26 novembre La preuve de la conception virginale
L'Annonciation de la naissance du Christ. Un ange plie le genou devant Marie, laquelle a une robe vert, et tient un phylactère portant les mots « AVE MARIA GRACIA PLENA » (Salut Marie, pleine de grâce). Marie, la tête nimbée, est debout dans l'embrasure d'une porte; la main droite levêe exprime sa surprise. Une colombe, qui descend du ciel, représente le Saint-Esprit.
Luc 1, 26-38
26 […]l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, 27 auprès d’une vierge fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph. Le nom de la vierge était Marie. 28 L’ange entra chez elle, et dit : Je te salue, toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi. 29 Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation. 30 L’ange lui dit : Ne crains point, Marie ; car tu as trouvé grâce devant Dieu. 31 Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. 32 Il sera grand et sera appelé Fils du Très Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. 33 Il règnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n’aura point de fin. 34 Marie dit à l’ange : Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? 35 L’ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. 36 Voici, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillesse, et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois. 37 Car rien n’est impossible à Dieu. 38 Marie dit : Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ! Et l’ange la quitta.
C'est peu dire que le thème de l'Annonciation est sans doute l'un des plus repris dans l'histoire de l'art, certainement autant que la crucifixion ou la résurrection. L'adresse de l'ange est d'ailleurs aujourd'hui encore l'un des hymnes les plus populaires, en effet l'Ave Maria, qu'il soit de Gounod ou de Schubert est de quasiment toutes les bénédictions de mariage, même pour des couples n'ayant aucune pratique religieuse habituelle. Les grands maîtres de la Renaissance en ont fait également l'un de leur sujet de prédilection. Il suffit de se souvenir de l'extraordinaire Annonciation de Léonard de Vinci ou, plus proche de nous, de celle de Matthias Grünewald dans le Retable d'Issenheim à Colmar.
Nos vitraux sont précisément exemplaires de ce tournant majeur de l'histoire de l'art au XIIIe et XIVe siècle. En effet, sous l'influence de saint Bernard de Clairvaux et des ordres mineurs comme les Dominicains dont Ludolphe de Saxe est certainement l'un des membres, les commentateurs cessent de faire mention de ce que l'on appelle « L'ordalie de Marie et Joseph ». L'ordalie est le jugement de Dieu et elle consistait en l'ingestion d'eau amère, la mort était la preuve du péché et la survie à l'épreuve, le signe de l'action divine. De telles ordalies de Marie sont représentées dans de nombreuses fresques jusqu'au XIIe siècle. Le Speculum Humanae Salvationis s'inscrit dans une volonté théologique de légitimation de la piété mariale en vogue à son époque et que les ordres mineurs, qui sont aussi des ordres prêcheurs tels les Franciscains et les Dominicains précisément, relaient dans leur prédication et leurs manuels de piété.
Une preuve qui se suffit à elle-même
Dans sa description de la conception, Ludolphe récapitule l'ensemble des preuves qui attestent qu'elle n'a pu se faire par fornication et il reprend tous les sujets des précédents vitraux, à savoir le fait qu'elle a vécu toute son enfance dans le temple, que de retour chez ses parents, elle « restait enclose dans sa chambre et là persévérait en oraisons ». Pour attester la conception miraculeuse, il fallait que Marie soit celle qui « jamais ne donnât occasion à quelconque péché » puisqu'elle avait elle-même été conçue en dehors du péché. La méthode de Ludolphe revient à imaginer une Marie hyper vertueuse et à faire de cette vertu la preuve ultime de l'immaculée conception, ce qui est avant tout une tautologie : «il en est forcément ainsi parce que ça ne peut pas être autrement ».
C'est également notre auteur médiéval qui fait mention de la prophétie d'Ésaïe que nous reprennons aujourd'hui encore dans nos liturgies d'Avent et de Noël, « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe, Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, Et elle lui donnera le nom d’Emmanuel [Dieu avec vous]» (Ésaïe 7, 14) alors que l'évangile de Luc n'y fait pas référence et substitue le nom de « Jésus [l'Éternel sauve]» à celui qui était annoncé pour désigner l'envoyé de Dieu. Ludolphe fait ce lien en raison de la référence à « la maison de David, son père » dans l'évangile et inscrit ainsi l'enfant à naître dans la lignée de Jessé (cf. vitrail 11, Le rameau de Jessé). L'élaboration médiévale cherche à tous prix à concilier les deux généalogies, terrestre et céleste. Lorsque nous célébrons Noël, c'est d'une certaine manière l'union du ciel et de la terre que nous célébrons.
Le souvenir des âmes libres
Il faut nous garder de donner trop d'importance à la salutation de l'ange. La formule de bénédiction « tu es bénie entre toutes les femmes » est traditionnelle dans la culture grecque classique en ce qu'elle marque la déférence qui est due à la femme saluée. Ainsi Talthybios, héraut (c.-à-d. « envoyé », « ange ») des Grecs, salue Hécube, reine déchue de Troie vaincue, en disant « Je me porte témoin qu'entre toutes les femmes aucune plus que toi n'aura été bénie ». Mais nous sommes là dans une tragédie car il ajoute « ni plus que toi meurtrie ! ». En effet, il vient de lui relater le sacrifice de sa fille, Polyxène, sur le tombeau d'Achille (Hécube, Euripide, à rapprocher de notre « Fille de Jephté », vitrail 12). La salutation de l'ange à Marie est aussi, avec toute sa solennité, le témoin de la douleur à venir de Marie au pied, non plus du tombeau d'Achille, mais de la croix de son fils. Et c'est en cela que la figure de Marie est digne, non d'adoration, mais au moins de respect comme le sont toutes les mères qui voient mourir leur enfant sous les coups de l'injustice, de l'arbitraire ou de l'oppression et qui, comme Jésus et Polyxène, sont morts « en âme libre ».
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