25 novembre Dieu oui ! Mais quel est son nom ?
Moïse et le buisson ardent ; Moïse agenouillé voit au-dessus de lui, dans une gloire (la forme courbe entre les deux personnages) l'Éternel lequel tient une banderole portant une croix grecque et le mot « ANOCHI » c'est-à-dire le premier mot hébreu de la phrase « Je suis (Anochi אָנֹכִי) le Dieu de ton père » (Exode 3, 6). À noter que lors de la rénovation de 1904, les restaurateurs ont commis une grossière erreur de copie en remplaçant « Anochi » par « Anahi » qui n'a aucune signification ! On peut aussi remarquer que le buisson ardent est vert et explique pourquoi la couleur mariale par excellence au temps de Ludolphe de Saxe n'est pas le bleu comme aujourd'hui mais le vert (cf. la nativité de Marie).
Exode 3, 1-10
1 Moïse faisait paître le troupeau de Jéthro, son beau-père, sacrificateur de Madian ; et il mena le troupeau derrière le désert, et vint à la montagne de Dieu, à Horeb. 2 L’ange de l’Éternel lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson. Moïse regarda ; et voici, le buisson était tout en feu, et le buisson ne se consumait point. 3 Moïse dit : Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume point. 4 L’Éternel vit qu’il se détournait pour voir ; et Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit : Moïse ! Moïse ! Et il répondit : Me voici ! 5 Dieu dit : N’approche pas d’ici, ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte. 6 Et il ajouta : Je suis (Anochi אָנֹכִי ) le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Moïse se cacha le visage, car il craignait de regarder Dieu. 7 L’Éternel dit : J’ai vu la souffrance de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu les cris que lui font pousser ses oppresseurs, car je connais ses douleurs. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens, et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays où coulent le lait et le miel, dans les lieux qu’habitent les Cananéens, les Héthiens, les Amoréens, les Phéréziens, les Héviens et les Jébusiens. 9 Voici, les cris d’Israël sont venus jusqu’à moi, et j’ai vu l’oppression que leur font souffrir les Égyptiens. 10 Maintenant, va, je t’enverrai auprès de Pharaon, et tu feras sortir d’Égypte mon peuple, les enfants d’Israël.
Si l'épisode du buisson ardent lors duquel l'Éternel Dieu se révèle à Moïse est compris par les commentateurs médiévaux comme étant une préfiguration de la Vierge c'est en raison de l'étrangeté même du phénomène d'un buisson qui brûle mais ne se consume pas. Une étrangeté dont l'intention est précisément de signaler que quelque chose de singulier, de l'ordre du divin, est en train de se passer. Et Moïse ne s'y trompe pas et se met immédiatement en position de déférence et d'écoute de ce divin qui se manifeste à lui si étrangement.
Cette étrangeté fait directement référence dans l'esprit de Ludolphe de Saxe et de ses contemporains à cette autre étrangeté qu'est la vie commune de Joseph et Marie après leur mariage. Joseph lui-même est troublé par l'état de son épouse, un trouble manifesté dans l'évangile de Matthieu pour qui Marie était enceinte avant le mariage. Joseph voulant la répudier secrètement, en fut dissuadé par l'intervention de l'ange (Matthieu 1, 18-25). C'est ce parallèle, entre l'ange qui révèle le sens de ce qui est en train de se passer à Joseph et l'Éternel s'adressant à Moïse, qui explique l'analogie de Ludolphe entre le buisson ardent et la situation maritale compliquée de Marie et Joseph. Ludolphe de Saxe tire encore la métaphore lorsqu'il compare Marie au buisson, « comme Dieu habita en le buisson, ainsi en Marie et dans son ventre plein, le buisson soutint le feu sans perdre sa verdeur, ainsi Marie conçut son fils sans perdre sa virginité, Dieu descendit dans le buisson pour la délivrance des Juifs, il descendit dans la Vierge Marie pour notre rédemption ». De manière très élégante, Ludolphe de Saxe fait le parallèle entre la révélation de Dieu à Moïse pour la libération d'Égypte et cette même révélation à Marie pour que Dieu « nous tirât hors d'enfer », l'histoire de l'Église se substituant à celle du peuple d'Israël, ce qui sera une autre des clés de compréhension de nos vitraux.
