin d’herbes aromatiques du monastère peuvent être vus à proximité. Le musée d’histoire locale se trouve à quelques pâtés de maison près de l’office du tourisme de Reichenau.

L’ancienne église abbatiale Stiftkirche St Peter und Paul est basée sur les fondations d’une église consacrée à l’origine en 799. L’actuelle basilique à trois nefs et à deux tours date pour la plupart des XIe et XIIe siècles, mais son intérieur est surtout dans le style rococo plus moderne du milieu du XVIIIe siècle. Cependant, l’œuvre d’art la plus importante de l’église est une peinture murale du Christ et des apôtres du début du XIIe siècle.

Un petit musée à côté de l’église explique l’histoire de l’église abbatiale ainsi que certains éléments architecturaux. Les trois musées de l’île de Reichenau sont ouverts d’avril à octobre du mardi au dimanche de 10h30 à 16h30 (17h30 en juillet et août). De novembre à mars, les musées ne sont ouverts que les week-ends de 14h à 17h.

Le trésor et le chœur gothique de la cathédrale sont ouverts d’avril à septembre, du lundi au samedi de 10h à midi et de 15h à 17h.

L’accès à Reichenau est très facile en voiture car l’île est reliée par la route à la terre ferme. Reichenau n’est qu’à environ 10 km de Constance – suivez la B33 en direction de Radolfzell et Singen. Un parking (payant) est disponible à proximité des trois églises (carte pdf de l’île de Reichenau).

Les transports publics sont disponibles environ une fois par heure depuis Constance. Prenez le train jusqu’à Reichenau (Badenau) et continuez en bus jusqu’à l’île de Reichenau. La durée totale du voyage est d’environ une demi-heure. Les horaires et les billets de train sont disponibles en ligne sur le site des chemins de fer allemands. Reichenau, et toute la région du lac de Constance, est très populaire auprès des cyclistes et des randonneurs. L’île est pour la plupart plate et idéale pour le cyclisme de loisir. Pendant la saison estivale, les bateaux de plaisance arrivent de Constance (D) et de Kreuzlingen (CH) et descendent le Rhin jusqu’à Stein am Rhein et Schaffhausen avec un accès facile à Rheinfall – la plus grande cascade d’Europe.

Saint-Gall en Suisse a une histoire étroitement liée à Reichenau, mais est surtout célèbre pour sa glorieuse bibliothèque baroque, également classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le plafond roman en bois peint de l’église Saint-Martin de Zillis près de Coire est l’un des trois seuls à avoir survécu en Europe et mérite un détour. Mais il vaut la peine de traverser les Alpes jusqu’à Müstair, à l’extrême sud-est du canton des Grisons. Le couvent de Saint-Jean, inscrit sur la liste de l’UNESCO, possède le cycle le plus important de fresques carolingiennes conservées sur place.

Salve Regina...

Le Salve Regina est une antienne mariale, dont on ne connaît pas avec certitude l’auteur : certains pensent qu’il s’agit d’ Herman de Reichenau (IXème siècle), d’autres d’Adhémar de Monteil, évêque du Puy (Xième), d’autres encore de Pierre de Monsoro, évêque de Compostelle . L’auteur de cet article attribue la paternité du Salve Regina au bienheureux Herman Contractus, alias Herman de Reichenau, et propose un commentaire sur le Salve Regina.

Dans la prière du Salve Regina, on invoque ainsi Marie : « Enfants d’Ève, nous crions vers vous… gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes ». En méditant avec Marie qui défait les nœuds  cette belle antienne mariale, nous pouvons entrevoir comment les nœuds de notre vie sont dénoués.

« Salut, ô Reine, Mère de miséricorde, notre vie, notre espérance, salut !
Enfants d’Ève exilés, nous crions vers vous ;
Vers vous nous soupirons, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes.
Ô vous notre avocate, tournez vers nous vos yeux compatissants.
Et, après cet exil, faites-nous voir Jésus, le fruit béni de vos entrailles.
Ô clémente, ô pieuse, ô douce Vierge Marie ! Amen.”

Bien plus qu’une métaphore – la vallée de larmes est réelle

Le bienheureux Hermanus Contractus a capté dans ces fameuses lignes du Salve Regina notre combat contre ces nœuds et la façon dont ils tirent sur nous sans cesse.

Nous sommes des enfants d’Ève, aimés par Dieu, mais exilés à cause de nos péchés et conduits dans une vallée de larmes. Dans notre détresse, nous crions vers Marie, afin qu’elle nous regarde avec compassion.

Enfants d’Ève, de cette terre d’exil nous crions vers vous … gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes.

Quelle image éloquente que cette vallée de larmes ! Le chemin étroit sur lequel nous marchons, où nous nous sentons si petits et vulnérables – vers vous nous soupirons – est empiété par des collines hautes autour de nous. Pour Contractus, cette image était plus qu’une métaphore : c’était un endroit bien réel, marqué par la tragédie d’une mère dans le Sud de l’Allemagne.

Contractus est née sévèrement estropié à Altshausen en Allemagne en 1013. Supportant une infirmité qui le paralysait en partie et lui causait beaucoup de douleur, il avait une intelligence vive et était un fervent catholique. Il devint moine chez les Bénédictins à l’âge de 20 ans et fut béatifié en 1863.Pendant une visite d’un monastère de moniales à Buchau, Contractus apprit l’histoire d’Adelindis de Buchau. Son histoire devint le modèle pour cette vallée de larmes.

