Un vitrail par jour 40

17 décembre Ne jamais chercher à plaire aux puissants

David, vainqueur de Goliath, est reçu en triomphe : DAVID SUSCEPTUS CUM LAUDIBUS. David apporte la tête de Goliath à Saül et à Jonathan, fils de Saül tous deux couronnés et portant des vases de libation; derrière eux, Abner, chef de l'armée de Saül.

1 Samuel 18, 6-9

6 Comme ils revenaient, lors du retour de David après qu’il eut tué le Philistin, les femmes sortirent de toutes les villes d’Israël au-devant du roi Saül, en chantant et en dansant, au son des tambourins et des triangles, et en poussant des cris de joie. 7 Les femmes qui chantaient se répondaient les unes aux autres, et disaient : Saül a frappé ses mille, — Et David ses dix mille. 8 Saül fut très irrité, et cela lui déplut. Il dit : On en donne dix mille à David, et c’est à moi que l’on donne les mille ! Il ne lui manque plus que la royauté. 9 Et Saül regarda David d’un mauvais œil, à partir de ce jour et dans la suite.

Le retour du héros s'en revenant de guerre n'est jamais facile. On l'a vu avec Jephté dont l'idolâtrie, lui faisant confondre l'Éternel avec l'un de ces dieux territoriaux, l'oblige à sacrifier sa fille (vitrail 12) mais aussi avec Agamemnon, le souverain maître des Grecs, qui dans son retour victorieux de Troie ne trouvera que la mort de la main de sa propre épouse et de son amant. C'est le génie grec que de souligner que le héros n'est jamais le bienvenu, ainsi en est-il d'Ulysse dont les courtisans de son épouse, Pénélope, ne souhaitent pas vraiment le retour. Le Colonel Chabert ou Le retour de Martin Guerre sont la reprise contemporaine de ce thème éternel. Les sociétés vivent de la guerre mais n'aiment pas ceux qui la font.

Ainsi David, rentrant avec la tête de l'ennemi vaincu espère plaire à son roi. Car David n'est pas le premier roi d'Israël. Il a été précédé dans cette charge par Saül, prototype du roi fou dont Shakespeare s'inspirera pour Le roi Lear. La folie de Saül est, entre autres raisons, liée à cette jalousie qui s'installe à ce moment précis où le chœur des femmes, comme dans une tragédie grecque, chante la gloire du berger au détriment de celle du roi. Peu après, Saül cherchera par tous les moyens à tuer David, lequel sera obligé de prendre le maquis puis de lutter contre celui qui n'est plus qu'un tyran.

C'est cette dimension tragique qui intéresse notre auteur médiéval. Dans son récit de l'entrée de Jésus à Jérusalem (vitrail 38), il soulignait à la fois les larmes de Jésus, renvoyant à celles de Jérémie (vitrail 39) et la vanité de la liesse populaire, identique à celle accueillant David peu de temps avant de le chasser comme cette même foule, acclamant Jésus, ne va pas hésiter à demander sa mort peu après. De l'inconstance des foules, capables d'adorer puis de brûler ce qu'elles ont adoré, Ludolphe ne retient que la nécessité pour le chrétien de s'en écarter. De même que David a triomphé de Goliath, est célébré par une foule versatile mais doit s'en retirer ; ainsi Jésus a-t-il vaincu le diable, et est-il célébré par une foule qui ne le reconnaît pourtant pas.

Pourtant David comme Jésus, ne va pas se résigner à cet abandon car ils savent l'un et l'autre que leur vocation les dépasse et qu'elle ne dépend ni de l'approbation du roi ni de l'adhésion du peuple. Tout à son parallèle entre image terrestre et réalité céleste, notre auteur reprend l'idée d'un combat spirituel où il appartient à chacun d'entre les fidèles de choisir son camp, soit celui de la louange et de l'altruisme, soit celui de l'égoïsme et de l'oppression. Ce serait faire un anachronisme que de considérer qu'au XIVe siècle, l'auteur du Speculum se livrerait à une défense illustration de la liberté de conscience. Ce n'est pas en ces termes que le débat se pose en ce temps-là qui préfère l'image de l'affrontement entre anges et démons dont l'âme humaine serait l'enjeu.

L'exigence morale

Néanmoins c'est bien de conscience morale qu'il est ici question. Si David trouve la force et le courage de s'opposer à son roi fou, c'est au nom d'une conviction profonde, ce que dans les vieux mots de la théologie protestante, nous désignons comme le « for intérieur ». Autrement dit, ce dialogue intérieur de notre conscience qui permet de discerner ce qui est de l'ordre du devoir moral et de la volonté. La conscience personnelle, transformée par la grâce, éduquée et forgée par l'appropriation des textes bibliques et par l'expérience évangélique, est l'instance supérieure qui s'impose à nous. Lorsqu'elle fait défaut ou qu'elle est creuse, nous sommes les jouets de toutes les manipulations idéologiques, politiques et religieuses.

C'est alors que nous nous laissons imposer une conscience factice, d'un ordre du monde qui ne pourrait être autrement qu'il ne l'est. Pour résister aux évidences qui voudraient qu'il n'y ait pas d'alternative au monde tel qu'il va, autrement dit à un monde livré à l'appétit des rois fous, c'est d'abord notre conscience individuelle qu'il faut cultiver et défendre, quel qu'en soit le prix, afin qu'elle ne nous soit pas à terme imposée par un totalitarisme politique, économique ou religieux. Et si pour David, cela passait par la résistance armée avec une petite troupe de partisans, cela passe pour nous aujourd'hui par l'enracinement culturel, par l'intelligence et l'engagement au nom de la liberté de conscience. Une liberté inconditionnelle.

Roland Kauffmann

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