Les armoiries des comtes de Ferrette et l'histoire de la comtesse Jeanne

Dans le cadre de nos méditations sur les vitraux du temple Saint-Étienne, nous avons demandé à Matthieu Denni de nous relater l'histoire de Jeanne, comtesse de Ferrette et donatrice supposée de nos vitraux ainsi que de sa famille. 

Signalons également l'association "Jeanne de Ferrette 24" dédiée à la célébration du 700e anniversaire du mariage de Jeanne de Ferrette avec Albert II d'Autriche.

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L'usage des armoiries s'est développé au Moyen-Âge dans toute l'Europe comme un système d'identification, non seulement des personnes mais aussi des lignées et des collectivités humaines. Apparu au XIIe siècle au sein de la chevalerie, il s'est rapidement diffusé dans l'ensemble de la société occidentale : nobles, clercs, bourgeois, corporations de métiers, villes ou provinces.

Cette utilisation des armoiries vient de l'évolution de l'équipement militaire entre le XIe et XIIe siècle qui rend impossible de deviner le visage d'un chevalier caché par son casque. Pour se faire reconnaître dans les mêlées des batailles et des tournois, les chevaliers prennent l'habitude de peindre des figures distinctives sur leur bouclier et de se faire accompagner par un écuyer portant un écu, support sur lequel sont représentées leurs « armes ». Ces dernières sont ultérieurement reprises sur l'équipement du chevalier et de son cheval, sa bannière ou sur ses sceaux armoriés.

Les armoiries des comtes de Ferrette ressemblent à celles des comtes de Bar (aujourd'hui Bar-le-Duc en Lorraine) et des comtes de Montbéliard. Tout porte à croire que ce sont les armes primitives des comtes de Bar et qu'elles furent reprises par les comtes de Montbéliard lorsque Louis de Montbéliard épouse en 1037 Sophie, fille de Frédéric II duc de Lorraine et comte de Bar, cette dernière lui apportant en dot ce comté. Leur fils Thierry Ier de Montbéliard conserve les armoiries de ses parents de même que plus tard leur petit-fils Frédéric Ier, premier comte de Ferrette.

Les armoiries des comtes de Ferrette représentent deux poissons courbés en position verticale et de profil (en héraldique, qui est l'étude et la science des blasons, ils sont nommés des bars), les têtes tournées vers le haut, dos à dos et de couleur or, sur fond rouge. Elles se blasonnent ainsi : « De gueules aux deux bars adossées d'or ».

Quelques exemplaires de ces anciennes armoiries ont été conservés jusqu'à nos jours, soit sur des vitraux, soit sur des sceaux ou des pierres tombales: 

- ainsi sur une verrière médiévale du temple Saint-Étienne de Mulhouse fabriquée vers 1330 et peut-être financée par Jeanne de Ferrette,

- sur un autre vitrail médiéval du Augustiner Chorherrenstift à Sankt-Florian près de Linz en Haute-Autriche,

- sur un blason en verre exposé au Musée du verre à Corning dans l’État de New-York aux U.S.A. comportant la légende « Comes de Firetis » (comte de Ferrette), 

- sur les sceaux et/ou contre-sceaux (leur revers) de certains comtes (Frédéric II, Thiébaut), déposés aux Archives Départementales du Haut-Rhin à Colmar,

- sur la dalle funéraire du comte Thibaut de Ferrette au musée lapidaire de la chapelle St-Jean à Mulhouse.

Histoire du Sundgau

En 1324 lorsque Jeanne de Ferrette épouse Albert II d'Autriche, le comté de Ferrette passe aux mains des Habsbourg durant plus de trois siècles. Le comté est alors administré par des baillis mais conserve ses armoiries. Ainsi on les retrouve à l'hôtel de ville de Ferrette dans le bureau du maire, sur un blason millésimé 1572 taillé dans la pierre, également au-dessus d'une colonne torsadée dans la salle du conseil, et aussi sur la façade au-dessus de la porte d'entrée faisant face aux armes des Habsbourg et datées de 1570. Elles sont également sculptées en haut des deux piliers de l'ancienne porte sud de la ville (rue St-Bernard). Ces mêmes armes figurent aussi sur les étendards et bannières des troupes ferrettiennes combattant aux côtés des Habsbourg.