 Matthieu Denni







L'Heure Musicale virtuelle du 30 décembre 2023

 30 décembre 2023

NICOLAS DE CUES

1401 – 1464

Dieu, l'ignorance et les mathématiques

Eine so hohe Persönlichkeit wie Nikolaus Cusanus wirkte schon im gewöhnlichen Leben aus der Arupa-Sphäre heraus. Zwar handelt jeder Mensch aus der Arupa-Sphäre heraus, aber nur wenige wissen etwas davon. Je höher sich ein Mensch in der Zeit zwischen zwei Erdenleben in die Arupa-Sphäre erhoben hat, desto mehr kommt das Göttliche bei ihm zum Durchbruch. Cusanus hat ein Werk geschrieben über das Nicht-Wissen aus dem höheren Wissen heraus: «De docta ignorantia». Ignorantia heißt Nicht-Wissen, und Nicht-Wissen ist hier gleichbedeutend mit höherem Anschauen. In seinen Büchern hat er das folgende ausgesprochen: Es gibt einen Wahrheitskern in allen Religionen, wir brauchen nur tief genug in dieselben hineinzuschauen. - Er hat auch schon ausgesprochen, daß die Erde sich um die Sonne bewegt. Er hat das aus einer Intuition heraus gesagt. Kopernikus hatte diese Erkenntnis erst im 16. Jahrhundert, Cusanus bereits im 15. Jahrhundert. Eine solche Inkarnation wie die des Cusanus ist im Zusammenhang zu betrachten mit seiner späteren Verkörperung. Cusanus weist schon hin einerseits auf die zukünftige Theosophie und andererseits auf die zukünftige moderne Naturwissenschaft. Das hatte Einfluß auf seine folgende Inkarnation. Nikolaus Cusanus war es, der in Kopernikus wiedererschienen ist.“

Rudolf STEINER

Une heure en musique...

FESTSPIELHAUS BADEN-BADEN: Sylvesterkonzert 2011

On dit de N. de Cues (1401-1464) qu'il fut le dernier penseur médiéval et le premier penseur de la Renaissance. Né à Cusa, sur les bords de la Moselle en Allemagne, N. de Cues a suivi des études de  droit canonique. Il participe au Concile de Bâle à partir de 1432. Cet épisode lui inspire sa première oeuvre en 1433, le De Concordia Catholica. Mais en 1434, il perd un procès et se tourne vers le pape dont il va devenir un précieux collaborateur. En 1437 et 1438, il est envoyé en mission en Crète pour réunir un synode entre l'église grecque et l'église de Rome. C'est pendant le voyage en bateau qu'il a l'idée de la coïncidence des opposés. 

En 1440, il écrit son principal ouvrage philosophique, De Docta Ignorantia. Immédiatement, il le complète par le De Conjecturis qui se présente comme un art général de la conjecture avec quelques applications pratiques. Il se sert de figures géométriques dont la plus célèbre est la figure P (L.I, ch. 11) pour traduire à la fois l'unité et l'altérité de Dieu et du monde.

N. de Cues écrit sa première œuvre mathématique, le De Transmutationibus geometricis, en 1445 ; il est alors porte-parole du pape Eugène IV au concile de Bâle. Sa réputation de juriste et de polémiste est telle qu'on le surnommera l'" Hercule des Eugéniens". Il est envoyé en Septembre 1446 à la diète de Francfort, puis en Juillet 1447 à la diète d'Aschaffenbourg pour rallier les électeurs de ces régions au parti du pape. Il reçoit de nombreuses sommes d'argent de la curie pour ses dépenses de voyage et pour les services rendus; il reçoit également de nombreuses faveurs : bénéfices ecclésiastiques, pouvoirs particuliers d'absolution; les titres, enfin, s'accumulent : sous-diacre du pape et archidiacre de Brabant depuis 1442, il nommé cardinal par Nicolas V en Décembre 1448 et prêtre de Saint-Pierre-aux-liens en Janvier 1449.

En 1447, il écrit le De Genesi : Il s'agit d'une réflexion sur l'acte divin de création du monde. Dieu est le " même " et ne peut produire que le même. Son acte créateur est désigné comme une " assimilation ". On y discerne deux mouvements : le même descend vers l'autre; l'autre monte vers le même.

En 1449, il écrit l'Apologia doctae ignorantiae en réponse aux attaques de J. Wenck. D'après ce dernier, N. de Cues ne peut outrepasser le principe de non-contradiction; une telle transgression le conduirait au panthéisme. N. de Cues répond en expliquant la différence entre la raison discursive et la vision intellectuelle; ce sont deux genres différents de connaissance.

Le De Arithmeticis complementis paraît en 1450. Il écrit aussi le De Idiota dont le livre le plus important est le De mente. On y  trouve des concepts centraux pour sa théorie de la connaissance. La pensée est définie comme mesure, comme nombre vivant, comme mouvement de la passion vers l'intellection.
Le De circuli Quadratura du 12 Juillet 1450 établit explicitement le lien entre le problème mathématique (comment atteindre la quadrature du cercle) et le problème théologique (comment atteindre Dieu).

Sa production s'interrompt pendant près de trois ans ; du 31 Décembre 1450 au 12 Avril 1452, N. de Cues accomplit la plus importante mission de sa carrière, la grande légation en Allemagne; il doit réformer la vie religieuse sur un territoire s'étendant de la Suisse à Hambourg, de Louvain à Magdebourg. En quinze mois, il parcourt plus de 70 villes, passant à Salzbourg, Mayence, Magdebourg, Cologne, Trèves, Hildesheim, Nuremberg, Munich, Utrecht, Amsterdam, Leyde, Liège, Luxembourg, Louvain, etc. Il préside des synodes, publie des décrets de réforme, entend les plaintes, tranche des conflits, rétablit l'ordre dans les impôts ecclésiastiques, met fin aux abus, réprime le commerce dans les églises, prononce quantité de sermons, nomme des délégués. Accompagné d'une petite troupe de trente hommes, il est reçu avec éclat dans la plupart des villes. Les foules se pressent parfois au point de s'étouffer sur son passage. Il est l'un des rares cardinaux allemands du moyen âge. Il cherche à réduire les cultes superstitieux et les pèlerinages pour des reliques suspectes. Ses sermons sont parfois durs. La tâche la plus rude consiste à réformer la vie dans les monastères; les habitudes de luxe, les entorses à la règle, en particulier le concubinage, sont multiples. Pour y parvenir, il convoque des conciles provinciaux réunissant des archevêques, des évêques et des délégués diocésains, il menace d'excommunication des communautés entières si, dans les trois jours, les concubines ne sont pas renvoyées; il désigne ensuite des visiteurs chargés de vérifier pendant un an l'application de ses décrets dans les monastères.

