Une éthique pour aujourd'hui, un vitrail par semaine - La charité terrasse l'envie

28 janvier 2022

La charité terrasse l'envie

8-4 : CARITAS INVIDIA

Une femme couverte d'un long voile se mêlant à sa tunique bloque à terre avec une sorte de fourche, une autre femme, blonde, en cheveux et en décolleté.

Introduction générale au cycle des vices contra les vertus et des charités évangéliques 

Les six représentations des vertus terrassant les vices sont construites sur la même typologie. Ne varient que les couleurs des vêtements des personnages, la posture des vertus (bras levés ou non), le type d'arme utilisé ou encore la position des vices qui regardent les vertus avec la fureur de leur impuissance.

Aux charités évangéliques correspondent ces scènes plus philosophiques ou, à tout le moins, plus de l'ordre de la morale personnelle. Si les charités sont des actions individuelles, elles s'inscrivent néanmoins dans une logique collective et sociale : c'est ce que je fais ou ne fais pas pour mon prochain qui est en jeu. Tandis que les vertus sont plus de l'ordre de l'attitude intérieure inspirant une attitude extérieure. Il en est de même des vices qui en sont le contre-point. Vices et vertus sont de l'ordre de l'adjectif car ils nous définissent, disent qui nous sommes et qualifient nos actes au-delà de leurs apparences.

Ainsi une action paraissant bonne peut en réalité cacher des intentions mauvaises, les Tartuffes se multiplient dans les meilleures assemblées. De même, il arrive que l'on justifie des actions manifestement détestables au nom de bonnes intentions sur le mode de « la fin qui justifie les moyens ». C'est ainsi que bien des dictatures politiques ou religieuses ont expliqué dans l'histoire qu'elles agissaient de manière criminelle certes mais que c'était « pour le bien de l'humanité, de l'Église, du roi, de l'État, du genre humain ». Que de crimes n'ont pas été commis au nom de Dieu ? Lorsque se confondent les vices et les vertus. Modernes intégristes, fondamentalistes et terroristes ou inquisiteurs médiévaux ne parlent que de faire le bien ou en tout cas le bien tel qu'ils entendent le définir pour les autres.

C'est le premier intérêt de nos vitraux que de distinguer entre les vices et les vertus et de nous dire qu'est « faux tout raisonnement », et donc toute politique et toute religion, « lorsqu'il contient le renversement général de la morale divine et humaine, qu'il confond le vice avec la vertu, et que par là il ouvre la porte à toutes les confusions imaginables »1. Nos vitraux partent du principe que les gens du commun, ces hommes et ces femmes ordinaires qui constituent l'assistance normale des offices, savent bien ce que sont les vices et ce que sont les vertus, qu'ils sont capables de faire la différence car ils savent les reconnaître, ne serait-ce que par leurs effets.

Nous connaissons nos vices et nous connaissons nos vertus. Ainsi nous savons reconnaître l'envie lorsqu'elle se manifeste sous les traits d'une jalousie qui n'ose dire son nom et n'espère que prendre la place de ceux qui ont mieux réussi. Comme nous savons reconnaître la charité lorsqu'elle se réjouit sincèrement du bien qui arrive à d'autres. Nous savons reconnaître « dévorant les serpents dont sont nourris ses vices, l'Envie. (…) cœur verdâtre de fiel, langue imbue de venin, (…[qui]…) contemple avec dépit les succès des humains, se dessèche à les voir, déchire, se déchire, est son propre bourreau »2. Nous savons bien lorsque nous sommes nous-mêmes rongés par nos propres serpents de l'anxiété, du désir de dominer ou de prendre ce qui est à un autre, de profiter de ses réalisations pour cacher nos échecs. Chacun d'entre nous se connaît, ou devrait apprendre à se connaître tel qu'il est en vérité car il n'y a rien de plus important pour un homme.

Et de même que nous sommes à la fois cette femme qui accueille l'étranger et l'étranger lui-même, nous sommes aussi Charité et Envie. Aucun d'entre nous ne pourrait prétendre être toujours exempt de vice et toujours vertueux mais et c'est la seconde morale de nos vitraux, il importe de ne pas se satisfaire de nos vices. De même que la confession des péchés calviniste l'explique « Nous nous condamnons, nous et nos vices », le vice n'est pas une fatalité à laquelle nous résigner mais au contraire il est toujours vaincu pour peu qu'on engage la lutte contre lui. Et on reconnaît ceux qui luttent contre l'envie ou la jalousie et tous les serpents qui sifflent la haine et le mépris parce qu'ils ne se départissent pas d'un amour foncier pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui.

Roland Kauffmann

1 De la tolérance. Commentaire philosophique, I IV, Pierre Bayle, édité par Jean-Michel Gros, Champion Classiques, 2014 (1686), p.111.

2 Les Métamorphoses, Ovide, II 769-780, trad. Olivier Sers, Les Belles Lettres, 2019.

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