25 février 2022
96/9-2 : IN CARCERE FUI ET VENISTI AD ME
Mt, 25, 36, j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi,
ἐν φυλακῇ ἤμην καὶ ἤλθατε πρός με (en phulakée eemeen kai eelthate pros me)
Vulgate : in carcere eram et venistis ad me
Une femme saluant un homme placé dans un carcan, sorte de pilori fixe, avec les pieds et les mains entravés. Derrière lui, une tour dont les fenêtres sont grillagées, manifestement la prison. L'homme est à l'extérieur de la prison, ainsi exposé à la population, à sa vindicte ou sa moquerie mais aussi à sa compassion à l'exemple de cette femme. Ce vitrail a été fait à neuf en 1904 par la maison Zettler lors de la restauration des vitraux1.
Pour Yvonne et René
Parmi les charités évangéliques, celle qui consiste à visiter les prisonniers est particulièrement contre-intuitive. En effet, il est logique de considérer que dans un État de droits, ceux qui sont en prison le sont pour de bonnes raisons. Criminels ou délinquants, ils ont été jugés et condamnés à subir une peine proportionnée à leurs actes. Ils sont ainsi punis et mis à l'écart, littéralement au ban de la société, dans un souci de protection de celle-ci. Puisqu'ils n'ont que ce qu'ils méritent, pourquoi aller les visiter ? Autant visiter les malades, nourrir les miséreux ou enterrer les défunts sont d'évidence des devoirs moraux, autant visiter les prisonniers pourrait sembler une complaisance coupable.
C'est oublier que ce qui fonde justement nos sociétés et en font des États de droits, c'est la conviction de l'humanité et donc de la dignité de tous, y compris des criminels et délinquants qui restent, même en prison, des individus, des citoyens, des frères et sœurs en humanité. La prison ne devrait pas être définitive et pourtant, celui qui est passé par là en reste marqué à jamais, non seulement par ce qu'il y a vécu comme souffrances mais aussi par le regard des autres, la réinsertion des prisonniers après avoir purgé leur peine est toujours difficile. Alors que la justice voudrait que l'on considère la personne comme étant amendable et corrigible et prononce en conséquence des peines qui sont des sanctions devant éviter la récidive. Cependant, près d'un tiers des prisonniers récidivent dans la première année après leur libération et ce taux augmente avec le temps. On peut y voir le signe que quelque chose ne fonctionne pas dans le système carcéral car la réinsertion devrait commencer durant le temps de la peine.
Dans ce contexte, il faut rendre hommage à ces aumôniers, visiteurs et visiteuses de prison, comme Yvonne, simple mulhousienne de 74 ans, qui comme cette femme de notre vitrail ne se résout pas à voir des monstres ou des « gens irrémédiablement mauvais » parmi les prisonniers qu'elle rencontre. Lucide et sans naïveté sur la gravité de leurs actes, elle voit d'abord des hommes et des femmes qui ont eu une vie en dehors de leur délinquance ou de leur crime et qui, à un moment de leur vie, ont basculé pour d'innombrables raisons et sont sortis du jeu normal de la société. Et c'est la question qu'elle leur pose inlassablement et de diverses manières afin qu'ils parviennent à dire leurs raisons et à s'interroger sur leurs actes et les souffrances qu'ils ont infligés. C'est par là que peut commencer la rédemption.
Bien sûr qu'il faut une solide dose de foi, qu'elle soit chrétienne ou humaniste, pour envisager la rédemption comme toujours possible et parfois, reconnaître l'innocent dans la personne que tout désigne comme coupable et que tout le monde considère comme tel. Ainsi de l'opiniâtreté parfois de ces aumôniers qui, comme René, confronté aux pires des criminels sans scrupules ni remords, aura néanmoins su discerner dans la parole d'un jeune garçon, accusé d'un double meurtre particulièrement sordide, la trace de l'erreur judiciaire révélée par la suite. N'en avoir sauvé peut-être qu'un seul mais qui sait la force de l'amour et de la compassion manifestés dans ces prisons par ces animateurs bénévoles qui par la force de la danse, du théâtre ou de la musique, amènent de l'humanité et de la liberté dans ces lieux où la privation de l'une ne devrait jamais amener la privation de l'autre ?
Comment oublier tous celles et ceux qui se mobilisent par le biais des grandes associations telles qu'Amnesty International ou l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture pour le sort des prisonniers dans des États totalitaires ou corrompus ? Prisonniers d'opinion, prisonniers politiques, prisonniers ethniques, du seul fait de leur couleur de peau ou de leur origine sociale ou religieuse, les victimes de l'arbitraire sont innombrables dans notre monde contemporain et si nous ne pouvons franchir les murs de leurs prisons, nous pouvons néanmoins nous mobiliser pour faire savoir à leurs bourreaux que nous ne sommes pas indifférents à leur sort et qu'à l'image de cette femme compatissante, nous tendons la main à leurs victimes.
Roland Kauffmann
1 Les Verrières de l'ancienne église Saint-Étienne à Mulhouse, Jules Lutz, Meininger, Mulhouse, 1906, p. 28
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