Actuellement la ville de Ferrette a comme armoiries officielles la réplique exacte du blason des comtes, mais au cours des siècles passés ce ne fut pas le cas. Selon l'Armorial de France établi sur l'ordre de Louis XIV en 1696 par Charles d'Hozier, juge général des armes et blasons de France, les armoiries de la ville comportaient alors les deux bars adossés mais d'argent et non d'or, et sur un fond bleu et non rouge (en héraldique « d'azur aux deux bars adossés d'argent »). Ces vieilles armoiries de la ville sont d'ailleurs sculptées et peintes sur l'ancienne chaire du XVIIIe siècle de l'église paroissiale, conservée au musée de Ferrette.

Les armoiries du Sundgau adoptées en 1988 comportent également le blason de Ferrette où il est associé à celui des Habsbourg d'Autriche et en partie à celui de Mazarin (« de gueules à la fasce d'argent accompagné en chef de trois étoiles d'or et en pointe de deux bars adossés d'or »).

Pendant les luttes sanglantes du Moyen-Age, les Ferrettiens, victimes de nombreuses agressions (Compagnies anglaises du sire de Coucy, Bâlois, Soleurois, Confédérés suisses, Bourguignons, Suédois, par exemple) étaient réputés pour leur bravoure et avaient une grande habitude des armes. Les sujets de la seigneurie en âge de se battre étaient tenus de se présenter en armes aux revues militaires et de marcher en temps de guerre sous l’étendard de Ferrette. Ils combattaient constamment et loyalement aux côtés de leurs seigneurs sous leur célèbre bannière aux deux bars connue au loin.

L'étendard était confié à un officier spécial dit Banneret ; celui-ci était choisi parmi les plus vaillants et élu par le collège des bourgeois. Voici l'allocution qui lui était alors adressée :

« X…, comme c'est votre désir et votre vœu de porter la bannière, vous saurez que vous devez à ce titre tôt ou tard, -quand il arrive que, pour la défense du pays et de ses habitants, la grande bannière de la Seigneurie de Ferrette doit marcher contre l'ennemi à la tête des sujets,- y sacrifier votre corps et votre vie. Si l'ennemi vous coupe la main droite, vous la saisirez avec la main gauche ; si l'ennemi vous coupe la main gauche, vous la saisirez avec votre bouche et vous marcherez ainsi à l'attaque de l'ennemi. Tant que vous serez en vie et tant que vous aurez un souffle, vous ne l'abandonnerez pas. Vous veillerez sur votre bannière avec autant de sollicitude qu'en a eu le disciple bien-aimé, lorsque Jésus-Christ notre Seigneur, lui eut recommandé sa chère et digne mère Marie». Là dessus, X… répond que « si tels n'avaient pas été ses sentiments il n'aurait pas sollicité cet honneur. Alors il jure, la main levée, d'y laisser corps et vie, de ne pas s'en séparer tant qu'il vit et le peut, de la garder jour et nuit, et de la rapporter. »

Malgré l'engagement des Ferrettiens et l'acharnement à sauver leur bannière, ils subissent néanmoins quelques cuisantes défaites, seuls ou aux côtés des Habsbourg, et la bannière reste parfois aux mains des ennemis.

Ainsi le 9 juillet 1386 lors de la bataille de Sempach dans le canton de Lucerne où les Habsbourg affrontent les confédérés suisses, la grande bannière de Ferrette reste sur le champ de bataille au milieu de nombreux Ferrettiens morts en même temps que l'archiduc Léopold IV, le fils de Jeanne de Ferrette, et de nombreux nobles alsaciens.

Le 15 août 1474 les Bourguignons de Charles le Téméraire attaquent les Sundgauviens aux environs d'Oberlarg. Ces derniers, débordés par une importante cavalerie ennemie, soutiennent une lutte à mort et 90 Ferrettiens perdent la vie dans ce combat sanglant. L'histoire ne dit pas si la bannière a pu être sauvée.

