Un vitrail par jour 44

18 février 2021 -  Une drôle de manière d'aimer ses ennemis ?

Sangar tue six cents ennemis : SANGAR OCCIDlT SEXCERTOS VIROS. Sangar, sans armure et la tête nue, frappe avec une massue des soldats en casque et armure, armés de hallebardes et d'épées.

Juges 3, 31

Après lui, il y eut Schamgar, fils d’Anath. Il battit six cents hommes des Philistins avec un aiguillon à bœufs. Et lui aussi fut un libérateur d’Israël.

Ce n'est pas le moindre des intérêts de nos vitraux que de mettre en lumière, à côté des fameux Marie, Joseph, Job, David ou Moïse, des personnages bibliques moins connus comme Balaam (n°6), Jephté (n°12) ou ce Sangar (ou Schamgar suivant les traductions). Son histoire s'inscrit dans cette même tradition, illustrée par Gédéon (n°20), de la victoire accordée par le dieu d'Israël à son peuple contre un ennemi largement supérieur en nombre ou en force, comme avec David contre Goliath (n°34). Notre auteur médiéval associe d'ailleurs Sangar à un autre héros, Samson, plus connu grâce à Cecil B. DeMille et son film « Samson et Dalila » que grâce à la lecture biblique.

Il est permis de se demander d'ailleurs dans quelle mesure nos représentations théologiques sont forgées en réalité par les représentations culturelles et notamment par le cinéma et la littérature. Il en va de même pour l'histoire en général, c'est ainsi Victor Hugo qui, dans Les Misérables, construit le mythe de Waterloo ou Tolstoï qui nous plonge dans la Campagne de Russie avec Guerre et Paix. Ce que beaucoup de nos contemporains connaissent de la Bible ne vient pas d'une lecture, personnelle ou collective, de celle-ci mais bien plutôt des images forgées par les réalisateurs ou les romanciers. Et il en a toujours été ainsi !

En effet, l'auteur du Speculum, nous l'avons déjà dit à maintes reprises, n'est pas un lecteur de la Bible mais de ses commentateurs. Faisant fond sur ses propres lectures, il interprète le récit biblique, donne à voir une compréhension du monde laquelle est ensuite reprise par l'illustrateur de l'ouvrage puis encore transformée par l'artisan verrier et ses commanditaires. C'est ainsi que depuis les temps les plus anciens, notre imaginaire est formé par les poètes, les artistes et les auteurs en général. Et ce que nous prenons parfois pour vérité d'évangile n'est souvent qu'une vision d'artiste plus ou moins convaincu et convaincant. D'où l'importance d'un retour permanent au texte biblique dans notre spiritualité contemporaine, de manière à ne pas voir le Christ et l'évangile avec les yeux des autres mais avec les nôtres et à ne pas confondre les œuvres d'art et le message de l'Évangile. Si le Speculum Humanae Salvationis est la littérature de son temps, nos vitraux sont le cinéma de l'époque médiévale.

Le culte de la violence

Les peuples antiques avaient le culte du héros, celui qui combat au nom de l'armée toute entière, et dont la victoire ou la défaite contre un autre héros, évitait la mort des soldats. Il y autant d'exagération dans le texte biblique que dans n'importe quel autre texte antique qui nous raconte que « les cadavres ennemis couvraient la plaine ». À se demander si avec un tel libérateur que Sangar, Israël n'aurait pas dominé tout le proche-orient. Cette fascination religieuse pour la violence guerrière n'en finit pas d'étonner comme si chaque religion, d'hier comme d'aujourd'hui, avait besoin de trouver sa légitimité dans le culte de la force et faisait de ses héros l'exemple de l'intervention divine.

Ce ressort, foncièrement archaïque, est en réalité essentiel pour comprendre comment et pourquoi de jeunes gens, sont prêts à donner leur vie pour mourir en martyr. À la condition d'emporter avec eux dans la mort le plus grand nombre possible de leurs ennemis ou, à défaut du nombre, avec la plus grande signification symbolique. Ce qui nous paraît, après cinq siècles de modernité, aberrant, tuer au nom de Dieu, est au contraire un signe de piété extrême pour un esprit religieux. Les extrémismes religieux que nous connaissons aujourd'hui nous considèrent, que nous le voulions ou non, comme leurs ennemis et n'auront de cesse que d'être parvenus à détruire nos sociétés libérales et pluralistes.

Et si l'on sent bien la fascination de Ludolphe de Saxe au XIVe siècle pour ces héros belliqueux qui ne faisaient qu'une bouchée de leurs adversaires, force lui est de constater que ce n'est pas ainsi que le Christ répond à ceux qui veulent sa mort et il va trouver dans l'exemple du roi David, à l'occasion certes d'une autre grande victoire, néanmoins une autre manière de répondre à la violence des temps, c'est l'objet du prochain vitrail (n°45).

Roland Kauffmann

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