De quoi le buisson ardent est-il le nom ?
La révélation de Dieu dans le buisson ardent est aussi connue par nos contemporains en raison de la première mention du nom divin « Je suis celui qui suis » (אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה Hayah ascher hayah, je suis l'Être qui ne change pas, Exode 3, 14). Celui qui envoie Moïse délivrer les Hébreux en Égypte, c'est l'Éternel Dieu (יְהוָה אֱלֹהֵי Yahvé Elohim) et il se nomme lui-même Hayah (אֶהְיֶה, Être invariable). C'est la seule occurrence biblique de cette forme du verbe être attribuée à Dieu alors que יְהוָה, l'Éternel, est utilisé près de sept mille fois. Mais ce nom est interdit dans la tradition juive afin de ne pas risquer de prononcer le nom de Dieu en vain conformément à la Loi. Le maître verrier, ou ses commanditaires, ont ici fait preuve d'initiative en utilisant au lieu de Yahvé, cet autre nom par lequel Dieu appelle Moïse : « Anochi » (אָנֹכִי, littéralement « c'est moi ») et qu'il complète dans la formule traditionnelle, « le Dieu de tes pères, Abraham, Isaac et Jacob ».
Le processus de nomination d'une religion est essentiel dans l'élaboration d'une religion. Dire « Dieu est… », c'est toujours une manière de le qualifier et de le situer géographiquement. Ainsi lorsque Héraclès dédie un enclos à Zeus, il précise « à Zeus Cénéen », c'est-à-dire le Zeus qui est au cap Cénéen (Sophocle, Les Trachiniennes). Il ne s'agit pas pour autant d'un Zeus particulier, c'est bien le même Zeus mais qu'il faut qualifier en fonction du lieu et du peuple qui lui rend un culte. De même, lors de la révélation du buisson ardent, le Dieu qui se révèle est associé à un lieu (la montagne où il se trouve) et à une histoire (les pères) et il accompagne son prophète (« Je serai avec toi », Exode 3, 12).
Mais à l'inverse des dieux grecs, en prenant le nom de Hayah, l'Éternel s'individualise en même temps qu'il s'universalise car il ne se déploit pas dans un espace fut-il saint ou consacré mais dans ce qui n'a justement aucune limite, à savoir le temps qui est à la fois ce que nous éprouvons de la manière la plus intime dans son mouvement et ce qui par définition n'a pas de fin. Le temps est ce que nous expérimentons comme fini de la manière la plus radicale qui soit puisque tout passe et a une fin et ce que nous savons être sans fin. C'est ainsi que la révélation du buisson ardent est celle d'un Dieu qui à la fois nous rejoint dans le plus intime et le plus particulier et nous dépasse dans le plus universel qui soit. C'est là que se nouent la plus haute transcendance et la plus profonde immanence. Dans un monde qui change, une seule chose ne change pas. Et cet invariable qui est hors du temps et de l'espace est précisément ce que nous pouvons nommer « Dieu » au sens où l'entend l'évangile (Jean 1, 1).
Nos anciens, bâtisseurs du temple actuel, ne s'y sont pas trompés lorsqu'ils ont inscrit à son fronton « Jesus Christus gestern und heute und derselbe auch in Ewigkeit » (Jésus-Christ hier et aujourd'hui le même pour l'éternité, Hébreux 13, 8) renouant ainsi avec la révélation à Moïse au pied du buisson qui ne perd pas sa verdeur tout en soutenant le feu, véritable confession de foi de l'Église.
Roland Kauffmann
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