Le 30 novembre 1460 une troupe de 116 Soleurois, décidés à nuire aux Habsbourg, fait une razzia dans la seigneurie de Ferrette et se replie vers Délémont avec son butin. Elle est poursuivie par 300 Ferrettiens qui la rattrapent à Courrendlin, mais les Ferrettiens sont défaits et obligés de se replier en abandonnant leur bannière aux Soleurois. À l'instar des trophées de guerre, la bannière est suspendue dans l'église Sankt-Urs puis dans celle de la Barfüsserkirche à Soleure. À partir de 1614 l’étendard est transféré au Zeughaus (l'Arsenal) dont la construction vient d'être achevée. Depuis 1907 l'ancien arsenal est devenu un musée des armes (Museum Altes Zeughaus) et la bannière de Ferrette, bien que n'y étant pas exposée, est gardée dans les réserves du musée sous le numéro d'inventaire MAZ 1133 – Banner des Grafen von Pfirt. Avec ses couleurs fanées, elle est relativement bien conservée, mesure 83 cm de long sur 65 cm de haut et ses deux bars sont menaçants avec leurs gueules ouvertes et dentées, afin d'impressionner l'ennemi.

Lors de la fête de la Libération qui a eu lieu à Ferrette les 1er et 2 septembre 1945, une délégation suisse de Soleure a remis officiellement à la ville de Ferrette une fidèle copie de son ancienne bannière qui lui fut ravie il y a 500 ans. De nos jours elle est suspendue dans la montée d'escalier de l'hôtel de ville. Le texte qui l'accompagne, écrit par le gouvernement du canton de Soleure, précise que la bannière retourne aujourd'hui dans sa patrie lors des fêtes de la Victoire et de la Libération, et souhaite qu'elle ne connaisse plus jamais le joug d'une occupation étrangère.

Jeanne de Ferrette et ses ancêtres

L’illustre famille des comtes de Ferrette (Grafen von Pfirt en allemand) est la première dynastie à avoir marqué le Sundgau, En étudiant l’histoire du comté de Ferrette, on se rend vite compte que ce territoire au sud de l’Alsace se rattache intimement à des territoires du Nord-Est de la France : Alsace bien sûr, mais aussi Lorraine et Franche-Comté – et de Suisse : Porrentruy, Delémont, et surtout Bâle.

À la mort du dernier comte de Ferrette Ulrich III, le comté de Ferrette (en allemand : Grafschaft Pfirt) correspondait aux territoires de trois seigneuries principales : Ferrette, Altkirch et Thann, auxquelles furent rajoutées celles de Belfort, de Delle et de Rougemont. Le comté doit son nom au château de Ferrette, également siège du pouvoir comtal. Connu sous le nom de Pfirt en allemand et Ferrette en français, les documents latins d’époque le réfèrent aussi sous les appellations Phirrete, Fierritum ou Ferreta. Le comté de Ferrette était à cheval sur deux zones linguistiques : romane et germanique. Spirituellement, il dépendait du diocèse de Bâle. Ce n’est qu’après la Révolution française que l’ensemble du département du Haut-Rhin (dont Belfort) fut relié au diocèse de Strasbourg.

Pour trouver les ancêtres des comtes de Ferrette, il faut remonter très loin dans le passé, autour de l’an mil. En ce temps-là vivait Louis de Mousson, dont les possessions comprenaient plusieurs territoires de l’actuel Nord-Est de la France, en Lorraine, Franche-Comté et Alsace.

L’aïeul des comtes de Ferrette, Louis IV de Mousson et de Bar était un noble de langue romane originaire du château en ruine qui se trouve sur la Butte de Mousson en Lorraine. Il serait né vers 1015 et mort autour de 1075. On ignore les lieux de sa naissance et de sa mort. Louis avait pour mère Mathilde d’Eguisheim (sœur du pape Léon IX) et pour père, Richwin, comte de Scarpone (aujourd’hui Dieulouard au Nord de Nancy). Par son mariage avec Sophie de Bar en 1033, il devint comte de Bar et seigneur de Mousson. Ce mariage était voulu par l’oncle de Sophie, Conrad II le Salique. L’empereur du Saint-Empire romain germanique souhaitait renforcer son influence face aux signes d’agitation et de révolte dans cette partie occidentale de l’Empire nouvellement créé (en 962). Le comté de Montbéliard, fief de l’Empire, apparu vers 1032. À la mort du roi de Bourgogne, celui-ci n’ayant pas d’enfants, sa succession revint à Conrad II. Afin de stopper les velléités de revanche du comte Renaud de Bourgogne qui revendiquait l’héritage et voulait accroître ses possessions en Alsace, Conrad II constitua une entité puissante sur la Porte de Bourgogne. Il regroupa les terres d’empire d’Ajoie-Elsgau aux possessions sud-alsaciennes. Le passage vers ces terres était contrôlé à l’ouest par les fortifications de Montbéliard et fut confié à un homme sûr et proche de l’empereur, notre Louis de Mousson ! Le territoire attribué à Louis dans la région de Montbéliard incluait également les seigneuries de Delle et de Belfort, Ferrette et Porrentruy. En fait, il englobait plus ou moins le Sundgau actuel (le sud de l’Alsace). Enfin, du côté de Sophie de Bar, la tradition fait remonter l’arbre généalogique de sa famille au grand Charlemagne lui-même !

