Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !

Dimanche 12 avril – dimanche de Pâques
Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !
(Makarioi hoi ptôchoi tô pneumati Hoti autôn estin hê basileia tôn ouranôn)

L'Esprit du Seigneur est sur moi,
Parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ;
Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé,
Pour proclamer aux captifs la délivrance,
Et aux aveugles le recouvrement de la vue,
Pour renvoyer libres les opprimés,
Pour publier une année de grâce du Seigneur.
Ésaïe 61, 1

L'unité poétique des Béatitudes est marquée par des répétitions. La première et la huitième ont en commun d'être au présent, alors que les autres sont au futur, et de faire référence au « royaume des cieux » comme étant la promesse associée aux « makarioi», le pluriel de makarios. Un signe déjà que l'on ne peut jamais être heureux au singulier mais que c'est toujours dans un cadre collectif, au sein d'un peuple, d'une communauté ou d'une société, que le bonheur peut se manifester.

Cette notion de « royaume des cieux » est caractéristique de la culture hébraïque (la culture hellénistique classique distinguant entre le lieu où sont « ceux qui ne meurent pas » et les ombres, séjour des « hommes qui meurent »). Promettre le royaume des cieux, c'est promettre d'entrer dans l'espace réservé au divin car « L’Éternel a établi son trône dans les cieux, Et son règne domine sur toutes choses. » (Psaume 103, 19) et les prophètes d'Israël faisaient déjà cette promesse mais pas à n'importe qui. Ainsi Ésaïe dans le texte que nous avons placé en exergue. Ce passage du livre d'Ésaïe est exactement celui que l'évangéliste Luc place dans la bouche de Jésus lors de sa première apparition publique dans la synagogue de Nazareth (Luc 4, 18-19).

Cette première prédication a pour Luc la même fonction que le Sermon sur la montagne pour Matthieu, servir de préambule et de clé d'interprétation pour l'ensemble du récit qui va suivre. Elle nous permet aussi de comprendre de qui parle Jésus lorsqu'il parle des « pauvres en esprit ». Ce sont justement ceux qui sont désignés par Ésaïe comme les destinataires de la bonne nouvelle.

En hébreu, les concepts de « pauvre » et de « humble » sont désignés par le même mot (anav) qui par extension désigne d'une manière générale les malheureux, les opprimés. Lorsque Matthieu utilise le terme de « pauvre », c'est à partir de cet arrière-fond culturel et y ajouter la notion « en esprit » (pneuma), c'est signifier qu'il ne s'agit pas seulement de la pauvreté matérielle, de la misère, mais plus largement d'une forme d'humilité spirituelle. Celle-là même qui caractérise Jésus lorsqu'il se présente comme étant « humble de cœur » (Matthieu 11, 29)

La pauvreté spirituelle est une forme d'humilité du cœur. Il s'agit de prendre acte du sentiment de vide qui est au cœur de l'homme, le sentiment de l'absurde de nos existences, pour reprendre les termes d'Albert Camus. Être « pauvre en esprit » c'est prendre conscience que nous ne sommes pas ce que nous croyons être, que nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes. Qu'aucune de nos réalisations ne nous survivra si elle n'aura été marquée du don de soi au bénéfice d'un autre. La pauvreté spirituelle n'est autre chose que se reconnaître débiteur de notre existence et nous débarrasser des prétentions de réussite personnelle. C'est comprendre que nous ne sommes pas notre origine et qu'il n'y a, pour être heureux, qu'un seul chemin, celui qui passe par l'autre. Il n'y a pas de bonheur qui puisse être pour soi seul. Ce que soulignait Sénèque pour qui « nul ne peut couler ses jours dans le bonheur qui ne considère que soi (…) Vis pour autrui si tu veux vivre pour toi » (Lettres à Lucilius V, 48, 2). 

La force des béatitudes est d'inscrire cette promesse du royaume des cieux dans notre présent et d'en faire une réalité. À chaque fois que nous reconnaissons que nous avons d'abord reçu et nous disposons à recevoir encore, tout en assumant notre responsabilité de donner de notre temps, de notre énergie, de notre argent, de notre compassion. « Être pauvre en esprit », en temps de crise sanitaire, c'est vouloir être vraiment solidaire de tous nos frères et sœurs en humanité.

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Durant la période du confinement, nous continuons à vous proposer des méditations quotidiennes. C'est une manière de réfléchir au monde que nous voulons construire ensemble après cette crise dont nous tardons encore à comprendre toutes les conséquences.

Après la méditation du Notre Père, revu et corrigé par Simone Weil, c'est avec les Béatitudes que nous continuons notre série.

Les méditations sont publiées chaque jour à 10h, elles peuvent aussi vous être envoyées chaque jour sur simple demande.

Samedi 11 avril, introduction "Quel est le sens des béatitudes ?"
Lundi 20 avril Quelles Béatitudes pour notre temps ?

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