A la fin de l'année 1452, il regagne son diocèse de Brixen dans les Alpes autrichiennes. Il se fait un devoir de mener au mieux la réforme de la vie religieuse dans son propre diocèse en réunissant plusieurs synodes. Mais il entre en grave conflit avec les religieuses de Sonnenburg  dont l'abbesse est Verena de Stuben. Là, les jeunes filles de la noblesse tyrolienne mènent, sous couvert de vie religieuse, une existence des plus libres. L'abbesse n'entend pas se plier aux injonctions de N. de Cues, et en appelle à l'intervention du duc Sigismond d'Autriche. Elle joue de la rivalité entre l'évêque et le duc pour la juridiction territoriale de cette région. Malgré son attachement à la vie religieuse, N. de Cues est resté juriste et ne renonce pas à ses droits temporels. Procès, menaces, intercessions auprès du pape, sursis à exécutions, etc.  tous les moyens sont bons pour résister à N. de Cues; celui-ci en est très affecté. Il se rappelle les brillantes réceptions lors de sa légation en Allemagne et ne supporte pas les affronts d'une abbesse.
Il cherche un réconfort moral auprès des moines de Tegernsee avec lesquels il entretient une correspondance sur la mystique. Il leur dédie le De visione Dei en 1453; c'est un exercice de théologie mystique par l'exemple d'un tableau sur lequel un visage semble regarder le spectateur quelle que soit sa position face au tableau. Cette métaphore lui permet de développer une méditation sur le regard de Dieu, et sur les rapports entre Dieu et la création.

L'année 1453 est l'une des plus fécondes de sa vie. Il vient de recevoir la nouvelle traduction des œuvres d'Archimède commandée par le pape Nicolas V à Jacob de Crémone. Il écrit le De Mathematicis complementis. Aussitôt après, il rédige le Complementum Theologicum. Avec ce texte, N. de Cues inverse l'ordre habituel de rédaction de ses idées : il a écrit un complément mathématique; il le complète aussitôt par un complément théologique pour montrer les applications de ses idées mathématiques en théologie (alors qu'habituellement, les textes mathématiques sont conçus comme des illustrations après-coup de ses thèses théologiques). Les deux registres coexistent en permanence dans ses préoccupations.
En 1454, N. de Cues écrit le De Pace Fidei. Cet ouvrage contemporain de la prise de Constantinople par les Turcs est un dialogue entre des représentants de diverses religions. N. de Cues s'efforce de démontrer qu'on pourrait dépasser les divisions religieuses, convaincu que ces divisions se situent dans les usages et les rites, et non dans la vénération d'un Dieu unique. Il dégage - de son point de vue - les traits essentiels et communs d'une religion universelle.

L'année 1455 est plus détendue : N. de Cues se cherche un successeur pour son évêché.  Puis l'affaire de Sonnenburg tourne mal quand l'abbesse engage des mercenaires à son service pour prélever de force des impôts sur les habitants de la région; il en résulte un combat, des massacres et un pillage. En Juillet 1457, N. de Cues doit se réfugier dans la forteresse d'Andratz. En apprenant ces événements, le pape est indigné et somme le duc Sigismond de rendre sa liberté à l'évêque; mais il faut parlementer jusqu'au printemps pour que N. de Cues puisse quitter Andratz en Mars 1458.
Le De Mathematicis complementis ayant donné lieu à des échanges avec ses amis, N. de Cues essaie d'améliorer ses démonstrations en rédigeant en 1457 Des courbes et des cordes. Ce texte se présente comme un compte-rendu d'une discussion qui aurait réellement eu lieu entre N. de Cues et Toscanelli.

Le De caesarea circuli quadratura est achevé le 6 Août 1457, alors que N. de Cues était retenu depuis le 10 Juillet dans la forteresse d'Andratz. On sent poindre à la fin de ce texte un certain agacement à l'égard des critiques qui lui ont été faites, agacement qui est sûrement aussi en rapport avec sa situation d'assiégé.

Le 30 Septembre 1458, après qu'il a définitivement perdu son diocèse, N. de Cues rentre à Rome. Il écrit le De mathematica perfectione dans lequel il change de position : renonçant à déterminer exactement l'égalité de la droite et de la courbe, il recourt à l'intuition. N. de Cues considérait cet ouvrage comme son meilleur traité mathématique. La fin présente une accumulation d'opérations réalisables par la coïncidence des opposés et laisse croire ainsi au triomphe de cette méthode.

En 1458, il compose le De Beryllo. Comme pour le De Visione Dei, il s'appuie sur une métaphore. Le béryl est une pierre translucide avec laquelle on peut fabriquer des lunettes. N. de Cues imagine un béryl pour l'intelligence, une sorte de loupe mentale comme moyen d'atteindre la vérité invisible. C'est un traité de la connaissance, dans lequel il réexamine des notions comme l'unité, le point, la divisibilité, le minimum, en discutant les principes du platonisme et de l'aristotélisme à la lumière de son propre principe de la coïncidence des opposés.

Le 11 Janvier 1459, il est nommé vicaire général de Rome par le nouveau pape Pie II. Néanmoins, le conflit avec le duc Sigismond n'est pas clos. 

En Janvier 1460, N. de Cues doit retourner à Brixen pour réaffirmer son autorité. Malheureusement, il est à nouveau attaqué par une armée de 500 cavaliers et 3000 fantassins. Il se réfugie en Avril à Andratz, mais doit rapidement se rendre; sous la contrainte, il signe un traité par lequel il renonce à sa juridiction temporelle, abandonne les châteaux attachés à l'évêché, annule ses décrets, paie une rançon, etc. Sitôt libéré, N. de Cues récuse ce traité arraché de force et rentre à Rome. 

Il écrit en 1462 un nouveau dialogue entre platoniciens et aristotéliciens, le De non aliud afin de définir une nouvelle conception de Dieu comme " non-autre ". Il ne quittera plus Rome jusqu'à sa mort, le 11 Août 1464.