Le fils aîné de Louis de Mousson fut Thierry de Montbéliard (vers 1045-1103). Le 2e comte de Montbéliard prit le nom de Thierry Ier. Dans ses possessions lorraines (comté de Bar et seigneurie de Mousson), il était plutôt connu sous le nom de Thierry II. Pendant les 7 dernières années de sa vie, il reçu le comté de Verdun à titre viager. À la mort de son père Louis, Thierry revendiqua la succession du duché de Lorraine. L’empereur Henri IV ne le souhaitant pas, il ravagea l’évêché de Metz en représailles. Il fut vaincu par Adalbéron III, évêque de Metz et Thierry II, duc de Lorraine. Pour se faire pardonner, il fonda une abbaye à Haguenau en 1074 et fit reconstruire l’église de Montbéliard en 1080.

Thierry Ier de Montbéliard épousa Ermentrude de Bourgogne en 1065, fille du comte de Bourgogne. Le couple eut plusieurs enfants. Chacun reçut une partie du territoire en héritage : Thierry II (1081-1163) conserva le titre de comte de Montbéliard. Frédéric Ier (mort en 1160) devint le premier comte de Ferrette et reçu des biens en Lorraine, notamment à Amance (près de Nancy) Renaud Ier (1090-1150) prit possession du comté de Bar (autour de Bar-le-Duc) et de la seigneurie de Mousson. Étienne (mort en 1162), déjà évêque de Metz, reçut des biens en Lorraine.

Frédéric Ier devint le premier comte de Ferrette à la mort de son père, Thierry Ier comte de Montbéliard. Il choisit de garder les mêmes armoiries que celles des comtes de Bar et de Montbéliard, à savoir deux bars adossés (ou deux poissons). Son frère Thierry II, comte de Montbéliard, fit construire sur une colline escarpée au-dessus de la Savoureuse un château. On l’appela Belfort. Le comté de Frédéric de Ferrette s’étendant jusqu’à la colline d’en face, il décida d’y dresser à son tour une forteresse, le château de Montfort, pour un motif justifié de défense. Ce site est celui de l’actuelle Tour de la Miotte qui figure sur le blason de la Ville de Belfort. Il est raisonnable de penser que les relations entre les deux frères étaient bonnes. Thierry avait apparemment si mauvais caractère qu’il fut chassé par ses sujets barrois. Toutefois, le rapport entre les deux familles se dégrada lorsqu’en 1162, le comté de Montbéliard passa sous l’influence de la Bourgogne par les familles de Montfaucon et de Chalon. En effet, Thierry III, le fils ainé de Thierry II, mourut avant son père. Le deuxième enfant était une femme, Sophie. Héritière du comté de Montbéliard, elle mourut elle aussi avant son père. Or, elle avait eu un enfant de son mariage avec Richard II, comte de Montfaucon. Ce fut donc leur fils Amédée II de Montfaucon qui succéda à son grand-père. À partir de ce moment, les Ferrette et les Montbéliard eurent une longue histoire commune faite d’événements heureux ou de conflits d’intérêts.

Louis Ier (vers 1161-vers1193) est le fils du premier comte de Ferrette, Frédéric Ier. Il se démarqua des autres comtes de Ferrette par son voyage en Palestine, aux côtés de l’empereur Barberousse. Au service de l’empereur, Louis Ier participa à la Troisième Croisade. Présent au siège de Saint-Jean-d’Acre, il trouva la mort au cours des combats

Fils (ou petit-fils ?) de Louis Ier, Frédéric II (1197-1232) eu la réputation d’un homme sans scrupules, au caractère violent et orgueilleux. De toute l’histoire des comtes de Ferrette, le gouvernement de Frédéric est le plus agité. Il guerroya contre Richard III de Montbéliard et contre l’abbaye de Murbach pour étendre ses possessions. D’après la Charte de Lucelle (1215), la ville d’Altkirch lui doit sa création.

