Madeleine aux pieds du Christ : PERITERIA MAGDALENE IESUS SYMO IOANES. Jésus, nimbé d'une croix et Jean, simplement nimbé, sont attablés chez Simon le Pharisien; Madeleine se jette aux pieds du Christ; l'audace de la pécheresse suscite l'indignation de Simon.
Luc 7, 36-50
36 Un pharisien pria Jésus de manger avec lui. Jésus entra dans la maison du pharisien, et se mit à table. 37 Et voici, une femme pécheresse qui se trouvait dans la ville, ayant su qu’il était à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum, 38 et se tint derrière, aux pieds de Jésus. Elle pleurait ; et bientôt elle lui mouilla les pieds de ses larmes, puis les essuya avec ses cheveux, les baisa, et les oignit de parfum. 39 Le pharisien qui l’avait invité, voyant cela, dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il connaîtrait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, il connaîtrait que c’est une pécheresse. 40 Jésus prit la parole, et lui dit : Simon, j’ai quelque chose à te dire. — Maître, parle, répondit-il. — 41 Un créancier avait deux débiteurs : l’un devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. 42 Comme ils n’avaient pas de quoi payer, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel l’aimera le plus ? 43 Simon répondit : Celui, je pense, auquel il a le plus remis. Jésus lui dit : Tu as bien jugé. 44 Puis, se tournant vers la femme, il dit à Simon : Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds ; mais elle, elle les a mouillés de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. 45 Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle n’a point cessé de me baiser les pieds. 46 Tu n’as point versé d’huile sur ma tête ; mais elle, elle a versé du parfum sur mes pieds. 47 C’est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés ont été pardonnés : car elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui on pardonne peu aime peu. 48 Et il dit à la femme : Tes péchés sont pardonnés. 49 Ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes: Qui est celui-ci, qui pardonne même les péchés ? 50 Mais Jésus dit à la femme : Ta foi t’a sauvée, va en paix.
L'épisode du lavement des pieds de Jésus avec un vase de parfum est fascinant tant il est exemplaire des diverses interprétations qui lui ont été données dans les évangiles eux-mêmes. Chaque évangéliste raconte l'évènement mais pour Matthieu (26, 6-13) et Marc (14, 3-9), c'est une femme à Béthanie dans la maison d'un certain Simon qui est lépreux ; pour Luc (la version retenue par l'artisan verrier), c'est une pécheresse anonyme dans une ville inconnue chez Simon qui n'est pas lépreux mais pharisien, c'est-à-dire membre d'une école d'interprétation moderne pour l'époque de la loi de Moïse ; tandis que pour Jean, ce n'est pas du tout une pécheresse mais nulle autre que Marie, la sœur de Lazare qu'il a ressuscité et nous sommes bien à Béthanie mais non plus chez Simon, qu'il soit lépreux ou pharisien mais chez Lazare et ses sœurs, Marthe et Marie, deux sœurs dont la réputation est sans tâche.
Les débats ont été sans fin, tant chez les Pères de l'Église que pour les théologiens contemporains pour essayer de résoudre cette contradiction pour finalement arriver à une version faisant plus ou moins consensus dans les milieux conservateurs qu'il s'agirait d'une seule et même femme, appelée Marie-Madeleine (ou Marie de Magdala, la ville dont elle serait originaire). Luc garde l'anonymat de la femme pécheresse mais tout de suite après au chapitre 8, il donne le nom de Marie-Madeleine à cette femme libérée de sept démons, que certains confondent aussi avec la femme adultère.
Une confusion qui a largement dépassé le cadre biblique puisque certains en font l'amante de Jésus. Dan Brown et son Da Vinci Code ne sont pas les premiers à le faire, la tradition remonte aux évangiles apocryphes, notamment l'Évangile de Thomas, l'Évangile de Philippe et celui de Marie-Madeleine. Sans oublier que comme Énée et les Troyens vaincus, cette même Marie-Madeleine, sa sœur Marthe et son frère Lazare, auraient été contraints de prendre la mer avant de s'échouer aux Sainte-Marie de la Mer puis de mourir en Provence à la Sainte-Baume ! Autant de traditions légendaires qui soulignent la place éminente de cette Marie dans la religiosité populaire depuis les origines.
La compassion divine
Cette tradition est tellement installée au XIVe siècle que Ludolphe de Saxe n'a aucun besoin de rappeler les détails du lavement des pieds. L'épisode est si bien connu de ses lecteurs qu'il lui suffit de dire le nom de Marie-Madeleine pour que tout le monde comprenne mais, et c'est là qu'est toute son originalité, il s'inscrit résolument dans l'interprétation de l'évangile de Luc. Les trois autres évangiles font de l'épisode du vase de parfum répandu sur les pieds de Jésus, une anticipation de sa mort et de son embaumement. Et il aurait été cohérent pour Ludolphe de reprendre cette préfiguration de la passion.
Mais il préfère, et ce sera également l'objet des deux prochains vitraux, insister sur la rédemption offerte à tous les cœurs repentants, sans condition autre à ses yeux que la foi. Au-delà de l'intention théologique, le Speculum Humanae Salvationis est aussi un livre de consolation pour les désespérés, ceux qui pourraient croire que tout est fichu, qu'ils ne servent à rien et que rien ne peut plus leur permettre de reprendre pied dans l'existence et de se rendre maîtres de leur vie. Citant les sept péchés de Marie-Madeleine, comme le summum, ou l'abîme, de la dépravation et de la perdition, il en tire la conclusion de la magnanimité de Dieu dans une splendide formule : « Pour tant ne se doit desespérer nul, tant soit il grant pecheur. Car Dieu est prest de pardonner à tous vrais contritz et repentans. »
Ce n'est pas encore le salut par la grâce seule luthérien mais la compassion divine dont notre auteur se fait le témoin en est bien la prémisse.
Roland Kauffmann
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire