Gédéon et la toison. Gédéon, en chevalier, le glaive au flanc gauche, le casque à visière avec grand panache, la forme orangée, suspendu à son cou, est à genoux devant la toison miraculeuse.
Juges 6, 36-40
36 Gédéon dit à Dieu : Si tu veux délivrer Israël par ma main, comme tu l’as dit, 37 voici, je vais mettre une toison de laine dans l’aire ; si la toison seule se couvre de rosée et que tout le terrain reste sec, je connaîtrai que tu délivreras Israël par ma main, comme tu l’as dit. 38 Et il arriva ainsi. Le jour suivant, il se leva de bon matin, pressa la toison, et en fit sortir la rosée, qui donna de l’eau plein une coupe. 39 Gédéon dit à Dieu : Que ta colère ne s’enflamme point contre moi, et je ne parlerai plus que cette fois : Je voudrais seulement faire encore une épreuve avec la toison : que la toison seule reste sèche, et que tout le terrain se couvre de rosée. 40 Et Dieu fit ainsi cette nuit-là. La toison seule resta sèche, et tout le terrain se couvrit de rosée.
À nouveau un retour aux temps anciens, entre le XIIe et le VIIIe siècle avant notre ère dans ces âges sombres qui séparent la mort de Josué et la conquête du pays de Canaan, l'actuelle Palestine et l'instauration de la royauté. En ces temps-là des « Juges » dont l'autorité s'imposait plus ou moins et avec une géométrie variable entre les diverses tribus dirigeaient le peuple d'Israël. On est très loin de l'idéal de l'utopie de Moïse d'un peuple, parfaitement organisé sous le regard du Dieu du Sinaï, respectant la Loi et vivant en harmonie. Le livre des Juges nous raconte le désordre du « chacun pour soi » qui s'est instauré dans la Terre promise.
Et comme tous les héros des cultures orientales de l'époque, Josué consulte les haruspices, c'est-à-dire les devins interprétant les signes divins. Il suffit d'un vol d'aigle venu de la droite pour que les grands généraux de l'épopée homérique y voient le signe de la bénédiction de Zeus. De même, au moment où son pays est envahi par une troupe étrangère pour une razzia, Gédéon cherche les signes favorables du Dieu d'Israël. Il ne faut pas là imaginer des guerres dévastatrices mais bien plutôt des escarmouches dont le seul objectif est de s'emparer des troupeaux et des femmes, suivant l'habitude des peuples de cette époque et que les Hébreux eux-mêmes n'hésitent pas à pratiquer contre leurs ennemis Philistins, c'est-à-dire les Phéniciens de Tyr.
L'aventure de devenir soi-même
À la même période, les peuples grecs imaginent une autre épopée, celle de Jason qui, pour plaire aux dieux, se lance à la conquête de la Toison d'or accompagné de ses Argonautes, du nom de son navire, Argô. Jason reviendra pour son malheur avec la Toison et avec Médée dont la folie fera le sujet des tragédies. Cette archéologie des mythes qui circulent entre les civilisations antique à une époque où les hommes, les héros et les dieux cohabitent est essentielle pour comprendre comment les vitraux du temple Saint-Étienne sont porteur d'une signification qui dépasse largement le cadre chrétien.
Si le miracle de la toison de Gédéon est la préfiguration de Marie dans la tradition catholique, c'est pour nos commentateurs médiévaux, parce que, comme la Toison seule est humide de rosée, Marie « toute seule était remplie de la rosée divine » à l'exclusion de toute autre jeune fille également vertueuse. C'est cette exceptionnalité de Marie qui est soulignée par la métaphore de la Toison et, de même, que la rosée n'abîme pas la laine, de même « Marie conçut son fils sans corruption de chair », de même Gédéon remplit une coupe de rosée, ainsi « la vierge Marie a enfanté un fils qui a rempli le monde de la rosée de la grâce ».
Le courage d'être
Mais Gédéon, c'est avant tout la réponse à l'appel de Dieu, avec la même réponse qui fut celle de Moïse et de Marie, à savoir « me voici ». Gédéon était le plus petit de la plus petite famille de la plus petite tribu. Et pourtant, il ose. Parce qu'il a compris qu'à obéir à Dieu on ne s'abaisse jamais. Dans le récit de Gédéon, ce qui se joue, c'est le monologue intérieur d'un homme qui se sent appelé à agir et qui doit trouver une légitimité pour mobiliser autour de lui. Le « miracle » de la Toison n'est pas pour Gédéon mais pour convaincre ceux qui vont aller au combat avec lui.
C'est le récit d'une vocation qui ne concerne pas que les grands héros, comme Moïse, ni les pures âmes, comme Marie, mais l'individu ordinaire que nous sommes tous. Nous n'avons certes plus à revêtir une armure avec un grand panache mais l'impératif demeure d'être « auprès des plus abandonnés de Dieu ». Ceux de nos contemporains qui sont le plus frappés par la crise sanitaire, sociale, politique et morale que nous connaissons sont ceux qui ont besoin, non seulement de notre compassion, mais de notre attention. À nous de trouver la Toison qui convaincra ceux qui seront mobilisés auprès des plus faibles.
Roland Kauffmann
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