De la docte ignorance

Dieu, ni prononçable, ni mesurable.

Le De docta ignorantia est un texte à tous égards remarquable vis-à-vis de la logique qu’il délivre au fur et à mesure de la lecture, mais il reste difficile dans certaines de ses terminologies car il est nourri de nombreuses références, parmi lesquelles on peut citer Saint Augustin, Scot Érigène et Maître Eckhart, et ce ne sont là que des pointes d’iceberg. Nicolas de Cues a lu et ruminé les grands auteurs de la chrétienté, et ce n’est qu’en 1440 qu’il met le point final à sa réflexion, après trois années de rédaction. Si l’on a pu dire du Cusain qu’il fut le plus grand mystique de son temps, la postérité l’a volontiers comparé à une passerelle entre l’époque médiévale et l’époque moderne, comme s’il avait définitivement synthétisé les inquiétudes de la théologie médiévale tout en préparant les problématiques du lendemain, déjà travaillées par un souci de laïcisation entre les facultés proprement humaines de la raison et les manières dont Dieu trouve à s’exprimer dans le monde – entre la connaissance des hommes d’une part, finie et imprécise, et les expressions de Dieu d’autre part, infinies et absolument précises, il n’existe aucune équivalence de vocabulaire ; nos langages sont incompatibles avec la grammaire divine, notre syntaxe est trop frileuse pour capter ne serait-ce qu’une partie de la langue créatrice par excellence.
En d’autres termes, Nicolas de Cues a posé de façon radicale les limites de nos pouvoirs de connaître, traçant une frontière entre la parole déceptive qui voudrait rapporter les signes de Dieu et la tendance inconnaissable avec laquelle Dieu émane de lui-même dans le monde qu’il a créé. Si la théologie affirmative attribuait des qualités à Dieu, la théologie négative en a fait la correction en soutenant que la raison humaine était incapable de se livrer à un si périlleux exercice de prédication. L’auteur de La Docte Ignorance réfléchit les deux traditions théologiques sans faire état des récompenses ou des blâmes : il propose une théologie mystique où Dieu se dit dans les termes de l’Un, à partir de quoi s’élabore un discours qui instruit la théologie d’une posture mathématique, c’est-à-dire, en définitive, un projet régulateur pour le savoir que nous sommes susceptibles de développer. La conséquence de ceci, c’est que l’on passe d’une métaphysique de l’Être, largement héritée d’Aristote, à une métaphysique de l’Un, davantage néoplatonicienne, et même annonciatrice dans son principe de la méthode kantienne où il faudra réinvestir la nature sans penser qu’on en possède autre chose qu’une connaissance artificielle (= la connaissance mathématique des symboles, celle qui paraît aller le plus loin en matière de savoir). En effet, une fois que notre savoir s’est reconnu comme limité, en dépit de tous ses efforts symboliques ou poétiques, il ne peut plus songer connaître le monde comme Dieu le connaîtrait. Trois siècles avant Kant, le Cusain nous apprend ni plus ni moins que nous n’avons d’autre choix que celui de vivre dans un monde multiple, essentiellement chaotique. Depuis ce monde de la comparaison et du mesurable, il ne servirait à rien de vouloir se prononcer sur l’Un. Ceci étant posé, il nous incombe de construire des liaisons, des jugements synthétiques, de penser rationnellement notre ignorance, ce qui devrait au mieux nous permettre de retrouver un peu d’ordre dans le chaos, au pire nous inciter à commencer ce travail en nous dispensant de prendre le problème à l’envers, en l’occurrence en commençant par Dieu.

Que nous ne puissions rien dire de l’Un, c’est-à-dire de Dieu, c’est la grande leçon d’ignorance de ce traité. De la vérité absolue, nous n’aurons jamais rien que des vraisemblances déformées. Autrement dit, la connaissance la meilleure que nous pouvons espérer obtenir, c’est celle de notre propre ignorance, et ce sera déjà beaucoup si nous nous efforçons de la rationaliser. Savoir que l’on ne peut pas savoir absolument, qu’est-ce sinon la conclusion de la philosophie socratique ? On aura beau avoir testé un maximum d’hypothèses, on n’en sera pas plus avancé, sinon dans l’acte de sagesse qui s’évertue à poser des questions en dépit des maigres résultats obtenus. L’enjeu n’est cependant pas le même que celui de la première philosophie platonicienne, qui consistait à entretenir le Logos de la discussion, déployant de la sorte un apprentissage du questionner et du répondre dans un contexte dialogique où les problèmes devaient se dire et se dédire.

Avec le De docta ignorantia, Nicolas de Cues souhaite examiner les tenants et les aboutissants de l’inconnaissabilité de Dieu. L’objectif profond de cet examen est de cerner les préliminaires d’une anthropologie où l’homme se serait mis dans la capacité de réinitialiser la place de sa raison par rapport à l’intellect divin. Il s’agit de différencier une vérité de foi d’une vérité de raison, la première étant plus appropriée que la seconde dès lors que le Verbe divin est recherché. La raison ne peut se concentrer que sur du mesurable, elle est parfaitement inadaptée à l’intelligence de Dieu qui n’a en outre pas besoin de nous pour intelliger. Que l’on désire Dieu est une chose, mais si nous le désirons, c’est parce que lui, au préalable, nous désire. Ce rapport « érotique » est imprononçable en raison, et ceux qui le poursuivent malgré tout se trompent sur leurs possibilités d’auto-transcendance. La vérité scientifique n’est acceptable que dans un monde approximatif et pourtant perfectible, d’où le fait que la science ne puisse se concevoir qu’à l’instar d’une série d’erreurs rectifiées. De l’Un, nous n’avons rien à raconter, ni même rien à modifier. Si nous lui attribuions des qualités, nous le diviserions, en quoi nous entrerions dans la plus grande corruption de la raison.