Vers 1225-1226, Frédéric fit la guerre contre son voisin, le comte de Montbéliard, pour la possession de la forteresse de Belfort. Le site était en effet stratégique : la clé de l’Alsace et du comté de Bourgogne (l’actuelle Franche-Comté). Le Traité de Grandvillars du 15 mai 1226, seule source de l’histoire de cette guerre, réconcilia les belligérants. Preuve de la paix retrouvée, Alix, fille du comte de Ferrette, épousa le futur comte de Montbéliard Thierry III (1205-1283) et donna naissance à Richard de Montfaucon. Mais le traité est un document hautement historique : il s’agit de la première mention connue du château de Belfort.

Mais la vie tumultueuse de Frédéric II le menèrent à sa perte. L’un des épisodes les plus retentissants de son règne fut l’enlèvement de l’évêque de Bâle, Henri de Thoune et son emprisonnement à Altkirch. Une fois délivré, l’évêque ne tarda pas à se venger du comte. Il lui ordonna (ainsi qu’aux habitants d’Altkirch) de subir la peine du Harnescar. Cette humiliation publique consistait à porter un chien sur ses épaules du Spalentor à la cathédrale de Bâle pour solliciter humblement le pardon de l’évêque.

Peu de temps après le triomphe de Henri de Thoune, Frédéric II fut mystérieusement assassiné en son château de Ferrette. La rumeur publique s’empressa de désigner son fils aîné, Louis le Furieux, comme l’auteur du crime. Il fut aussitôt excommunié et banni, tandis que son frère Ulrich prit possession du comté. Celui-ci continua à régner sur le comté pendant 40 ans après les faits sous le nom de Ulrich II. Ce n’est que 600 ans plus tard que l’on découvrit un acte conservé à l’abbaye de Lucelle relatant les confessions d’Ulrich sur son lit de mort. En invoquant le pardon de Dieu, celui-ci déclara être le véritable assassin de son père. Si cette histoire n’est pas un conte de fée, il s’agit néanmoins d’une énigme dont aurait pu s’inspirer Agatha Christie !

Le 15 janvier 1271 le comte Ulrich II, avec l’accord de son fils Thiébaud vendait à l’évêque de Bâle ses possessions du Sundgau pour 850 marks d’argent. L’évêque les lui rendit immédiatement en fief, devenant ainsi son suzerain. L’acte de vente est aujourd’hui une excellente source d’information qui nous permet de se faire une idée sur l’étendue du comté de Ferrette : le château et la ville de Ferrette, les châteaux de Sogren (Soyhières), de Blochmunt (Blochmont), de Lewenberc (Loewenburg), de Morsberc (Morimont), Liebenstein, le château et la ville d’Altchilche (Altkirch), Ameratswilre (Ammertzwiller), Sphebach (Spechbach), Hohennac (Hohnack), Winnecke (Wineck), une courtine dans Cernay avec ses attenants, tant dans la ville qu’au dehors… les cours de Turlestorff (Durlinsdorf), de Buchswilre (Bouxwiller), de Ruodensbach (Riespach), d’Altkilche (Altkirch) avec les fermes qui en dépendent, de Sphebach (Spechbach), d’Ameratswilre (Ammertzwiller), de Brunnehoubten (Burnhaupt), Schweichusen (Schweighouse), les villages de Tanne (Thann) et de Domarkilche (Dannemarie), avec les hommes, avocaties, les vignes, les champs… et généralement toutes les choses qui nous appartiennent par droit de propriété, à quelque droit et à quelque titre qu’elles soient énumérées, à l’exception du château de Schonenberg et de la cour de Illevurt (Illfurth). L’héritier d’Ulrich II est Thiébaud (ou Théobald) de Ferrette (1275-1315). Ce guerrier dans l’âme eut pour fils le dernier comte de Ferrette, Ulrich III

Ulrich III (mort le 10 mars 1324) épousa, vers les années 1300, Jeanne de Montbéliard, fille du comte Renaud de Montbéliard. Il reçut en dot de son épouse les seigneuries de Rougemont et de Belfort.

