Un vitrail par jour 81

27 mars 2021

Si ce n'est pas maintenant, alors quand ?

Les vierges sages et les vierges folles. Le panneau est à deux registres: dans celui du haut, les cinq vierges sages, couronnées, tenant haut leurs lampes allumées ; dans celui du bas, se lamentant, les cinq vierges folles, sans couronne, avec leurs lampes renversées et pourtant encore allumées.

Matthieu 25, 1-13

1 Alors le royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes, allèrent à la rencontre de l’époux. 2 Cinq d’entre elles étaient folles, et cinq sages. 3 Les folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d’huile avec elles ; 4 mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l’huile dans des vases. 5 Comme l’époux tardait, toutes s’assoupirent et s’endormirent. 6 Au milieu de la nuit, on cria : Voici l’époux, allez à sa rencontre ! 7 Alors toutes ces vierges se réveillèrent, et préparèrent leurs lampes. 8 Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. 9 Les sages répondirent : Non ; il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous. 10 Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. 11 Plus tard, les autres vierges vinrent, et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. 12 Mais il répondit : Je vous le dis en vérité, je ne vous connais pas. 13 Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure

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Si nous ne savons « ni le jour ni l'heure », c'est bien que c'est aujourd'hui qu'il faut prendre au sérieux la Parole de Dieu et vivre en cohérence avec notre compréhension de Dieu et de l'homme, autrement dit, en cohérence avec notre foi. L'huile qui alimente les lampes de la parabole est la métaphore de l'Esprit qui guide la vie du chrétien et l'image du vitrail est particulièrement parlante avec cette apparente contradiction de lampes baissées et pourtant allumées. L'artisan verrier met ainsi en évidence, prenant une fois de plus ses distances avec l'auteur du Speculum Humanae Salvationis qu'il illustre, que ce n'est pas le manque d'huile que Jésus reproche à ces cinq vierges en attente de l'époux mais bien le fait qu'elles pensent qu'il viendra plus tard, un autre jour, et que ce sera toujours bien assez tôt.

Le bien ne se diffère pas. On ne peut reporter au lendemain la pratique de la vertu, elle est toujours à faire ici et maintenant tout comme elle ne peut se déléguer : c'est toujours à moi de vivre conformément aux exigences d'amour et de liberté de l'évangile. Quelle que soit la forme que prend notre pratique de la vertu, entendue comme le fruit de notre foi, de même que l'on reconnaît un arbre à ses fruits, la foi se reconnaît en effet à la pratique de la vertu ; qu'il s'agisse d'une solidarité active avec les plus démunis, les plus fragiles, les plus menacés ; que notre vertu soit dans l'engagement auprès des migrants ou contre la catastrophe environnementale ; qu'elle se concrétise dans l'étude et la réflexion intellectuelle ou par l'engagement citoyen, ce qui compte si l'on prend la parabole au sérieux, c'est d'être « trouvé en train de faire ».

Car les dix vierges ont la même intention, rencontrer l'époux, mais la volonté ne suffit pas, il y faut de la constance ! De même que l'on ne peut se réclamer d'une appartenance purement symbolique à l'Église par le baptême, la fidélité à l'évangile doit se manifester dans la vie quotidienne. De même que l'on ne peut arguer de la grâce divine pour s'affranchir de l'obligation d'aimer son prochain, réellement, tel qu'il est plutôt que tel que nous le voudrions, nous ne pouvons attendre pour donner de la consistance à notre foi. Bien plus que le bout du chemin, c'est d'être en chemin qui compte et donne une réalité à notre foi.

C'est toujours à moi de le faire

Il n'est pas non plus possible de s'en remettre à d'autres comme les « folles » s'en remettaient aux « sages ». Nulle Église, nulle institution, nul maître à penser, nulle théologie, ne peuvent nous dispenser de notre propre engagement pour un monde plus juste, plus libre, plus fraternel, en un mot, plus aimant. Aucune pratique religieuse, aucune prière ou contemplation mystique ne peuvent remplacer notre attention et notre présence réelle auprès de l'humanité souffrante. Si toutes ces choses ne nourrissent pas notre engagement, elles ne sont alors pas de l'Esprit mais lettre morte ou « cymbale qui résonne » pour reprendre les termes de l'apôtre Paul (1 Corinthiens 13, 1) et notre foi n'est alors plus qu'un arbre mort ou une lampe retournée comme celles des folles.

C'est ainsi qu'il faut entendre le jugement que le Christ porte sur nos existences. Ne sont pas sauvés ceux qui croient mais ceux dont la foi vient en aide ! Que ce soit en aide aux opprimés, aux affamés, aux aveugles, aux démunis, quels que soient le choix et la forme de l'aide que nous apportons, elle manifeste le rapport que nous avons avec l'Éternel et le rapport que nous avons avec nous-même. Les vierges folles de la parabole sont ainsi l'image de l'individu fragmenté, toujours en contradiction entre ses désirs, ses passions et ses intérêts, en conflit non seulement avec les autres mais avec lui-même au plus profond de son être. Cet individu est incapable de faire le bien et trouvera toujours la porte de l'époux déjà fermée. Les vierges sages sont l'image de l'individu réconcilié, dont les désirs et les volontés sont constamment tournés vers l'autre et en paix avec lui-même. Celui-là entrera aujourd'hui dans la maison de l'époux.

Roland Kauffmann

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