Un vitrail par jour 78

24 mars 2021

Ni par force ni par ruse mais par l'esprit du Seigneur

Mical fait évader David. David, que son beau-père Saül veut faire mourir, est sauvé par sa femme, Mical, fille de Saül. Il s'échappe de sa maison, en se laissant glisser d'une fenêtre le long d'une corde, pendant que Mical parlemente avec les soldats de Saül.

À noter que ce vitrail actuellement à gauche de la vierge de miséricorde devrait en fait être à sa droite car la scène illustrée vient après la récit de Moïse devant la ville de Saba (n°79) dans le Speculum Humanae Salvationis.

1 Samuel 19, 11-14

11 Saül envoya des gens vers la maison de David, pour le garder et le faire mourir au matin. Mais Mical, femme de David, l’en informa et lui dit : Si tu ne te sauves pas cette nuit, demain tu es mort.
12 Elle le fit descendre par la fenêtre, et David s’en alla et s’enfuit. C’est ainsi qu’il échappa. 13 Ensuite Mical prit les téraphim, qu’elle plaça dans le lit ; elle mit une peau de chèvre à son chevet, et elle l’enveloppa d’une couverture.
14 Lorsque Saül envoya des gens pour prendre David, elle dit : Il est malade.

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Voilà David en bien mauvaise posture, obligé de s'enfuit par la fenêtre comme dans n'importe quelle pièce de boulevard tandis que son épouse défend l'entrée de la maison contre les sbires envoyés par son père pour arrêter et tuer son époux. Celui qui n'est pas encore le grand roi unificateur et néanmoins auréolé de sa victoire contre Goliath (vitrail n°34 & 40) est confronté à la jalousie du roi Saül qui cherche à le faire mourir. Après lui avoir échappé une première fois (vitrail n°46), David doit constamment rester sur ses gardes malgré l'amour des enfants de Saül, Mical, son épouse et Jonathan, son frère d'armes.

Au-delà du drame shakespearien, c'est toute la complexité du pouvoir qui est ici soulignée. Le fait que David soit le véritable élu du Seigneur, préfigurant le Messie, ne lui garantit pas la maîtrise du trône. Bien que choisi par Dieu, il doit néanmoins conquérir son royaume en usant alternativement de la force, de la prudence et de cette vertu digne d'Ulysse, par la ruse. Ou plutôt, dans le cas présent par la ruse de son épouse. Celle-ci utilise les figurines représentant les divinités domestiques, ce que les latins appelaient les Pénates ou encore les dieux lares, ceux qui veillent sur la maison et tous ceux qui sont sous son toit.

Cette pratique des amulettes protectrices remonte aux temps les plus archaïques. Rachel, épouse du patriarche Jacob, avait de même volé les téraphim de son père Laban (Genèse 31, 19-42). Les téraphim, le mot est uniquement pluriel, de Mical ont d'ailleurs une taille humaine puisqu'ils servent de simulacre du corps de David. La pratique des divinités domestiques est attestée au moins jusqu'à l'exil à Babylone, c'est-à-dire aussi longtemps que le monothéisme strict n'était pas encore vraiment installé. On retrouve cette forme de religiosité, toute proportions gardées, dans les multiples amulettes, images et statuettes pieuses, portées autour du cou, posées dans nos salons ou encore les téphilim que portent aujourd'hui encore les Juifs les plus orthodoxes.

Autant de signes de croyance en une fonction protectrice du divin dont les racines remontent aux temps les plus anciens de l'humanité et qui justement caractérisent l'humain comme le seul être vivant capable d'une telle abstraction. Les statues ou les crucifix de certaines églises comme les calvaires au bord des routes ont en fait la même fonction, signifier la présence du divin, qu'avaient les statues ornant les temples grecs ou romains. En la matière, la religiosité chrétienne a simplement pris le relais des religions antiques et archaïques depuis l'aube de l'humanité.

Ce qui ne dérange en aucune manière notre auteur médiéval qui n'ayant pas lu la Bible, n'en parle même pas. Mais pour l'Église de son temps, la pratique, anciennement dédiée aux idoles, devient légitime puisque désormais dédiée à Marie, aux saints ou au Christ. Il faudra attendre l'iconoclasme protestant des temps modernes pour envisager une piété n'ayant aucun recours aux amulettes ou les remplaçant par des inscriptions bibliques, parfois aussi pieusement conservées que les téraphim. Sans pour autant, et la préservation de nos vitraux après que Mulhouse soit devenue protestante, en atteste, que ce refus des images ne conduise partout et toujours à une destruction systématique des images et statues, considérées alors comme des objets de dévotion particulière. Vidant les images de leur signification surnaturelle, les protestants du XVIe, en tout cas à Mulhouse, sont parvenus à comprendre que les images ne sont jamais rien d'autre que des images et qu'elles ne représentent pas la réalité. Une conception d'une étonnante modernité quand on pense aujourd'hui aux formes de religions, prêtes à tuer pour un dessin qu'elles jugent irrespectueuses.

Une image n'est qu'une image

Celui qui aujourd'hui caricature le Christ dans un dessin, quelque soit la forme de celui-ci, ne fait pas de mal au Christ et ne fait que critiquer tel ou tel aspect du christianisme qu'il juge, et c'est son droit le plus strict, incohérent ou déraisonnable. Ceux qui estiment légitime de tuer pour une image, serait-elle même insultante, montrent simplement que leur dieu est une idole ou un simple téraphim comme ceux de Mical. Si nos vitraux du temple Saint-Étienne ont été préservés, c'est bien que nos anciens y ont vu, non plus des images pieuses mais des moyens pédagogiques permettant à chacun de se réapproprier le récit biblique comme nous essayons de le faire encore aujourd'hui par le biais de ces méditations.

Un dernier mot pour souligner que Ludolphe de Saxe voyait en Mical l'exemple de l'épouse parfaite, c'est-à-dire pour le dominicain qu'il était, celle qui préserve son époux de la mort en éloignant de lui les tentations. Mical est ainsi la préfiguration de la Vierge Marie qui préserve ses « vrais amoureux » de la mort en éloignant d'eux les tentations puisqu'elle n'est pas seulement celle qui apaise le courroux de Dieu mais aussi celle qui nous protège de l'orgueil, de l'avarice et de la luxure, les trois vices dont Ludolphe de Saxe fait les principales menaces de l'âme pieuse.

 Roland Kauffmann

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