L'Heure Musicale virtuelle du 27 mars

 Samedi 27 mars 2021

DESTIN(S)

Chant du destin

Vous déambulez là-haut dans la lumière

Sur un doux terrain, ô esprits bénis !

De radieux souffles divins

Vous effleurent,

Comme les doigts de l’artiste

Effleurent une céleste lyre.


Libérés du destin, tel le nourrisson endormi,

Les immortels respirent ;

Préservé pur

Dans son humble bourgeon,

L’Esprit fleurit

Pour eux à tout jamais,

Et leurs yeux bienheureux

Regardent dans une calme

Et éternelle clarté.


Mais à nous il n’est donné

Aucun endroit où reposer ;

Ils déclinent, ils titubent

Les humains affligés,

Aveuglément d’une heure

À la suivante,

Comme l’eau d’écueil

En écueil projetée,

À longueur d’année plongés dans l’incertitude.

Friedrich Hölderlin

La playlist ou les pièces successives ci-dessous

La Forza del Destino, Verdi (obertura) - YouTube

L’ouverture de l’opéra La Force du destin est souvent donnée en concert. Isolément. En réalité, elle est le résumé musical d’une terrible vengeance qui dure sur scène plus de trois heures. Après Rigoletto et Le Trouvère, Verdi renoue avec les histoires de malédiction. Cet opéra, inspiré d’un mélodrame romantique espagnol, est une commande du Théâtre de Saint-Pétersbourg, que Verdi remaniera ensuite pour la reprise à La Scala. L’invention mélodique n’est certes pas pour rien dans le succès de l’ouvrage. Mais l’insertion de grands tableaux pittoresques entre les épisodes de la tragédie crée un contraste saisissant d’une efficacité dramatique redoutable.

*

Brahms: Schicksalslied ∙ hr-Sinfonieorchester ∙ Collegium Vocale Gent ∙ Philipp Herreweghe - YouTube

Première œuvre de Brahms pour chœur accompagné, ce Geistliches Lied – Chant Spirituel – révèle le talent d’un jeune homme de 23 ans, compositeur angoissé, chef de chœur ardent, grand lecteur, fou de musique ancienne. Le texte, du début du XVIIe siècle, exprime la confiance de l’homme dans la miséricorde divine, thème cher à Brahms. Quant à la musique, elle se caractérise par un brillant exercice de contrepoint, à la manière des compositeurs de la Renaissance, dont Brahms est imprégné, notamment grâce à sa fréquentation passionnée des partitions réunies dans la bibliothèque de son aîné Robert Schumann.

Très modeste par ses dimensions (il ne compte que 67 mesures !), le Geistliches Lied sera vite considéré comme un chef-d’œuvre et se classe parmi les pièces chorales les plus célèbres de Brahms. Cette notoriété est due, certes, en partie à la complexité de la structure en double canon, mais surtout, au-delà des analyses de spécialistes, à sa mystérieuse beauté. Quand la musique semble ainsi sourdre du texte même, quand sa lumière ne laisse plus aucune chance à l’ombre, quand elle atteint à cette incandescence, quand sa tension se résout en instants de grâce suspendus (l’« Amen » final !), alors peu importe la musicologie, peu importe que l’on soit croyant ou non ; la beauté nous enveloppe, nous élève, nous rassérène, nous rend meilleurs.

*

Concertgebouworkest - Beethoven - Symphony No. 5 - Complete performance - YouTube

« La Cinquième Symphonie exprime à un très haut degré le romantisme dans la musique, le romantisme qui révèle l’infini ». (E.T.A. Hoffmann)

La Symphonie n°5 en ut mineur de Beethoven est l’œuvre qui le caractérise le plus. L’œuvre a acquis une très grande renommée dès les premiers temps et son succès ne s’est pas démenti par la suite. Il n’est pas possible de dater précisément la composition de cette symphonie, puisque Beethoven a conçu plusieurs idées thématiques dès 1795, puis forme une première esquisse en 1803, mais se met surtout à l’écriture à partir de 1805 pour être achevée en 1080.

Entre temps, Beethoven s’est interrompu mieux se mettre à la composition de la Quatrième Symphonie, l’opéra Fidélio (première version), la Sonate n°23 « Appassionata », les quatuors à cordes n°7-8-9, le Concerto pour violon, le Concerto pour piano n°4 ou encore la Messe en ut majeur.

En mars 1808, Beethoven mentionne dans une lettre au comte Franz von Oppersdorf : « Le dernier mouvement de la Symphonie a trois trombones et un octavin – et bien qu’à vrai dire il n’y ait pas trois timbales, cette combinaison d’instruments produira quand même plus de bruit et, qui plus est, un bruit plus agréable que six timbales ».

Pourtant, le soir de la première exécution, le 22 décembre 1808, ne laissait pas présager une telle notoriété. Au programme de ce concert fleuve de quatre heures figurait la Symphonie Pastorale (« n°6), l’aria « Ah Perfido », le Concerto pour piano n°4, la Symphonie en ut mineur (n°5), la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre, et trois morceaux de la Messe en Ut majeur. En raison de la médiocrité de son interprétation – Beethoven s’était mis l’orchestre à dos, à tel point que celui-ci refusait de jouer sous la direction du maître – la Symphonie n°5 n’a pas été appréciée à sa juste valeur.

