Un vitrail par jour 80

26 mars 2021 

Le salut du monde

Le jugement dernier. En bas, entourant Marie, les saints sont agenouillés, en prière. Dans le fond, deux morts nus sortent de leurs tombes. Les instruments de la Passion sont à droite, la croix et la main trouée, et à gauche du Christ, la lance et l'éponge.

Apocalypse 20, 11-13

11 Puis je vis un grand trône blanc, et celui qui était assis dessus. La terre et le ciel s’enfuirent devant sa face, et il ne fut plus trouvé de place pour eux. 12 Et je vis les morts, les grands et les petits, qui se tenaient devant le trône. Des livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs œuvres, d’après ce qui était écrit dans ces livres. 13 La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux ; et chacun fut jugé selon ses œuvres.

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Notre histoire touche à sa fin. Souvenez-vous, nous avions laissé Adam et Ève chassés du jardin d’Éden sous la menace d'un ange armé d'une épée (vitrail n°4). Ce vitrail avait la particularité de représenter Adam et Ève, encore à l'intérieur du jardin et se dirigeant vers sa porte alors que la plupart des représentations contemporaines et postérieurs les représentent déjà à l'extérieur. L'histoire, notre histoire humaine, commençait lorsque Adam et Ève étaient jetés dans le temps et dans l'espace. À l'espace bien délimité du jardin succédait l'immensité de la terre qu'il fallait désormais cultiver ; au temps éternellement suspendu du paradis terrestre succédait la durée du temps qui passe.

À cette sortie du jardin répond maintenant l'irruption du divin dans le monde. Ce ne sont plus Adam et Ève qui sont chassés mais le Christ qui vient dans notre monde pour selon la confession de foi de l'Église universelle « juger les vivants et les morts ». L'artiste les représente les uns et les autres, les morts sortent de leurs tombeaux et les vivants sont dans l'attente mais ni ces vivants ni ces morts ne sont dans le lointain futur. Ce sont Marie et les disciples qui le voient venir et l'intuition de l'artisan touche ici à la profondeur théologique de manière bien plus spirituelle que l'auteur du Speculum Humanae Salvationis ne peut le faire.

En effet, la compréhension du jugement dernier qu'expose Ludolphe de Saxe est profondément traditionnelle. Il place ce jugement dernier dans un temps lointain, la fin des temps, celui de la disparition totale et définitive du monde que nous connaissons et le jugement du Christ sera d'ailleurs « très étroit ». Pour la théologie chrétienne médiévale, le pardon de Dieu ne concerne pas les damnés ni les réprouvés, Jésus n'est d'ailleurs pas allé les chercher dans leur cercle de l'enfer (n°61) et nous verrons quel est le sort qui leur réservé après le jugement (n°83). Pour Ludolphe cette absence de pardon divin n'est que justice et répond au besoin que nous avons d'une justice réparatrice des torts subis par ceux qui ont fait le choix d'une vie pieuse et vertueuse ici-bas. Et notre auteur de se livrer à une débauche de comparaison entre les biens de ce monde, c'est-à-dire ses péchés, notamment ceux qui l'obsèdent, l'orgueil, l'avarice et la luxure et les biens célestes réservés à ceux qui les ont déjà choisis ici-bas.

Loin de cette vision étroite, le verrier ne représente pas des saints anonymes d'un futur hypothétique mais bel et bien ceux du temps de Jésus. Il reprend la conviction des premiers chrétiens d'un retour du Christ de leur vivant comme l'affirmait l'apôtre Paul mais aussi Jésus lui-même dans son grand discours sur la fin des temps : « cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive » (Matthieu 24, 34). Or cette génération est passée et beaucoup d'autres jusqu'au temps de nos vitraux sans parler du nôtre. La théologie a trouvé la solution à ce problème en renvoyant le jugement à un futur si lointain qu'il en devient intemporel. 

Prendre la Parole de Dieu au sérieux 

Alors que notre verrier, en représentant des personnages bien réels, mais du passé, prend la parole du Christ au sérieux et signifie au contraire que le jugement a bel et bien déjà eu lieu. C'est fait et il n'y a plus à y revenir et il continue de se faire ici et maintenant, dans notre présent et notre réalité, celle de notre monde et de notre vie.

L'irruption de Dieu dans notre vie et la transformation spirituelle et éthique qu'elle exerce, c'est cela qui nous juge. De même que le récit d'Adam et Ève décrit la condition humaine telle qu'elle est en faisant le constat de la réalité du mal qui ne peut avoir d'explication mais qui est toujours déjà là, avant que nous n'en ayons même conscience et qu'il est plus fort que notre volonté ; ainsi l'image du retour du Christ signifie la nouvelle condition dans laquelle nous sommes lorsque la foi illumine notre existence. Une condition où le mal est toujours là mais où nous savons qu'il n'a pas le dernier mot. Une condition où le pardon et la réconciliation ne sont pas des vaines promesses réservées à un petit nombre d'élus ; où l'amour et la foi sont plus forts que la haine et la désespérance.

Car de même que, tels Adam et Ève, nous sommes tous jetés dans le monde et ses turbulences, livrés à nous-mêmes, littéralement « abandonnés » dans la tourmente d'une vie absurde et sans but (cf. notre méditation de « Ne nous soumets pas à la tentation… »), ainsi nous sortons de nos tombeaux quand le Christ nous rejoint. Le retour du Christ pour le jugement dernier n'est ni pour demain ni pour jamais, il est toujours maintenant ! Le jugement, dernier au sens d'ultime, survient lorsque nous sommes libérés de nos idoles et retrouvons le visage divin, qui aurait toujours dû être le nôtre, ainsi nous redevenons l'image de Dieu au moment où le Christ transforme notre intelligence et notre cœur.

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