Une éthique pour aujourd'hui, un vitrail par semaine - Vêtir ceux qui sont nus

4 mars 2022

97/9-3 : NUDUS ERAM ET VESTISTI ME

Mt 25, 36, J’étais nu, et vous m’avez vêtu,

γυμνὸς καὶ περιεβάλετέ με (gumnos kai periebaleté me)

vulgate : nudus et operuistis me,

Une femme offrant une tunique rouge et verte à un homme simplement couvert d'un linge de corps et pieds nus. Conformément aux règles de la représentation, la différence sociale est marquée par la différence de taille entre les deux personnages : la petitesse de l'homme souligne son indigence.i

Parmi les besoins vitaux de tout être humain, c'est de chaleur dont nous avons le plus besoin. Notre corps a besoin de se maintenir à une température constante : trop chaud il meurt de fièvre, trop froid il meurt. Pour produire cette chaleur, nous avons besoin de nourriture ; pour la conserver, de vêtements et par extension d'un abri, d'une maison. Notre vitrail, après avoir abordé les besoins de santé (8-1), d'hospitalité (8-2), de vie et de mort (8-3), de faim et de soif (9-1), de liberté (9-2) en vient donc à ceux du vêtement et par extension du logement, autrement dit tout ce qui nous protège.

Car c'est bien cela qui est en jeu dans la mesure où notre vêtement et notre logement sont ce qui nous est à la fois le plus intime et le plus exposé. La manière dont nous nous présentons au monde par le vêtement est représentative de notre personnalité. Ainsi être à « la dernière mode » en dit long à la fois sur notre capacité financière à suivre les modes mais aussi sur notre propension à n'être justement que des suiveurs, oublieux de nos besoins pour nous conformer aux prescriptions d'autres que nous. De même qu'il faut avoir une « chambre à soi » comme le recommandait Virginia Woolf, « il est souhaitable », pour Henri David Thoreau, « qu'un homme s'habille d'une manière suffisamment simple pour être en mesure de toucher lui-même son propre corps dans le noir, et qu'il vive à tous égards avec ce qu'il faut de frugalité et de commodité pour pouvoir, en cas d'assaut ennemi, tel le vieux philosophe, quitter la ville sans le moindre souci »1.

« Frugalité et commodité » devraient être les maîtres-mots, non seulement de notre vêture et de notre logement mais aussi de nos existences, à la fois dans le domaine de l'esprit et dans celui de l'action. Qu'il s'agisse de nos habitudes de consommation ou de nos opinions philosophiques ou politiques, la modération et la simplicité devraient être notre ligne de conduite pour une vie qui ne soit pas sous la dépendance de contraintes extérieures mais le fruit de notre libre décision.

Mais cette libre délibération intime doit correspondre à une vie sociale tout aussi importante car l'humain est un animal social, qui vit en société et a besoin de cette société pour vivre. Nul homme n'est solitaire et notre indigent sur le vitrail ne saurait se contenter de son haillon pour vivre en société. Vêtir ceux qui sont nus, c'est aussi leur donner une place dans la société et plus largement redonner à chacun les moyens de reprendre les rênes de sa propre existence. C'est le cœur de ce que l'on appelle aujourd'hui le « droit au logement ». À écouter les mal-logés ou les sans-abris, ce qui frappe avant tout c'est l'impossibilité de se reposer et de se projeter d'une manière ou d'une autre dans l'avenir, en sachant pouvoir retrouver un lieu protégé et assuré. Lorsqu'on doit consacrer l'essentiel de son existence à assurer sa survie au jour le jour et à trouver un toit pour la nuit en appelant le 115, c'est la dignité humaine qui est malmenée. Et il faut ici rendre hommage à toutes ces associations qui luttent contre le mal-logement, comme « 100 pour 1 » à Mulhouse pour ne prendre qu'un seul exemple local2.

Avant de choisir ce que nous voulons montrer de nous-mêmes au monde par notre logement ou notre vêtement, encore faut-il en avoir et ensuite savoir les entretenir correctement, conformément à notre besoin et nos moyens dans cette même logique de « frugalité et de commodité ». La frugalité, souvent associée au protestantisme, ne doit pas être confondue avec l'austérité mais plutôt avec cette forme d'élégance qui fait le choix de la solidité et de la simplicité. Il est à noter dans ce contexte que la femme de notre vitrail ne se contente pas de donner à l'indigent une guenille déjà usée mais bel et bien un vêtement de qualité qui corresponde à la dignité inaliénable de l'individu.

Au moment de clore cette partie dédiée aux charités évangéliques, il est important de se souvenir que nous devons en effet à ceux que nous aidons de nos biens, de notre temps, de notre attention, de notre prière, le meilleur ou au moins ce que nous estimons digne de nous-mêmes.

1 Walden, Henri David Thoreau, Gallmeister, 2017, trad. Jacques Mailhos, [1854], p.39-40

2 https://www.100pour1.org

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