Un vitrail par jour 46

20 février 2021 - Le bien de l'autre n'est jamais à mon détriment

Saül essaie de tuer David : SAUL REDDIDIT DAVID MALUM BONO ; Le roi, assis sur son trône, veut percer de sa lance David, qui, agenouillé à ses pieds, lui joue du théorbe.

1 Samuel 18, 10-11 

10 […], le mauvais esprit de Dieu saisit Saül, qui eut des transports au milieu de la maison. David jouait, comme les autres jours, et Saül avait sa lance à la main. 11 Saül leva sa lance, disant en lui-même : Je frapperai David contre la paroi. Mais David se détourna de lui deux fois.

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Nulle part, l'auteur du Speculum n'aura jusqu'ici été plus antisémite que dans son chapitre XVIII consacré à la trahison de Judas et dont ne subsistent que deux vitraux sur les trois originels. Manque notamment l'essentiel, à savoir le vitrail représentant le baiser de Judas signalant ainsi aux soldats qu'il s'agit bien de Jésus. Alors que la série précédente (43 à 45) mettait en valeur la bonté et la bienveillance de Jésus face à ses adversaires, les exemples de Saül trahissant son fidèle serviteur David et de Caïn tuant son frère Abel (n°47) permettent à Ludolphe de Saxe de se livrer à une condamnation en règle des Juifs ayant tué le meilleur d'entre eux, le véritable porteur du message de libération et du projet de Dieu pour l'humanité.

La population juive de Mulhouse a souffert de multiples persécutions mais c'est surtout en 1338 et 1347, c'est-à-dire à l'époque de la réalisation de nos vitraux, que des pillages ont été perpétrés. La rhétorique antisémite des livres de piété n'est pas innocente dans ce contexte par la justification qu'elle donne à la violence contre les juifs : une vengeance légitimée par la trahison de Judas, exemplaire de la trahison de tous les juifs. La responsabilité de l'Église, tant catholique romaine que plus tard luthérienne, dans toutes les formes les plus inexcusables de l'antisémitisme à travers les siècles jusqu'à nos jours est incontestable et l'une de ses plus grandes hontes. La menace est malheureusement toujours présente et appelle à une vigilance constante contre tout discours qui prétendrait que les chrétiens se substitueraient de quelque manière que ce soit à la promesse faite au peuple d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. La promesse de Dieu aux fondateurs du peuple d'Israël ne saurait être exclusive, au détriment des uns et au profit des autres.

La jalousie tapie au cœur de l'homme

La jalousie de Saül est exemplaire, non pas de la trahison des juifs contre les chrétiens comme voudrait le faire croire Ludolphe de Saxe, mais de l'ingratitude inhérente à la nature humaine. Alors que Saül, lui aussi, avait été choisi par Dieu et désigné par le prophète Samuel pour diriger le peuple d'Israël, il pense que Dieu en a choisi un autre. Devant le succès de David qui vient de vaincre le géant Goliath et les cris de joie du peuple devant chacun des succès de ce jeune guerrier, le roi comprend que son temps est passé et qu'il ne sera pas le grand roi qui instaurera le royaume de Dieu promis. Mais au lieu de se réjouir que l'Éternel ait envoyé un libérateur pour la prospérité et le bonheur du peuple, le roi conçoit de la jalousie, l'un de sentiments humains qui nous est le plus naturel depuis nos cours d'école…

Et cette jalousie est le moteur irrépressible de bien des tourments dans nos sociétés contemporaines, qu'on lui donne le nom d'émulation, de concurrence libre et non faussée ou encore de compétition. Ce qui est donné à l'un est toujours pris à un autre et nous ne savons pas naturellement orienter nos vies autrement que dans l'affrontement. Au lieu de se réjouir de la réussite de David, Saül veut l'éliminer comme si la mort de David pouvait sauver Saül, au lieu de nous réjouir de ce qui arrive de bien à notre prochain, il nous arrive de craindre qu'il ne devienne plus fort, plus riche, plus heureux que nous-mêmes.

Ce « mauvais esprit » comme l'appelle le texte biblique n'est pas étranger à l'humain mais réside au plus près de nos cœurs, toujours tapi, prêt à frapper celui qui réussit mieux que nous. La libération promise est justement dans la défaite de cet esprit, vaincu par un esprit de collaboration, de coopération pour un monde où rien de ce qui est acquis aux uns ne l'est au prix de la souffrance et de l'exploitation d'un autre, où la confiance en soi ne rime pas avec un sentiment de supériorité, où la conscience de la promesse de Dieu qui nous est faite ne se nourrit pas de l'exclusion de qui que ce soit.

La promesse de libération ne s'adresse d'ailleurs ni aux juifs ni aux chrétiens mais à tout homme, et toute femme évidemment, de bonne volonté, sans distinction de culture, de condition, d'origine ou de religion.

Roland Kauffmann

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