Un vitrail par jour 75

21 mars 2021

L'Esprit de la Loi

Moïse sur le Sinaï. Moïse est à genoux, devant l'Éternel, qui lui révèle ses commandements; à ses côtés, les enfants d'Israël.

Exode 19, 17-20

17 Moïse fit sortir le peuple du camp, à la rencontre de Dieu ; et ils se placèrent au bas de la montagne. 18 La montagne de Sinaï était tout en fumée, parce que l’Éternel y était descendu au milieu du feu ; cette fumée s’élevait comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne tremblait avec violence. 19 Le son de la trompette retentissait de plus en plus fortement. Moïse parlait, et Dieu lui répondait à haute voix. 20 Ainsi l’Éternel descendit sur la montagne de Sinaï, sur le sommet de la montagne ; l’Éternel appela Moïse sur le sommet de la montagne. Et Moïse monta.

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La tradition veut que ce soit exactement au cinquantième jour après la sortie d'Égypte que Moïse reçut les dix commandements : cinquante jours entre la libération et la loi qui organise le peuple, cinquante jours entre « notre délivrance des enfers et le don du Saint-Esprit » souligne Ludolphe de Saxe. La correspondance Égypte/enfers ; Loi/Esprit ; Moïse/Jésus ; le peuple juif/le peuple chrétien puis chez l'apôtre Paul, lettre/esprit ; loi/grâce ; les œuvres/la foi, est caractéristique de la méthode typologique qui voit dans l'Ancien Testament la préfiguration du Nouveau Testament.

Cette méthode peut cependant avoir deux conséquences qui sont également présentes dans le Speculum Humanae Salvationis. La première, c'est de considérer que le second terme de la paire annule et remplace le premier : la grâce se substitue à la loi, l'esprit à la lettre, Jésus à Moïse et le peuple chrétien au peuple juif. C'est la théologie de la substitution dont on ne dira jamais assez les ravages puisqu'elle considère, pour le dire simplement, que Dieu aurait changé d'avis. Qu'il aurait dénoncé son alliance avec Israël, l'alliance avec Abraham, Isaac et Jacob pour en faire une « nouvelle » avec ceux qui suivent l'enseignement du Christ, de Paul et des apôtres. Cette théologie est l'un des raisons de l'antisémitisme chrétien qui n'est pas si éloigné de l'antisémitisme païen qu'est le nazisme.

Outre ses conséquences criminelles, la conception de la substitution nous induit également dans l'erreur puisqu'elle conduit à penser que le premier terme n'a plus lieu d'être. Comme si les chrétiens pouvaient se passer de la loi et des œuvres, comme s'il pouvait y avoir une foi qui n'aurait pas besoin d'être conséquente avec elle-même et pourrait se dispenser de faire le bien sous prétexte que la grâce de Dieu assure le salut de l'humanité. Lorsque Jésus dit « Il vous a été dit … mais moi je vous dis », il ne prétend en aucune manière remplacer les commandements mais au contraire leur donner leur signification véritable (cf. nos méditations sur les antithèses de Jésus).

Ainsi que le récit de la Pentecôte chrétienne se place exactement au même moment où les Juifs célèbrent le don de la loi ne signifie pas le grand remplacement de la loi mais la vérité de la loi qui n'est plus un rituel de satisfaction d'un Dieu avide de sacrifices et d'honneur mais l'instauration d'une éthique de vie tout entière tournée vers l'attention à l'autre, altérocentrique plutôt que qu'égocentrique. L'Esprit donné à la Pentecôte chrétienne nous donne la signification de la Loi donnée à la Pentecôte israélite. Cette loi, celle donnée à Moïse, n'est en réalité pas un code de prescriptions comme tant d'autres codes de l'antiquité, délimitant ce qui est autorisé et interdit, pur ou impur, hallal ou haram, casher ou non-casher mais elle est comme l'Esprit, un souffle de vie, quelque chose qui emporte et dépasse et va bien au-delà de nos catégories.

Inverser notre compréhension

La loi donnée aux chrétiens le jour de leur Pentecôte est le miroir de l'Esprit donné aux Israélites sur le mont Sinaï. Chaque terme des paires évoquées plus haut qualifie l'autre dans un mouvement de réciprocité. Plutôt que de séparer les termes il s'agit bien plutôt de les relier en faisant de l'Esprit la vraie nature de la Loi et de la Loi la vraie nature de l'Esprit. Non pas qu'il faudrait revenir à la lettre des 613 commandements mais l'originalité de la spiritualité chrétienne est de retrouver cette cohérence entre l'arbre et ses fruits : si l'on reconnaît un arbre à ses fruits, disait Jésus (Matthieu 12, 33) mais l'arbre est aussi compris dans le fruit. Ainsi les œuvres de charité, de solidarité, de justice sociale, de probité et d'honnêteté, de sincérité et de vérité, de libération des opprimés, de lutte contre les inégalités, les solitudes et toutes les formes de dégradation de l'être humain sont les fruits nécessaires de la foi. Elles signalent les croyants qui, pour se réclamer du Christ, ne peuvent s'en affranchir.

Car il faut choisir entre la foi qui ferait de nous des étrangers dans le monde, indifférents aux souffrances et aux difficultés de ceux que nous côtoyons quotidiennement ou la foi qui ferait de nous des engagés dans le monde, motivés par le besoin de cultiver des rapports plus humains, plus fraternels, plus libres, plus exigeants, plus justes et plus vrais avec nos prochains. À la Pentecôte, nous n'avons pas remplacé la loi de Moïse mais avons reçu la loi de l'autre, celle qui nous conduit à jamais chercher notre intérêt mais toujours celui de l'autre, à ne jamais nous servir de lui mais à le servir, à ne jamais l'exploiter mais à le libérer. Une loi dure et difficile tant elle heurte nos consciences et conteste notre prétention au bonheur pour nous-mêmes qui ne passerait pas d'abord et avant tout par le bonheur de l'autre. Une loi suivant laquelle nous portons des masques non pour nous protéger mais bien pour protéger les autres et leur permettre de se trouver à proximité de nous dans une relative sécurité. La Pentecôte chrétienne est avant tout de considérer que l'autre n'est pas une limite qui briderait notre liberté par exemple, suivant l'adage suivant lequel notre liberté s'arrêterait là où commencerait celle d'autrui, mais bel et bien la conscience que notre liberté commence avec celle d'autrui, voilà qui change tout.

Roland Kauffmann

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