Un vitrail par semaine, une éthique pour aujourd'hui - Visiter les malades

7 janvier 2022, Visiter les malades

INFIRMUS ERAM ET VISITASTIS ME

Mt 25, 36 j’étais malade, et vous m’avez visité,

Grec : ἠσθένησα καὶ ἐπεσκέψασθέ με (Hèsténesa kai èpesképsasthé)

Vulgate : infirmus et visitastis me

Une femme soulevant un malade n'ayant plus que la peau sur les os de son lit. 

 Aux auxiliaires de vie, aides-soignant(e)s, infirmièr(e)s et médecins, à l'hôpital, en EHPAD ou à domicile; à tous les aidants

L'ensemble du cycle moral de nos vitraux, qu'il s'agisse des œuvres de miséricorde ou de la bataille du bien et du mal est bien évidemment d'une grande actualité en raison même de l'universalité de ses thèmes qui continuent de nous concerner aujourd'hui encore quelques soient nos conditions de vie.

Pourtant celui-ci consacré à la visite des malades revêt une pertinence particulière pour nos sociétés modernes qui se relèvent à peine d'une pandémie mondiale sans équivalent dans l'histoire contemporaine. Certes, le monde a toujours connu des épidémies meurtrières et les contemporains de nos vitraux allaient connaître la Peste Noire de 1347-1348 mais ces épidémies ne touchaient qu'une partie de l'humanité. L'épidémie de Covid-19 aura concerné au même moment l'ensemble de la planète en raison même de la multiplication des échanges et de la « mondialisation du monde ».

Aux rythmes des divers confinements que nous avons vécus, les réactions individuelles et collectives ont considérablement varié. Entre l'immense élan de solidarité envers les personnels soignants au printemps 2020 et l'isolement du chacun pour soi qui prévaut à l'automne 2021, nous aurons vécu une aventure collective sans précédent, accumulant des expériences de dignité et de lâcheté avec son cortège de dénonciation, de stigmatisation ou d'exclusion. Tout se passe aujourd'hui comme si nous étions profondément fatigués ! Fatigués émotionnellement par les deuils qui ont pu nous toucher ou toucher nos communautés, fatigués de ne pas avoir pu accompagner nos morts, fatigués des limitations de nos libertés, fatigués de nos errements politiques et sociaux, fatigués en un mot de faire société. Nos sociétés sont affaiblies par la maladie comme nos corps le sont également.

C'est bien d'affaiblissement qu'il est question dans le texte de l'évangile. Le terme « Hèsténesa » (j'étais malade) vient de la racine ἀσθενέω - astheneo qui a donné le français « asthénie » ou « état de faiblesse généralisé ». Le malade dont il est question dans l'évangile et dans notre vitrail n'est pas seulement la victime de telle ou telle agression extérieure, viral ou microbien, mais plus généralement celui ou celle qui n'a plus en lui-même la ressource pour se relever. Celui qui ne peut plus supporter l'injonction moderne de toujours devoir « se reconstruire » après la perte de sa santé, de son travail, de son conjoint ou après telle agression physique, morale ou sociale. C'est la personne qui tombe sur le bord du chemin parce qu'elle n'a même plus de force d'appeler à l'aide et qui disparaît dans l'indifférence de sa propre solitude.

Ce malade décharné sur son lit de souffrance, c'est nous ! Mais cette femme qui vient à son aide, c'est nous aussi !

Là encore le grec vient à notre secours, au-delà de la simple « visite » que suggère le latin visitastis, le grec ἐπισκέπτομαι - episkeptomai a donné notre moderne « inspecteur » mais non pas au sens policier ni carcéral mais au sens de « celui qui prend soin de l'autre » en référence directe avec l'attitude fondamentale de Dieu envers l'humanité : « Qu ’est -ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, Ou le fils de l’homme, pour que tu prennes soin de lui ? » (Hébreux 2, 6 citant le Psaume 8, 4).

Cette femme soulageant le malade et l'aidant à sortir de son lit de souffrance, c'est nous lorsque nous faisons attention les uns aux autres ou, pour le dire autrement, lorsque nous veillons les uns sur les autres non pas dans un esprit de contrôle ou d'oppression mais dans un esprit de solidarité et de soutien. C'est refuser l'indifférence et se considérer comme concerné, non seulement par ce qui m'arrive à moi-même mais aussi, voire surtout, par ce qui arrive à l'autre, à mon prochain. Nous « visiter » les uns les autres n'est pas qu'affaire de politesse mais d'intérêt pour l'autre, d'intérêt pour son bien et d'apprendre à l'aider.

C'est à une véritable éthique de l'attention que nous exhorte ce vitrail.

Roland Kauffmann 

Introduction générale au cycle des vices contra les vertus et des charités évangéliques

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