Un vitrail par jour 79

25 mars 2021

Protéger et défendre

Tharbis, fille du roi de Saba en Éthiopie défend la ville. Moïse, en armure médiévale complète avec le heaume sur les épaules, gantières et jambières avec éperon à molettes typique du XIVe siècle, passe à cheval devant les murailles. Derrière les créneaux, le roi et sa fille s'entretiennent de lui.

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L'épopée des Falashas, les Juifs d'Éthiopie, a été remarquablement remise en valeur par l'extraordinaire film Va, vis et deviens de Radu Mihaileanu en 2005. Ces Juifs d'Éthiopie se considèrent en effet comme les descendants de l'union du roi Salomon, fils de David et de la fameuse Reine de Saba lors de sa venue à Jérusalem (1 Rois 10). Mais ils auraient pu se rattacher à une autre légende, située à une époque bien plus ancienne encore, à savoir l'union de Tharbis et de Moïse.

Que Moïse ait pu être un général de pharaon, représenté ici en chevalier tel qu'on pouvait encore les voir à l'époque de la réalisation de nos vitraux ajoute encore à la légende de Moïse que nous avons déjà vu briser la couronne de ce même pharaon (vitrail n°30) et nous donne de lui une image bien différente de celle du vagabond rencontrant Dieu au détour d'un buisson ardent (n°18) ou recevant la Loi sur le sommet d'une montagne (n°75). L'épisode, relaté par l'historien juif Flavius Josèphe dans ses Antiquités juives (livre II, chapitre 10), se situe juste avant que Moïse ne soit chassé d'Égypte pour avoir tué un égyptien ayant frappé un Hébreu. S'enfuyant alors au désert de Madian, c'est là qu'il rencontre Dieu. La légende juive signifiait que, alors que les Hébreux espéraient leur libération grâce à Moïse chef de guerre victorieux, elle s'était réalisée grâce à Moïse armé de la seule Force de Dieu. À un Moïse violent, usant des armes des hommes, devait succéder un Moïse devenu prophète de Dieu.

Mais de cela, les commentateurs médiévaux, et Ludolphe de Saxe, en particulier n'en ont cure. Ils sont bien plus intéressés par la personne de Tharbis, cette princesse de Saba qui, admirant la prestance et la force de Moïse, en devient amoureuse et obtient de lui la vie sauve pour tous les habitants de sa ville et la sauvegarde de celle-ci. La Bible parle bien d'une épouse éthiopienne de Moïse mais sans la nommer et donc sans lui reconnaître d'importance (Nombres 12, 1). Tharbis, pourtant, intéresse nos commentateurs en tant qu'elle est pour eux une préfiguration de la Vierge de Miséricorde, protectrice de l'humanité, comme Moïse est une préfiguration du Christ. Protégeant sa ville comme la Vierge protège l'humanité, amoureuse de Moïse comme la Vierge l'est du Christ (!), Tharbis par son aide et son conseil sauve ceux qui n'ont plus d'espérance comme « la Vierge nous défend contre les tentations du diable et les sollicitations des démons ».

Résister au mal

En mettant ainsi l'accent sur la figure féminine protectrice, Ludolphe de Saxe rend, bien malgré lui et sans le savoir, un hommage appuyé à toutes ces femmes qui, dans notre histoire proche ou lointaine, ont pris la défense des plus faibles au péril de leur vie, Louise Labé, Louise Michel, Rosa Luxembourg ou encore Adélaïde Hautval à laquelle une exposition fut récemment consacrée au temple Saint-Étienne. Parmi ces femmes, la jeune juive néerlandaise Etty Hillesum qui aurait eu mille fois eu l'occasion d'échapper à son destin mais qui s'est portée volontaire pour le camp de transit de Westerbork à l'est des Pays-Bas entre 1942 et 1943 pour ne pas abandonner ceux qui allaient être déportés pour une extermination dont elle avait parfaitement conscience. Si elle n'a pas eu la chance de Tharbis de sauver la ville et son peuple, Etty Hillesum n'en a pas moins déployé des trésors d'humanité pour venir en aide à ceux dont la vie ne tenait plus qu'à un horaire de train jusqu'à être elle-même déportée à Auschwitz en septembre 1943 où elle mourra en novembre.

Ainsi, bien plus que Tharbis, et même si Etty Hillesum ne peut être vue comme une préfiguration de la Vierge, n'en est-elle pas moins un exemple de cette miséricorde accordée à tout être humain qui souffre et, qui à la manière de cette autre intellectuelle de culture juive qu'était Simone Weil, a en toute circonstances et en toutes choses chercher à « résister au mal » dans ce qu'il de plus terrible. Bien au-delà des préoccupations de l'orgueil, de l'avarice et de la luxure dont la Vierge aurait à nous protéger selon notre auteur moraliste, c'est à un mal bien plus définitif qu'il nous faut résister, celui de la haine de l'autre. À l'image d'une Etty Hillesum plutôt qu'à l'image de la Vierge.

Roland Kauffmann

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