Le comte était inquiet au sujet de la transmission de ses possessions qu’il tenait de l’évêque de Bâle. Après neuf années de mariage, il n’avait eu que deux filles (Jeanne et Ursule), et aucun fils. Selon toute logique, en l’absence d’héritiers mâles, son territoire serait revenu à l’évêché de Bâle. Le 30 mai 1318, Ulrich III rencontra donc à Delémont l’évêque de Bâle. En reconnaissance des services qu’Ulrich lui avait rendus, l’homme d’église consentit à accepter que la transmission du comté de Ferrette se fasse par l’intermédiaire de sa fille aînée, Jeanne.

Pour obtenir l’assurance d’un tel arrangement, le comte de Ferrette s’adressa au Pape lui-même. Jean XXII entendait mettre l’autorité temporelle du pape au-dessus de celle de tous les souverains de la chrétienté. Ulrich III manifesta une certaine prudence à en avertir le chef de l’église. Une bulle papale datée d’Avignon le 25 janvier 1320 confirma l’accord entre le comte de Ferrette et l’évêque de Bâle. Toutefois, le pape y ajouta une clause qui lui avait probablement été suggérée par l’évêque. Il réserva que, dans le cas où le comte de Ferrette n’aurait pas d’enfants mâles pour héritiers, l’archevêque de Besançon devait veiller à ce que les filles du comte ne prennent leurs époux que dans le voisinage du diocèse de Bâle. Ceci afin qu’ils fussent à proximité pour porter secours à l’évêque de Bâle. On voulait par là éviter le danger de voir passer le comté de Ferrette entre les mains de quelques princes trop puissants pour l’église de Bâle.

Sentant sa mort proche, Ulrich se rendit à Bâle et écrivit le 7 mars 1324 un testament devant l’Officialité de l’évêché de Bâle. Il stipula les modalités de la transmission du comté de Ferrette à sa fille Jeanne selon les accords passés. Ulrich III de Ferrette mourut à Bâle trois jours plus tard, le 10 mars 1324 et son corps fut inhumé dans l’église des Franciscains de Thann, en présence de Jeanne et de son futur époux, Albert II de Habsbourg. Son cœur fut cependant déposé à l’abbaye de Lucelle.

Quelques jours après le décès, la succession fut organisée ainsi que le mariage de l’héritière du comté de Ferrette et du duc Albert de Habsbourg. Un contrat de mariage fut rédigé et signé le 17 mars 1324 à Thann. L’accord fut avalisé par l’archevêque de Besançon le 26 mars 1324 à Masevaux. Ceci laisse penser que l’union entre les Ferrette et les Habsbourg avait été organisé bien en avance, du vivant d’Ulrich III et de sa femme Jeanne de Montbéliard. Jeanne de Ferrette apporta à son mari Albert II de Habsbourg : le titre de comte de Ferrette, ce qui assure la protection de son héritage. la réponse à une nouvelle contrainte des Princes Électeurs du Saint-Empire : descendante de Charlemagne, Jeanne de Ferrette permit aux Habsbourg de reconquérir la couronne impériale. Malgré l’accord de l’archevêque de Besançon, l’évêque de Bâle fut très mécontent de cet arrangement et le fit savoir auprès du pape… sans succès ! Son vassal devint donc les très puissants Habsbourg !

À la signature du Traité de Westphalie à Munster le 24 octobre 1648, Louis XIV reconnaissant donna le titre de comte de Ferrette au Cardinal Mazarin en 1659. En 1777, Louise-Félicité-Victoire d’Aumont-Mazarin, descendante de la nièce de Mazarin, épousa Honoré IV Anne-Charles-Maurice. Celui-ci était duc de Valentinois (région de Valence) et surtout un Grimaldi, prince de Monaco. De nos jours, les Grimaldi portent toujours le titre de comte de Ferrette. Albert II de Monaco est donc l’actuel comte de Ferrette, de Belfort, de Thann et de Rosemont, baron d’Altkirch et seigneur d’Issenheim.

Matthieu Denni

Pour poursuivre sur l'histoire du Sundgau et des Habsbourg : http://www.isundgau.com/07-le-sundgau-et-les-habsbourg/

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