Ce positionnement religieux témoigne du fidéisme de Nicolas de Cues. La vérité religieuse, selon le fidéisme, ne dépend que du seul et unique acte de foi, s’appuyant sur la continuité d’une tradition plutôt que sur une étude poussée de la raison humaine. Entre les vertus théologales que sont la foi, l’amour et l’espérance, l’attitude fidéiste accorde la prépondérance de la foi. Aussi, quand le Cusain parle de Dieu comme de l’Un ou du « Maximum absolu », il ne s’ensuit pas qu’il faille comprendre ces termes mathématiques au travers d’une démonstration rationnelle. Dieu est l’incompréhensible total, il n’est justiciable d’aucune analogie avec l’univers du multiple, malgré le fait qu’il coïncide avec toutes choses dans un rapport immédiat et purement interne à la divinité. Dans un écrit ultérieur, le Cusain complètera les expressions « Un » ou « Maximum absolu » en proposant le non moins énigmatique « Non-Autre ». À la fois avec tous et sans personne, partout et nulle part, Dieu est celui-là seul qui peut supporter le paradoxe de son infinité et du monde fini qu’il a créé. Or comme nous n’avons accès qu’à la finitude du monde, nous ne pouvons que mal comprendre Dieu, sinon dans son incompréhensibilité, et surtout notre intelligence se heurte à la façon que Dieu a de se complexifier en s’exprimant dans le monde.
Notre monde habitable, d’ailleurs, prend le nom de « Maximum contracté » dans le traité. Tout ce que le Cusain écrit sur le « Maximum contracté » est une source d’éclairage afin de ne pas confondre l’univers des formes et des proportions mathématiques avec la perfection qui relève d’une substance immuable. Pour le dire autrement et de façon tout à fait convaincante, tel que le fait Hervé Pasqua dans sa lumineuse introduction qui nous a beaucoup assisté dans notre lecture, les conclusions tirées du « Maximum contracté » ont pour but de proposer un distinguo entre le domaine de la sagesse, où l’ignorance s’affirme, et le domaine de la science, où les calculs sont opérations de presque tout sauf de l’Un, lequel est au-delà du nombre. La personnalité de Jésus-Christ, quant à elle, est évoquée comme un maximum à la fois absolu et contracté, parce qu’il est le point de ralliement de la sagesse et de la science, existant aussi bien dans l’ignorance salvatrice que dans la parole pragmatique. Ces trois « maximums » ont pour conséquence de renouveler la conception de la Trinité, mais sur ce point nous ne pouvons guère présenter quoi que ce soit, le problème étant hors de notre portée, en cela qu’il mériterait une lecture plus experte que la nôtre ainsi que l’aiguillon plus aiguisé d’un docteur de l’Église. 

 Matthieu Denni 

L'Heure Musicale virtuelle du 23 décembre 2023

 23 décembre 2023

JOHANNES GUTENBERG

1400 ? - 1468

Le don du Livre


Une heure en musique...

Johannes Gutenberg (c. 1398 - 3 février 1468) est un forgeron, orfèvre, imprimeur et éditeur allemand qui a inventé la première imprimerie au monde. La presse à imprimerie de Gutenberg a révolutionné la création de livres et a contribué à les rendre abordables, inaugurant une nouvelle ère de livres et de littérature abordables.

Gutenberg est né dans la ville allemande de Mayence. Il a commencé sa vie professionnelle en tant que marchand, puis a déménagé dans le travail en tant que forgeron et orfèvre. Dans la trentaine, Gutenberg a déménagé, avec sa famille à Strasbourg.

À un moment donné, Gutenberg est devenu lourdement endetté en raison d'un échec des investissements dans des miroirs sacrés. On dit qu'il a promis à ses créanciers qu'ils pourraient avoir une part dans la nouvelle imprimerie sur laquelle il travaillait. On dit aussi que l'idée de l'imprimerie, est venue comme un flash de lumière, bien que cela ait pu être une histoire embellie - ajoutée à un jour plus tard.

Le génie de l'imprimerie de Gutenberg est qu'elle a intégré diverses technologies de différents domaines dans une manière pratique et abordable d'imprimer des livres. Avec le soutien financier d'un riche prêteur d'argent Johann Fust, Gutenberg a pu concrétiser ses idées. Sa première imprimerie en travail a été révélée vers 1450 à Strasbourg.

L'élément clé de la presse à imprimer était l'utilisation d'une impression de type mobile - des caractères en bois réglables (plus tard en métal), l'utilisation d'une encre à base d'huile et d'une presse d'impression en bois dérivée des presses à vis utilisées dans l'agriculture.

Avec la nouvelle invention, 42 lignes pourraient être imprimées à la fois, réduisant considérablement la main-d'œuvre et le coût de la création de livres (qui étaient auparavant manuscrits manuscrits). Cette presse à imprécer a rapidement été influente dans le développement de la Renaissance, de la Réforme et de l'Age des Lumières Scénaires. La nouvelle presse imprimerie a contribué à fournir un moyen économique de partager des idées et des connaissances d'une manière abordable pour les gens ordinaires.

Le livre le plus influent publié par Gutenberg est la Bible de Gutenberg en 1455. Ses presses d'imprimerie ont ensuite été utilisées pour produire en masse des Bibles, contribuant à diffuser le livre le plus influent de l'époque. La Bible de Gutenberg est acclamée pour sa haute qualité de design et de qualité. 180 exemplaires de la Bible Gutenberg originale ont été produits, principalement sur papier et certains sur vélin. Malgré le génie de son invention, Gutenberg n'a jamais été en mesure de tirer parti financièrement de son invention, mais la technologie s'est rapidement répandue à travers l'Europe - en particulier à Venise et en Italie, où l'impression a joué un rôle clé dans la Renaissance.

Gutenberg meurt en 1468 et est enterré dans une église de sa ville natale de Mayence.

Ironiquement, comme les indulgences de l'Église ont été la première chose imprimée par Gutenberg, la presse à imprimer a également été très influente dans la Réforme protestante. Martin Luther a été l'un des premiers pionniers des brochures de production de masse (plus de 300 000 exemplaires l'ont été de son vivant) et sa masse courte de ces thèses ont été essentielles pour diffuser des idées sur la Réforme.