Il faut attendre la seconde présentation de l’œuvre à Leipzig le 23 janvier 1809 pour être appréciée, puis à Vienne en 1812-1813 pour avoir du succès. Quand à son exécution parisienne, elle suscita de nombreux émois : « (…) les acclamations, les chut, les applaudissements, les éclats de rire convulsifs, contenus pendant quelques secondes, ont tout d’un coup ébranlé la salle avec une telle force que le puissant orchestre, submergé par cette trombe d’enthousiasme, a disparu complètement. Ce n’est qu’au bout de quelques instant d’une agitation fébrile que le spasme nerveux, dont l’auditoire entier était possédé, a permis aux instrumentistes de se faire entendre » (Berlioz, Gazette musicale de Paris, 1834)

Quand Mendelssohn présenta l’œuvre au piano à Goethe en 1830, ce dernier (qui ne voulait jamais entendre parler de Beethoven) fut remué : « C’est très grand, c’est absolument fou ! On aurait peur que la maison s’écroule… Et si c’était joué maintenant par tous les hommes ensemble ! »

La cinquième Symphonie ne diffère pas des autres symphonies de son époque, dans le sens où Beethoven utilise toujours les modèles convenus avec une structure en quatre mouvements, et des formes conventionnelles comme la forme-sonate pour le premier mouvement. En revanche, cette symphonie est la première symphonie « cyclique » de l’histoire, car Beethoven se plaît à réutiliser le motif initial dans les quatre mouvements, donnant ainsi une unité unique à l’œuvre.

Premier mouvement : Allegro con brio

Ce mouvement, reconnaissable par son thème initial (trois notes brèves identiques suivies d’une note longue), est un équilibre à lui seul : chaque partie dure en moyenne 120/130 mesures. C’est « une des plus incontestables réussites de la musique de tous les temps » (André Jolivet)

Sur la signification des quatre notes d’ouverture, Beethoven répondait : « Ainsi le destin frappe à la porte ». Ce motif est joué plusieurs fois jusqu’à un appel de cor fortissimo, devançant l’énoncé du second thème, plus lyrique.

Le Développement se concentre essentiellement sur le premier thème et oublie complètement le thème lyrique. La Réexposition débute par une accalmie soudaine (« Adagio » plaintif au hautbois) puis, c’est la redite sans changements. Un trait rapide des violons amorce la Coda qui fait apparaître une nouvelle phrase aux cordes. Un énorme fortissimo de douze mesures avec le tutti termine l’Allegro.

Second mouvement : Andante con moto

Avec ce mouvement, on se rapproche d’une forme Thème et Variations. Celui-ci débute avec un thème lyrique aux altos et violoncelles, auxquels s’ensuit un second thème énoncés aux clarinettes et bassons. Très vite, des passages contrastés plus violents se font entendre.

Vient ensuite une première variation construite sur des arabesques aux cordes, sous lesquelles nous pouvons entendre le motif rythmique initial de l’Allegro.

S’ensuit une seconde variation, puis un contrechant animé qui annonce l’arrivée du second thème. Contrastes et modulations s’enchaînent dans ce mouvement, jusqu’à la Coda ;

Troisième mouvement : Allegro

Ce mouvement n’est pas un Scherzo mais semble plutôt être un prolongement de l’Allegro initial ou un prologue au dernier mouvement (tout dépend de l’analyse). Il est construit sur une forme tripartite ABC.

Le morceau commence par des basses mystérieuses, auxquelles répondent les cordes, puis les bois de manière répétitive. Survient aussitôt aux cors, les quatre notes du premier mouvement, en une sorte de marche.

La partie centrale consiste en un premier fugato exposé aux violoncelles et contrebasses, suivi d’un second fugato exposé par les bassons, altos et quatuor.

La dernière partie fait entendre le motif de ce mouvement, suivi par le thème cyclique. Ce dernier est énoncé pianissimo, donnant l’impression de se dissoudre. Puis, c’est la timbale qui marque une pulsation obsédante sur laquelle s’effectuent des modulations. Un crescendo saisissant sur les dernières mesures aboutit à un thème triomphal. Nous sommes au Finale. Qui s’enchaîne.

Quatrième mouvement : Allegro

Le thème est vainqueur, lumineux. Il n’est pas sans rappeler celui du grand finale de Fidélio, dont la composition fut contemporaine voire simultanée). Des développements par mouvement ascendants et descendants cèdent la place au second thème aux bois fortissimo. Clarinettes et bassons présentent ensuite un nouveau thème, tout autant triomphal avant de conclure cette exposition.

La partie centrale est essentiellement une suite de variations et modulations des motifs antérieurs.

Pour finir, Beethoven prend un thème de marche. Le rythme s’accélère et le Presto amène la Coda avec un dernier retour du thème cyclique initial, énoncé en fanfare énergique. La symphonie se conclut par une succession de huit accords fortissimo !

Matthieu Denni 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire