Un vitrail par jour 45

19 février 2021 – Agir et penser en même temps

David tue huit cents ennemis : DAVID OCCIDIT OCTINGENTOS. David brandit une épée; les ennemis, terrifiés, ne songent pas à se défendre.

2 Samuel 23, 8 

Voici les noms des vaillants hommes qui étaient au service de David. Joscheb Basschébeth, le Tachkemonite, l’un des principaux officiers. Il brandit sa lance sur huit cents hommes, qu’il fit périr en une seule fois.

Les livres de piété médiévaux ne se fondent pas sur la Bible ou, s'il le font, uniquement sur sa version latine, la seule disponible en ces temps-là. Due à Jérôme de Stridon (saint Jérôme) au IVe siècle de notre ère, la Vulgate est la référence pour l'Église d'Occident dont les théologiens et commentateurs ne maîtrisent pas l'hébreu. Il faudra attendre la Réforme et les premières traductions en langues vernaculaires, c'est-à-dire dans les langues de chaque pays, en allemand avec Luther ou en français avec Olivétan, directement à partir du texte hébreu pour corriger un certain nombre d'erreur manifestes dont les commentateurs étaient paradoxalement parfaitement conscients mais où ils voyaient plutôt une marque du mystère de la foi.

Ainsi Pierre Le Mangeur, grand inspirateur de Ludolphe de Saxe, reconnaît que ce passage du livre de Samuel est « littera difficilis », « la lettre en est difficile », sous entendu « difficile à comprendre » mais cela ne l'empêche pas de reprendre la formule latine pour désigner David « ligni vermiculus », autrement dit « un tendre vermisseau de bois » capable pourtant de tuer huit cent ennemis... Et Ludolphe d'appliquer cette explication à la fois à David et à Jésus. En effet, le vermisseau est d'apparence tendre et molle mais est capable de percer les bois les plus durs, ainsi David était « très débonnaire dans ses relations privées mais intraitable à la guerre », ainsi Jésus était « suave et doux » dans sa vie terrestre même envers ses ennemis mais sera « terrible et cruel » contre eux dans son règne céleste.

C'est là un exemple manifeste de cette interprétation typologique qui revient à dire que Jésus est analogue à tel personnage biblique, ici David, lequel est analogue à un vermisseau et donc Jésus est patient et résistant comme le vermisseau de bois. Cette image est bien sûr en référence avec le renversement des soldats venus arrêter Jésus (cf. 43) et permet à l'auteur de ce livre de piété qu'est le Speculum d'expliquer comment s'articulent le message évangélique de douceur et de bienveillance envers tous les hommes et la punition divine dans les flammes infernales par le jugement de ce même Jésus-Christ.

Rester fidèle à ce que l'on est

L'homme a un besoin urgent de justice et l'idée même d'un pardon accordé par Dieu à tous les humains, quelques soient leurs torts, heurte fondamentalement notre sentiment d'une juste rétribution des actes commis durant leur existence. Et les notions de paradis accueillant les justes et d'enfer où sont destinés les méchants, comme l'idée même d'un jugement divin, renvoient à des traditions religieuses largement antérieures au christianisme, notamment au Livre des Morts égyptien pour lequel l'âme du défunt devait être aussi légère qu'une plume pour entrer dans la vie éternelle.

Il est toujours nécessaire de rappeler que ces conceptions ne sont pas chrétiennes mais correspondent à une forme de plaquage abusif des réalités humaines, sociales, politiques et juridiques de telle ou telle époque sur notre représentation des réalités existentielles et transcendantes. L'Église d'aujourd'hui comme celle de hier aurait meilleur temps de se consacrer pleinement à la transformation du monde dans une perspective de plus grande émancipation, de justice et de réconciliation plutôt que d'apparaître comme une force réactionnaire voire rétrograde.

Mais il serait permis d'entendre l'image de David, simple vermisseau de bois, différemment même si elle ne correspond pas du tout au texte biblique pour lequel celui qui tua huit cent ennemis était, non pas David, mais un de ses serviteurs. Face à son bout de bois, le vermisseau ne change pas de nature, il ne se fait pas aussi dur que le bois qu'il veut manger, il fait ce qui correspond à sa nature, de manière lente, opiniâtre et déterminée. Ainsi nos sociétés assiégées de toutes parts, par les fondamentalismes religieux ou les populismes politiques, par les menaces sanitaires ou naturelles, ne peuvent ni ne doivent renoncer à ce qui a fait leur force historique et spirituelle : l'esprit des Humanistes puis celui des Lumières dont les principes et les valeurs sont les fruits et les effets, la transposition sociale et politique, de l'esprit de l'évangile.

Pour résister à leurs ennemis, ni David ni Jésus ne sont devenus comme eux. L'exemple de David, homme de prière, c'est l'auteur des plus beaux psaumes, et homme d'État, c'est lui qui a garanti la liberté d'Israël, est celui de la sagesse selon Bergson, à savoir « penser en homme d'action et agir en homme de pensée ». Il s'agit d'être à la fois dans l'action, dans la capacité à étendre et défendre nos solidarités et libertés, individuelles et collectives, contre tout ce qui les menace et à la fois dans la réflexion constante sur le type de société que nous voulons pour nous-mêmes et nos enfants.

Roland Kauffmann

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