Premiers livres imprimés...

Vers 1455-1456, c'est l'imprimerie qui joua ce rôle fondateur.

Au delà de la prouesse technique que représentait la machine elle-même, elle s'imposa comme un extraordinaire amplificateur, un multiplicateur de force et d'impact que les États et les puissants ne manquèrent pas de se réapproprier.

C'est tout un environnement technique extrêmement dynamique qui permit cette avancée : en effet, la machine elle-même ne peut s'expliquer sans un environnement mûr pour la générer, un faisceau complexe de techniques maîtrisées depuis longtemps qui purent être associées et combinées.

La métallurgie, pratiquée depuis des temps immémoriaux dans le massif du Harz et de l'Erzgebirge, dans les Vosges et la Forêt-Noire, permit de maîtriser la technique de fabrication des caractères métalliques mobiles. On observe, à la même époque, des progrès importants dans la fabrication et la disponibilité du papier.

Les progrès de l’hydraulique et de la mécanique accompagnèrent ces évolutions et contribuèrent dans une multitude de villes et de principautés germaniques à créer un climat politique où une bourgeoisie artisanale et entrepreneuriale put gagner en assurance et s'affirmer vis-à-vis des élites traditionnelles. Le père de Martin Luther était lui-même l'un de ces entrepreneurs proto-industriels enrichis par l'activité minière.

L’imprimerie esquisse les grands traits d'une révolution technologique et industrielle que les machines textiles exprimeront pleinement deux siècles et demi plus tard, en Angleterre.

Les lieux d’où sont issus ces élans ne sont pas anodins : la Silicon valley et au-delà, toute la côte ouest des États-Unis offraient à la fin du XXe siècle toutes les conditions d'un bond à l'instar du bassin rhénan cinq cents ans plus tôt. On observe actuellement un phénomène similaire en Asie, au Japon, en Corée du Sud, à Taiwan.

La base technologique étant solidement constituée, l’expertise et la créativité suffisamment indépendantes pour permettre les progrès et les perfectionnements qui ont ponctué toute la période, le décollage pouvait avoir lieu…

Le bassin rhénan fut aux premières loges de cette extraordinaire percée technologique, qui devait être suivie bien vite par une révolution intellectuelle, à laquelle l'Alsace, Bade et la Suisse participèrent intensément.

L'Italie du nord jusqu'à Rome, Paris, les grandes capitales européennes ainsi que quelques villes d'Europe centrale comme Prague et Cracovie s'affirmèrent comme autant de centres de création, de réflexion, d'assimilation et de redistribution des savoirs et des idées, à la manière de véritables hub.

Très vite, le berceau rhénan laissa se diffuser les secrets technologiques de la presse mécanique. Dès 1480, en Allemagne, mais aussi en France et en Italie, plus d’une centaine d’ateliers fonctionnait à plein régime.

La progression fut foudroyante… et irréversible : à la fin du XVe siècle, presque 300 villes étaient dotées d'ateliers d’imprimerie. À ce moment, près de vingt millions de livres auraient déjà été imprimés !

La phase initiale, pionnière, épique, celle de l'étonnement et des espoirs, voire de la sidération devant le potentiel dégagé par l'invention, ne dura pas très longtemps : très vite, on passa à l'action et à l'expérimentation mais aussi à la récupération de son extraordinaire potentiel par les pouvoirs politiques, économiques et spirituels traditionnels.

Les imprimeurs étaient alors les aristocrates de l’artisanat : auréolés d’un grand prestige, admirés par les petites mains, respectés par les intellectuels : sans eux, en effet, pas de République des Lettres...

La qualité des matériaux, de l’encre, la fidélité à l’original manuscrit, le nombre de coquilles, les calendrier des éditions, le rythme des rééditions constituaient des sources de grand souci et de stress pour les auteurs. La contribution exceptionnelle des imprimeurs au grand œuvre humaniste ne fait aucun doute lorsqu’on se rappelle que Gutenberg fut lui-même un imprimeur, que sa Bible en langue latine posa le paradigme, le mètre-étalon à partir duquel l’élan humaniste pouvait s’exprimer pleinement.

Le bassin du Rhin montre une densité exceptionnelle de ces inventeurs/entrepreneurs de la première heure. Outre Gutenberg, Johannes Mentel et Heinrich Eggestein, de Rosheim en Alsace, Peter Schöffer, de Mayence, prolongèrent et perfectionnèrent les nouvelles techniques.

Froben à Bâle, Mathias Schürer à Strasbourg, Alde Manuce à Venise ou encore Denis Roce et Jean Petit à Paris... autant d'imprimeurs dont les marques se retrouvent sur de nombreux ouvrages conservés à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat.

es hommes adroits, inventifs mais aussi érudits, furent parmi les premiers humanistes dont ils partageaient d'ailleurs les vues : voyageant entre Bamberg, Mayence, Strasbourg et Bâle, en relation avec tout un réseau d’artisans métallurgistes, de marchands de papier (comme Anton Galliciani à Bâle), ils constituaient le socle sur lequel la pensée humaniste put aisément s'inscrire et se diffuser. Cette mobilité infatigable des imprimeurs d'origine rhénane permit une diffusion très rapide de l'imprimerie.

L'Alsace ne furent pas en reste : Strasbourg fut l'une des premières villes européennes à disposer d'une imprimerie, dès 1458, précédant de peu Haguenau, où s'établit Heinrich Gran.

Ces hommes étaient des techniciens avant d'être des intellectuels, bien qu'aucune limite n'empêchait alors d'être à la fois l'un et l'autre. Mentelin et Eggestein étaient calligraphes, copistes, clercs ou laïcs. Schöffer avait étudié à la Sorbonne.

Le printemps humaniste vit plus d'un profil hybride, des hommes aux compétences très variées, trouver une place et l'opportunité d'exprimer leurs talents.

