Une éthique pour aujourd'hui, un vitrail par semaine - Désaltérer ceux qui ont soif

18 février 2022

95/9-1 : SITIVI ET DEDISTI MIHI POTUM

Mt 25, 35 j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire

ἐδίψησα καὶ ἐποτίσατέ με ; édipsèsa kai épotisaté me

Une femme, magnifiquement vêtue, tenant un pot et donnant à boire à un homme dont la pauvreté est signifiée par la simplicité de sa tunique et ses pieds nus. Noter la disproportion de taille entre les personnages qui souligne la différence de condition sociale.

Les « charités évangéliques » qui forment, avec les « vertus », le sujet de ce Précis de morale chrétienne à l'usage de la population mulhousienne que forment ces deux verrières 8 et 9 de nos vitraux du temple Saint-Étienne, s'attachent à ce qui est vital pour l'être humain, quelle que soit sa condition et son époque, ici il s'agit de la soif qu'il faut désaltérer.

Nous avons vu qu'une autre parole du Christ « J'ai eu faim » a été remplacée par les devoirs à rendre aux morts (91/8-3 « j'étais mort et tu m'as enseveli » qui ne se trouve pas dans l'évangile) et si nous ne savons pas les raisons qui ont poussé les commanditaires de nos vitraux à faire ce choix, on peut cependant conjecturer qu'ils associaient à la soif une autre parole du Christ, celle des Béatitudes « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice » (Matthieu 5, 6 , voir notre méditation de cette béatitude : https://sermulhouse.blogspot.com/2020/04/heureux-ceux-qui-ont-faim-et-soif-de.html).

C'est précisément l'une des originalités de la compréhension évangélique du monde et des relations des hommes entre eux que de lier indissolublement la quête du bonheur et la miséricorde. Le chrétien, c'est-à-dire celui qui cherche à vivre suivant l'exemple de Jésus-Christ, est celui qui ne cherche pas son bonheur dans la richesse ni dans la réussite matérielle ou sociale ni dans le détachement philosophique mais dans une solidarité réelle avec les faibles, les démunis, les affligés et les délaissés, avec les solitaires et les marginalisés, tout ceux qui sont « sans » : « sans abri », « sans papiers », « sans droits », « sans logements décents », la liste est longue de tous ceux qui doivent « vivre sans »1 !

La pitié dont nous avons à faire preuve envers nos frères et sœurs est aujourd'hui une notion totalement galvaudée et remisée au chapitre des vieilles lunes. Elle est pourtant au cœur de l'évangile comme de la spiritualité biblique et prophétique. Pitié, bonté, amour, charité, miséricorde, bienveillance, grâce, font partie d'un même arbre sémantique et l'hébreu utilise le même mot pour les désigner : checed (חָ֫סֶד, kheh’-sed) qui correspond au grec leeἶn (eleein, d'où dérive le terme eleeo, ἐλεέω, miséricorde que l'on retrouve justement dans les Béatitudes). La leçon des psaumes, des prophètes et des évangiles est qu'il n'y a pas de « piété » sans « pitié ».

Autrement dit, qu'il n'y a pas de foi qui ne s'incarne dans une réelle miséricorde, une réelle charité, miroirs de la grâce et de la miséricorde de Dieu envers nous. Ces termes sont redondants, c'est-à-dire qu'ils se renforcent réciproquement et se conditionnent mutuellement. « Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne peut aimer Dieu qu'il ne voit pas » nous dit l'auteur de la première lettre de Jean (1 Jean 4, 20) et nos vitraux soulignent que cet amour n'est pas de l'ordre du sentiment mais bien des actes concrets et tangibles. Il ne suffit pas de dire « j'aime Dieu et j'aime l'humanité », encore faut-il que cette charité se manifeste dans ses deux modalités.

Aimer Dieu, n'est-ce pas exprimer une profonde reconnaissance pour le monde qui nous est donné ? Apprécier la beauté du monde et la bonté qui s'y manifeste ? Aimer l'humanité, n'est-ce pas rechercher en toutes choses cette beauté et cette bonté ? Élever l'homme à la hauteur de l'humanité, rassasier cette faim et cette soif de « justice », cet autre synonyme biblique de « miséricorde » ? Aimer Dieu et l'humanité d'un même élan, n'est-ce pas lutter contre tout ce qui avilit, dégrade et humilie ? Au premier chef la misère et la pauvreté, mais aussi tous les rapports d'exploitation et de violence qui font des hommes et des femmes des moyens sans les considérer comme des fins ?

C'est dans ce double mouvement de reconnaissance pour le monde tel qu'il nous est donné et de lutte continuelle pour sa transformation afin qu'il réponde à l'utopie du Règne de Dieu que se trouve l'exigence éthique de l'évangile. Et c'est à ce titre qu'il faut saluer l'engagement sans faille de tous ceux qui se mobilisent dans ces innombrables associations d'aide aux plus pauvres, qu'il s'agisse d'associations laïques ou religieuses, connues ou méconnues qui sont, chacune à leur manière la concrétisation de notre vitrail.

Roland Kauffmann

1 Voir à ce propos Vivre sans ? Frédéric Lordon, La Fabrique, 2019

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire