Un vitrail par jour 77

23 mars 2021

Un Dieu miséricordieux

Marie protège les pécheurs. La Mère du Sauveur étend son manteau sur l'humanité.

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Voilà l'un des vitraux les plus ambivalents parmi ceux du temple Saint-Étienne. En effet, il souligne d'une part l'une des différences essentielles entre les conceptions catholiques et protestantes et, d'autre part, la grande beauté de la spiritualité mariale qui était au cœur de la piété de notre auteur médiéval.

En effet, le thème de la vierge de miséricorde qu'illustre notre vitrail est central pour l'ordre des Dominicains dont Ludolphe de Saxe faisait partie. Après le récit de la Pentecôte (vitrail n°74), le Speculum Humanae Salvationis remplace purement et simplement le Christ par la figure de Marie et en fait le symbole de l'Église dans ce geste protecteur du manteau ouvert pour protéger l'humanité. Il renvoie en effet à un geste charitable propre à la société médiévale : couvrir un mendiant ou un suppliant de son manteau revenait, pour les nobles, à lui accorder protection et subsistance. Représenter ainsi la vierge prenant sous son aile l'humanité revient à lui reconnaître un rôle de médiatrice, Ludolphe dit «moyenneresse » entre l'homme et Dieu et, par glissement, attribuer ce rôle de médiatrice à l'Église. Placer la vierge et donc l'Église dans une position médiane entre l'individu et Dieu revient à que l'on ne puisse accéder à Dieu que par le « moyen » de l'Église. Celle-ci devient alors première dans l'économie du salut, décidant de qui est sauvé et de qui ne l'est pas.

Cette antériorité de l'Église dans la relation entre l'homme et Dieu revient à dire « hors de l'Église, point de salut » puisque c'est l'appartenance à l'Église, et donc l'obéissance à ses prescriptions et l'adhésion à sa foi, qui va conditionner le salut de l'individu. La foi individuelle devenant alors accessoire puisqu'il « suffit » que l'Église soit croyante et que l'individu en soit membre par sa participation aux sacrements pour qu'il soit sauvé, indépendamment de sa foi ou de sa non-foi. L'individu étant alors au bénéfice de la foi de l'Église, administratrice du trésor des grâces et de l'intercession de la vierge auprès de son fils au nom de sa relation privilégiée avec lui. Défenderesse de l'humanité au sens où un avocat est défenseur de son client, Marie occupe dans la spiritualité catholique traditionnelle une position qui lui est déniée dans le protestantisme.

Ce n'est pas d'ailleurs pas Marie qui est en cause mais, plus largement, la conception protestante de l'Église. En protestantisme, l'Église n'existe pas à priori mais elle est toujours seconde. C'est-à-dire qu'elle n'est pas une réalité instituée de toute éternité par Dieu mais est constituée par l'assemblée des croyants. C'est dans la mesure où des individus croient en Dieu et se rassemblent dans une espérance et une foi communes qu'ils constituent l'Église. Pour le dire encore autrement, en protestantisme, c'est le chrétien qui fait l'Église et non pas l'Église qui fait le chrétien. Cette différence d'ecclésiologie est irréductible et est à la base de la Réforme : « nul ne peut croire à ma place, pas même l'Église » affirmait déjà Martin Luther. Nulle institution ne peut se placer en position moyenne entre l'individu croyant et son Dieu car seul le Christ est médiateur, c'est-à-dire porteur du message de Dieu.

La Parole entre l'homme et Dieu

C'est ce qu'exprimait à merveille la philosophe Simone Weil (voir nos méditations sur le Notre Père avec Simone Weil) lorsqu'elle faisait du logos, le médiateur entre l'homme et Dieu, autrement dit faisait du Christ, de son ministère et de son message, la clé de compréhension du divin la plus aboutie dans l'histoire humaine. Une position qui l'a d'ailleurs toujours empêchée de se déclarer « catholique » alors qu'elle se revendiquait chrétienne. En protestantisme, chaque fidèle constitue l'Église sans qu'il lui soit nécessaire de se conformer à ses dogmes puisqu'il participe, par sa lecture des textes, sa compréhension spirituelle, inspirée par l'Esprit à leur élaboration dans le cadre d'une délibération collective que nous appelons synode, alors qu'en régime catholique, l'Esprit est compris comme inspirant l'Église par le biais de l'autorité de son chef, le pape, conseillé par la délibération de son clergé ordonné. Ce que l'on résume trop rapidement en disant que le protestantisme n'a pas de hiérarchie renvoi en fait à cette différence fondamentale de nature entre les deux conceptions d'Église qui fait que, n'en déplaise aux tenants de l’œcuménisme, protestantisme et catholicisme ne sont décidément pas la même chose.

Il n'en reste pas moins que la notion même de vierge de miséricorde est profondément humaniste malgré les apparences. Dans la mesure où elle introduit cette idée que nous aurions au ciel un avocat, ou plutôt une avocate, prenant notre défense contre la légitime colère de Dieu devant les atrocités humaines. Cette construction théologique qu'est la mariologie dont les Dominicains se sont fait les hérauts et que nous voyons se mettre en place dans nos vitraux a l'immense mérite d'adoucir la conception de Dieu. Que Dieu ne soit plus seulement vu comme le Dieu de colère et de vengeance mais comme celui qui peut être fléchi par l'intercession de Marie, alternativement présentée comme mère et épouse du Christ (!), renvoie à cette fonction essentielle de l'Église qui est de rendre possible une vie humaine vertueuse sous le regard bienveillant du divin.

Roland Kauffmann

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