Grâce à des personnalités exceptionnelles comme Mentel, Eggestein et Gran, la précocité de la conversion du versant alsacien du Rhin à l'imprimerie permit l'émergence d'un groupe conséquent d'imprimeurs majeurs, très influents au début du XVIe siècle, tels Knobloch à Strasbourg, Schott qui s'établit un temps à Freiburg, Grüninger et Farckall à Colmar, Schürer à Sélestat, Schirenbrand à Mulhouse... À Strasbourg, Johannes Mentel imprima la première Bible en langue allemande.

Ces ouvrages furent, toutes proportions gardées, de véritables best sellers stimulant curiosité, réflexion et critique.

La Bible suivante fut celle de Luther.

Avec un développement si rapide du nombre des presses, on pouvait s’attendre à une diffusion des livres tout aussi spectaculaire et par conséquent un élargissement de l’accès à leurs contenus jamais vu auparavant.

C'est ce qui arriva : la révolution ne fut pas tant technique - le livre était en circulation bien avant le XVe siècle et sa circulation, bien que très restreinte, n'était pas nulle - que culturelle.

C'est le nombre et la variété des ouvrages qui fit la différence à partir des années 1500 : on dit qu'Érasme avait vendu près de 750 000 ouvrages au moment de sa mort ! Nul autre que lui d'ailleurs, n’illustre mieux ce va-et-vient dans un sillon rhénan qu’il contribua à creuser et à élargir.

La greffe de la Réforme n’aurait jamais pu prendre sans l’imprimerie : de ville en ville, depuis Wittenberg, près de 300 000 copies des pamphlets de Luther s’étaient diffusés en moins de deux ans après la publication de ses 95 Thèses, en 1517. Pour l'époque, il s'agit d'une quasi-instantanéité impossible à stopper. On pense à la mise en ligne actuelle, qui ne fait que prolonger la même logique.

Après la maîtrise de la base technique, dès 1460, l’accessibilité des livres est encore favorisée par la baisse des coûts et des prix et explique leur diffusion exponentielle.

Toute une génération d’hommes, et quelques femmes, de moins en moins illettrés, avide de lectures et de réflexion, se jeta sur les œuvres disponibles. Si l'offre était devenue considérable, la demande ne l'était pas moins.

Les Bibles représentaient le gros de la première génération de livres, celle des incunables, dans la continuité des manuscrits de la génération précédente : bibles en langue latine, bibles en allemand, Nouveaux Testaments traduits en grecs… Les domaines couverts par le livre imprimé s'élargissent cependant très vite aux poèmes, commentaires satiriques, médecine, sciences naturelles, architecture, études politiques, Histoire, réédition de livres antiques…

Après 1492 et les premiers voyages transatlantiques modernes, les livres de géographie et les cartes font leur entrée triomphale dans ce nouveau panthéon et font l'objet d'une véritable mode. 

Matthieu Denni 


L'Heure musicale du 16 décembre 2023

 16 décembre 2023

HEINRICH SEUSE (Henri Suso)

1296 ?- 1366

Noces mystiques

Une heure en musique...

« Après Maître Eckart et Jean Tauler, Henri Suso est représentatif de l’École de spiritualité dominicaine des "mystiques rhénans" du XIVe siècle. Elle garde la vision de l'univers que lui donne saint Thomas, exalte le primat de la contemplation et, pour y arriver, le dépouillement progressif du sensible, la purification de ce qui agite et distrait, le regard sur le Christ, Vérité éternelle.

Suso insiste sur l'union au Christ par la contemplation de ses perfections et de ses souffrances. Après lui, l'accent sera mis davantage sur l'affection que sur la connaissance : on cherche ce qui émeut, on s'applique à méditer les plaies du Crucifié, les sept douleurs de la Vierge : c'est l'ère des représentations tragiques de la Passion, des Pièta, des descentes de croix... L’œuvre de Suso annonce déjà ce tournant à la fin du XIVe et au XVe siècle. »

Henri Suso est un grand mystique allemand du Moyen-Âge, il est connu pour avoir répandu la mystique rhénane de Maître Eckhart. Il est né en 1295 sur les bords du lac de Constance. Son père appartenait à la noble famille de Berg; sa mère, dont il prit le nom de jeune fille latinisé, à une famille de Sus (ou Süs). Il entre chez les dominicains de Constance à l'âge de 13 ans. Il y mène une vie plutôt relâchée jusqu’à l'âge de 18 ans, où il eut une vision qui l’amena à contempler la Sagesse, Verbe de Dieu fait homme dans son humanité souffrante. Il se livre alors à de grandes mortifications, frôle la mort à 40 ans, puis contrôle son ascèse.

Dans ce tableau de Zurbaran, visage jeune, chevelure abondante, sombre et bouclée, yeux levés vers le ciel, le moine porte le manteau noir de l’ordre dominicain qu'il écarte de la main gauche pour graver sur sa poitrine, avec un stylet, le monogramme du Christ, IHS (Jésus Sauveur des Hommes). Derrière lui, dans un paysage d'arbres et de rochers italianisant, on découvre des dominicains en conversation au pied d'un ermitage. De l'autre côté du saint, dans un paysage de bord de rivière, un frère médite auprès d'une source, le visage appuyé sur la main. Une dernière scène, mystérieuse, montre un ange à la robe rose, descendu de cheval et progressant au milieu de huttes éparpillées dans la montagne.

Après ses premières études théologiques, il est envoyé à Cologne où il connut Maître Eckart vers 1320-1325. Il revient à Constance de 1329 à 1336, comme lecteur conventuel, puis prieur. Il y écrit, pour la défense d'Eckart, Das Büchlein der Wharheit, Le Livre de la Vérité. Cet ouvrage lui attire des ennuis provenant du Chapitre provincial, puis du Chapitre général qui le dépose de sa charge priorale. Il reste alors dans son couvent et rédige Das Büchlein der ewigen Weisheit, Le petit livre de la Sagesse éternelle, publié en 1328, destiné aux " âmes simples – de ces âmes qui ne sont pas parfaites et qui ont encore quelque défaut à corriger. "

En 1334, Suso traduit ce travail en latin, mais ajoutant à son contenu il en fait un livre presque entièrement nouveau, auquel il donne le nom Horologium Sapientiae, l’Horloge de la Sagesse, dédié au Maître de l'Ordre, dont le succès fut énorme au XIVe et XVe siècle, en Allemagne, et qui fut souvent représenté dans des manuscrits.

