Un vitrail par jour 34

11 décembre L'humilité comme projet de société

David tue Goliath : DAVID SUPERAVIT GOLIAT PHILISEUM. David, vainqueur du géant Goliath, s’apprête à lui trancher la tête d'un coup de sa propre épée. Sur le bouclier de Goliath, deux masses d'armes en blason.

1 Samuel 17, 45-51

45 David dit au Philistin : Tu marches contre moi avec l’épée, la lance et le javelot ; et moi, je marche contre toi au nom de l’Éternel des armées, du Dieu de l’armée d’Israël, que tu as insultée. 46 Aujourd’hui l’Éternel te livrera entre mes mains, je t’abattrai et je te couperai la tête ; aujourd’hui je donnerai les cadavres du camp des Philistins aux oiseaux du ciel et aux animaux de la terre. Et toute la terre saura qu’Israël a un Dieu. 47 Et toute cette multitude saura que ce n’est ni par l’épée ni par la lance que l’Éternel sauve. Car la victoire appartient à l’Éternel. Et il vous livre entre nos mains. 48 Aussitôt que le Philistin se mit en mouvement pour marcher au-devant de David, David courut sur le champ de bataille à la rencontre du Philistin. 49 Il mit la main dans sa gibecière, y prit une pierre, et la lança avec sa fronde ; il frappa le Philistin au front, et la pierre s’enfonça dans le front du Philistin, qui tomba le visage contre terre. 50 Ainsi, avec une fronde et une pierre, David fut plus fort que le Philistin; il le terrassa et lui ôta la vie, sans avoir d’épée à la main. 51 Il courut, s’arrêta près du Philistin, se saisit de son épée qu’il tira du fourreau, le tua et lui coupa la tête. Les Philistins, voyant que leur héros était mort, prirent la fuite.

David contre Goliath, l'image est connue de nos contemporains pour illustrer la victoire du faible contre le fort, un thème récurrent dans l'histoire du salut. Dieu choisissant de préférence ceux qui sont en infériorité numérique afin de montrer qu'il est le principal acteur de la victoire. C'était déjà le cas avec Gédéon (vitrail 20) et ici, même les armes ne sont d'aucune utilité, c'est avec une simple fronde que David, le futur grand roi d'Israël supplante son adversaire. Pour notre auteur, c'est l'illustration de la victoire de Jésus sur le péché d'orgueil, Goliath étant le diable qui a voulu prendre la place de Dieu et David préfigurant Jésus qui l'emporte sur le diable dans le désert. Ludolphe de Saxe se fait ici aussi plus critique envers les clercs : « ces temptations d'orgueil sont plusieurs et diverses, et déjà presque générales partout. Car elles règnent non pas tant seulement entre les séculiers [ceux qui vivent dans le monde] mais aussi entre les cloitrés [ceux qui vivent dans les couvents] et souvent vaine gloire et appétit de la louange du monde corrompent ceux que vins et viandes ne peuvent vaincre ».

L'humilité, la sobriété, la conscience de ce que l'on doit à l'autre et à l'Éternel, autant de vertus qui permettent de vaincre dans la vie de tous les jours les tentations de la gloutonnerie (vitrail 33), de l'orgueil (vitrail 34) et de l'avarice (ce vitrail manque dans notre temple). Notre auteur écrit un livre de piété et, à partir d'exemples bibliques glisse des recommandations facilement transposables dans l'existence quotidienne de ses lecteurs. Dans nos trois premières fenêtres (I à III), il a donné la vie de Marie en exemple d'un idéal réservé à celle qui « est bénie entre toutes les femmes ». Dans cette série de deux fenêtres (IV et V) consacrées à la passion du Christ, il peut se permettre paradoxalement d'être plus terre à terre puisqu'il n'est plus nécessaire de faire la défense illustration de la sanctification particulière de Marie. Nul à son époque n'oserait douter un instant de la divinité du Christ. Celui-ci n'étant pas à défendre, l'auteur peut se consacrer à son projet d'instruction morale de ses lecteurs.

Refuser la corruption

L'affrontement de deux héros en substitution à l'affrontement des armées est une pratique des premiers temps de la guerre. L'épopée homérique raconte de tels duels qui ne décident pas certes de la guerre mais font la renommée ou la perte des héros. Dans L'Iliade ou le poème de la force, Simone Weil décrit celui qui fait appel à la force comme étant transformé irrémédiablement par elle : « Telle est la nature de la force. Le pouvoir qu'elle possède de transformer les hommes en choses est double et s'exerce de deux côtés ; elle pétrifie différemment, mais également les âmes de ceux qui la subissent et de ceux qui la manient » et elle en tire une conclusion qui s'applique à merveille à notre David ne se confiant pas en ses armes mais uniquement en la justice de Dieu : « Il n'est possible d'aimer et d'être juste que si l'on connaît l'empire de la force et si l'on sait ne pas le respecter ». Autrement dit, devant la force brute de Goliath, David n'a aucune chance si il use des mêmes armes que son adversaire, il deviendrait comme lui, une brute sanguinaire. Or l'enjeu de la bataille pour David n'est pas le pouvoir mais la justice et la liberté de son peuple. Et, en usant de sa fronde, il refuse de se laisser avilir et abaisser par la volonté de puissance qui se manifeste chez Goliath. Justement parce que, si David se bat, c'est pour ne pas devenir comme Goliath et les Philistins, pétrifiés dans leur volonté de domination. Il n'est ni lâche ni pacifiste et se bat, certes, mais pour sa liberté et non pas pour dominer le monde.

C'est la même volonté de ne pas devenir identique à son adversaire qu'exprime Albert Camus dans ses Lettres à un ami allemand, d'une brûlante actualité aujourd'hui que nous pouvons avoir le sentiment d'être menacés de toute part. Le projet de Camus, en écho à celui de Simone Weil dont il fut l'éditeur, est précisément de ne pas ressembler à son ennemi mais de se battre en respectant ce que cet ennemi veut détruire. Alors que son ami allemand a renoncé à son intelligence et « n'est plus qu'un élan », n'hésitant pas « à mobiliser même les dieux […] mais de force », « l'homme de l'intelligence et du courage » ne renonce pas à l'idéal de fraternité et de liberté propre à l'Europe, « cette terre de l'esprit où depuis vingt siècles se poursuit la plus étonnante aventure de l'esprit humain ». Pour Camus, le nazi, tel Goliath, est celui qui renonce à résister à la force de la nature violente de l'homme, celui qui a renoncé à lutter contre lui-même, contre la nature et contre l'histoire. À l'inverse, celui qui se dresse, tel David, refuse l'empire de la force et n'abandonne pas la lutte pour la justice, le droit, la vérité, la liberté. Il sait que s'il doit utiliser la force, il ne peut se laisser dominer par elle mais qu'il lui faut l'utiliser pour ce qui élève l'humanité et non pas pour l'avilir.

Roland Kauffmann

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