Calendrier de l'Avent 11

Vendredi 11 décembre 2020 

Dietrich Buxtehude : prélude au choral wie schön leuchtet der Morgenstern 



Diedrich Buxtehude: Wie schön leuchtet der Morgenstern - YouTube

Pour tout un chacun, ce nom est immédiatement associé à celui du jeune J.-S. Bach, dont on rappelle à l'envi qu'il fit le parcours menant d'Arnstadt à Lübeck (près de 400 kilomètres) pour entendre le vieil organiste dans ses oeuvres, et qu'étant parti avec une « permission » de quatre semaines, il y resta — sans guère se poser de questions tant il fut subjugué — près de quatre mois.

Qu'il ait fait tout ce trajet à pied, comme le veut la légende, rien n'est moins sûr. Ce qui en revanche est avéré, c'est qu'il revint transformé de ce séjour : à son retour, il n'accompagnait plus les cantiques de façon conventionnelle, se laissant aller à des improvisations intempestives et prolongées entre les strophes et se livrant dans son accompagnement à d'étranges ornementations qui avaient pour effet d'égarer l'assistance, autant de bizarreries auxquelles les autorités ecclésiastiques lui demandèrent de mettre fin promptement.

Ce que l'on évoque moins souvent de ce séjour de J.-S. Bach à Lübeck, c'est que celui-ci aurait pu s'y assurer un poste stable d'organiste, un des plus prestigieux de toute l'Allemagne, celui — justement — de Buxtehude à l'église Sainte-Marie : on lui laissa en effet entendre que, conformément à une tradition bien établie, et du reste entretenue par le même Buxtehude qui avait conquis ce poste en épousant la fille de son prédécesseur, il pourrait accéder à la fonction s'il consentait à convoler en justes noces avec Anna Margreta, la fille de Buxtehude, de dix ans plus âgée. Mais pour Jean-Sébastien, qui était déjà fiancé à Maria Barbara, c'était trop demander, d'autant que, selon les historiens les mieux documentés, ladite Anna Margreta manquait singulièrement d'attrait : ne dit-on pas que, deux ans plus tôt, deux autres prétendants à la succession de Buxtehude, Mattheson et Haendel, avaient eux aussi préféré tourner les talons…

Tous ces détours pour souligner à quel point Buxtehude bénéficiait, en tant qu'organiste et compositeur, d'une aura exceptionnelle, qui plus est rehaussée par le prestige acquis par ses Abendmusiken, ces concerts spirituels institués par son beau-père, auxquels il donna un retentissement croissant au cours des quarante années qu'il passa à Lübeck. Celles-ci ont tellement compté pour la musique qu'on en oublierait presque l'origine danoise de notre musicien — il était né (d'un père organiste) dans le Holstein qui était alors une terre danoise —, une identité à laquelle il tenait apparemment beaucoup.

Qu'il nous pardonne si, après tant d'autres, nous faisons de lui le plus grand musicien « allemand » entre Schütz et Bach. À tous égards, son œuvre est en effet considérable, et d'une valeur exceptionnelle dans le cas de ses pièces pour orgue ; le reste de son catalogue comporte également bien des joyaux, qu'il s'agisse des œuvres vocales sacrées (par exemple le cycle de cantates Membra Jesu Nostri) ou – dans une moindre mesure — des pièces instrumentales non dédiées à l'orgue.

La place que nous donnons ici à l'instrument-roi ne saurait étonner : « Au travers de quelque quatre-vingts pièces pour orgue, Buxtehude a écrit une œuvre immense, au langage fait de grandeur et de surprises, de lyrisme et d'audaces, mélange savant d'un contrepoint éloquent et d'une liberté large mais dirigée. Si, aux toccatas, chaconnes et canzone du Sud, on oppose généralement les chorals, les vastes préludes et fugues et les passacailles du Nord, d'une écriture plus virtuose faisant largement usage du pédalier, on peut voir que l'œuvre de Buxtehude rassemble ces différentes formes en une synthèse qui trouvera son aboutissement chez Bach. » Encore pourrait-on ajouter que « l'univers de Buxtehude est d'une trempe qui n'a pas eu de descendance : si Bach en reprend certaines intuitions et un sens rarement égalé de la plénitude polyphonique, sa théologie plus exigeante en délaisse le décor propre et n'adopte pas non plus ce stylus phantasticus à mi-chemin de la virtuosité et de l'improvisation, ni ces inflexions typiquement épanouies et intimistes qui sont la marque de Buxtehude. »

Matthieu Denni

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