Il se donne également à la prédication dans toute la région et veille à la restauration de l’observance religieuse dans les couvents. Souvent objet de calomnies et de détractions, il se voit abandonné par certains amis. Il exerce pourtant un ministère très apprécié auprès de plusieurs couvents de religieuses dominicaines. C'est à l'une d'elles, Elisabeth Stagel, prieure des moniales dominicaines de Töss, qu'il confie l'histoire de sa vie qu'elle mettra par écrit.

Refusant d'obéir aux ordres de l’empereur du Saint Empire romain germanique, Louis IV de Bavière, en lutte contre la papauté, les dominicains quittent Constance et se réfugient à Diessenhoven. Suso est envoyé à Ulm. On sait très peu de choses sur les dernières années de sa vie. Il rédige l'histoire de sa vie intérieure Vita ou Leben Seuses, il révise le Büchlein der Wahrheit, et le Büchlein der ewigen Weisheit, qui, avec onze de ses lettres (le Briefbüchlein), et un prologue, se sont transformés en un livre connu sous le nom de Exemplar, Exemplaire, édition revue et corrigée par ses soins.

Outre ces écrits, nous avons également cinq sermons de Suso et une collection de vingt-huit de ses lettres (Grosses Briefbuch), qui se trouve dans l'édition de Bihlmeyer.

Il meurt à Ulm en 1366 vers sa 70e année. Le concile de Constance le considéra comme bienheureux, mais sa béatification officielle est due au pape Grégoire XVI en 1831.

...et aussi à Constance :

De 1414 à 1418, le concile de Constance a pour principal objectif d’unifier l’Église catholique avec un dirigeant unique. Pendant cette période, elle compte trois papes, respectivement issus des légitimités pisane, romaine et avignonnaise. On doit la convocation du 16e concile œcuménique à Sigismond Ier, empereur d’Allemagne. Afin de garantir l’équité des élections, cette instance possède un mode de scrutin spécifique. On occulte le vote par tête pour le vote par nation.

Quatre pays sont ainsi représentés lors du concile de Constance : l’Angleterre, la France, l’Allemagne et l’Italie. A cela s’ajoute une voix supplémentaire pour le collège des cardinaux. Au terme de 45 sessions, ce concile met fin au grand schisme d’Occident et assure l’indépendance des Pères conciliaires. Les papes Jean XXIII, Benoît XIII et Grégoire XII sont arrêtés, déposés ou en fuite. Martin V devient le 206e pape de l’Église catholique en 1417.

Le concile de Constance, 16e concile général ou œcuménique, a eu lieu à Constance, en Allemagne. Il s’est déroulé entre le 5 novembre 1414 et le 22 avril 1418. Durant cet intervalle de temps, près de 45 sessions ont été organisées. Cet événement survient pour mettre fin au grand schisme d’Occident. A cette période, on comptait trois papes à la tête de l’Eglise catholique. Au XVe siècle, les dissensions politiques et religieuses sont alors à leur apogée. 

En 1414, ce n’est autre que l’empereur d’Allemagne, Sigismond Ier, qui convoque le concile de Constance. L’idée de ce rassemblement est, entre autres, de restaurer la crédibilité du Saint-Siège. Il l’impose à Jean XXIII, considéré comme un antipape. Pour rappel, ce statut historique signifie qu’un individu occupe les fonctions à titre illégitime. L’Église catholique ne le reconnaît pas en tant que successeur de Saint-Pierre. Le concile de Constance est présidé par le cardinal Jean de Brogny.

Contrairement à de précédents conciles, le concile de Constance change son mode de scrutin. Cette décision s’explique par les réticences de Jean XXIII à y prendre part. Sigismond Ier prend alors l’initiative de changer le vote par tête pour le vote par nation. On distingue quatre pays participants : la France, l’Allemagne, l’Italie, ainsi que l’Angleterre. Une cinquième voix est octroyée au collège des cardinaux.

Au terme de ces 4 années de débat et de près de 45 sessions, le concile de Constance débouche sur la condamnation des réformateurs pour hérésie. Jérôme de Prague et Jan Hus sont condamnés à brûler vifs sur le bûcher. Quant à John Wyclif, traducteur et écrivain anglais, sa condamnation se fait uniquement à titre posthume. Au cours de cette période, Jean XXIII s’enfuit en 1415. La même année, Grégoire XII démissionne, tandis que Benoît XIII est déposé. En 1417, Martin V devient le 206e pape de l’Église catholique.

La principale conséquence du concile de Constance est de mettre fin au grand schisme d’Occident. Pour rappel, ce dernier induisait trois papes (légitimités romaine, pisane et avignonnaise) à la tête de l’Église catholique. Édicté le 30 octobre 1417, le décret Frequens impose une nouvelle tenue périodique d’un concile. Ce qui garantit l’indépendance des Pères conciliaires face au pape. Le concile suivant était prévu en 1423, mais est rapidement dissous. Le prochain rassemblement est prévu pour 1430.

A noter que le concile de Constance est à l’origine du concile de Bâle. Ce dernier se déroule de 1431 à 1449. Eugène IV succède alors à Martin V. De nombreuses dissensions en découlent. On observe aussi un schisme conciliaire. Au terme de plus de 18 ans de débat, le concile de Bâle finit par soutenir le conciliarisme. Cette notion induit que le concile œcuménique bénéficie de l’autorité suprême. Il est donc supérieur au pape en matière de hiérarchie. Certains théologiens avancent que l’Église est organisée sur la base d’une forme aristocratique et non monarchique. Par la suite, le conciliarisme est rejeté par les conciles Vatican I (1870) et Vatican II (1965).

Matthieu Denni