Un vitrail par jour 69

15 mars 2021

Être libéré de soi

L'Exode. Le peuple d'Israël, sous la conduite de Moïse, quitte l'Égypte, la maison de servitude, représentée comme un château-fort. Moïse est de taille beaucoup plus grande que les Israélites qui le suivent.

Exode 12, 41

41 Et au bout de quatre cent trente ans, le jour même, toutes les armées de l’Éternel sortirent du pays d’Égypte.

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Le thème de la libération est l'une des principales clé d'interprétation du récit biblique et ce dès l'arrivée de Joseph en Égypte (vitrail n°23). Si l'on veut comprendre l'intention de Dieu pour l'humanité, ce qui est proprement le sujet du Speculum Humanae Salvationis, il convient toujours de se poser la question de quoi sommes-nous libérés ? De quelle servitude et pour aller dans quelle direction, vers quelle Terre promise ?

Le paradigme de cette libération est bien évidemment celle du peuple hébreux hors de la maison de servitude qu'est l'Égypte. Cette même Égypte qui était à l'origine la terre du refuge pour Joseph, son père Jacob et ses frères, ceux-là même qui l'avaient vendu comme esclave (vitrail n°58) alors que la Palestine subissait la famine. Jour pour jour, nous dit le texte, après quatre cent trente ans après l'arrivée de Jacob en Égypte, le peuple d'Israël, l'autre nom de Jacob, en sort triomphalement après y avoir vécu en esclavage. La libération se fait sous la direction de Moïse qui est ici, conformément à la tradition antique représenté beaucoup plus grand que les autres, tout comme l'étaient les pharaons sur les fresques égyptiennes ou le Christ sortant Adam et Ève des enfers (vitrail n°67). C'est ainsi que tout au long du récit biblique, le Dieu d'Israël, l'Éternel se présentera : « Je suis celui qui vous a fait sortir du pays d'Égypte ». L'acte libérateur initial de Dieu lui donne la légitimité pour donner sa loi au peuple.

Ce n'est pas en tant que « créateur » que l'Éternel revendique son droit sur son peuple, ni parce qu'il serait « plus fort que les autres dieux », ni parce qu'il serait « unique », c'est parce qu'il est « libérateur » que sa loi, la Torah, révélée à Moïse sur le mont Horeb est digne de confiance. La loi (torah תּוֹרָה) est toujours une direction, une voie entre une servitude et une terre promise. Ce chemin peut être ardu, aussi difficile que les années de désert que le peuple devra traverser, les carêmes de nos vies ou les confinements et couvre-feux que nous vivons aujourd'hui. Ce qui importe c'est de ne pas perdre confiance en celui qui nous guide et veut donner une forme à nos existences.

Car suivre la Loi, c'est accepter de ne pas vivre comme nous l'entendons, dans le désordre de nos désirs contradictoires et insulaires. L'homme est ainsi fait qu'avec la meilleure volonté du monde, il est dominé par ses intérêts, ses besoins et sa prétention à être le centre du monde, voire de l'univers. Une prétention à être lui-même comme Dieu, déjà au cœur du récit du péché originel (vitrail n°3). La liberté, manifestée par la sortie d'Égypte n'est pas la liberté d'agir comme bon nous semble mais la décision de vivre conformément à un projet collectif plutôt que de subir la loi imposée par l'oppresseur.

La loi de l'altérité

La loi dite de Moïse est l'annonce de la loi du Christ, et c'est bien pour souligner cette dimension que notre auteur médiéval fait le parallèle entre la libération du peuple hors d'Égypte par Moïse et la libération de l'humanité hors des enfers par le Christ. La loi du Christ qui devient le chemin de la libération n'est autre que la loi de l'amour et particulièrement du don de soi. Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime nous dit l'évangile (Jean 13, 34) et le sacrifice du Christ n'a rien à voir avec une nécessité de rachat de l'humanité devant un Dieu vengeur et de colère. La loi libératrice, le chemin de vie proposé par le Christ à l'humanité qu'il sauve des enfers, est une loi d'attention à l'autre, de primauté accordée à l'autre, à tout autre que moi, dont les besoins, les attentes et les espérances doivent être comblées avant les miennes.

Placer l'autre, celui que l'on désigne comme le « prochain », au centre de nos préoccupations tout simplement parce que cet autre humain, cet individu concret auquel je me heurte, auquel je suis confronté à chaque instant, est le miroir de cet Autre que nous appelons Dieu, voilà le commencement et la fin de l'éthique du Royaume proposée par l'évangile.

Comme la femme de Lot pétrifiée ou le peuple hébreu nostalgique des casseroles fumantes de l'Égypte, comme ces mêmes israélites préférant les cultes des étoiles et des cavernes, reproduisant les modes de vies des peuples anciens, comme tous ceux qui préfèrent les mirages de la réussite personnelle et de l’égoïsme du chacun pour soi, nous sommes libres de rester seuls avec nous-mêmes, dans notre enfer. Il n'est de véritable libération et de salut que dans l'altruisme fondamental du don de soi au profit exclusif de l'autre, de celui qui nous est confié et qui requiert notre pleine et entière attention. Ce faisant, ce n'est pas seulement l'intérêt de l'autre qui est privilégié mais bel et bien notre humanité, dans sa dimension autant personnelle que collective. L'absolue gratuité du bien que nous faisons à nos frères et sœurs en humanité est l'image de l'absolue grâce de Dieu par laquelle nous sommes sauvés de l'enfer quotidien. Voilà toute la Loi et les Prophètes, voilà le Christ et les évangiles au seuil de la résurrection.

Roland Kauffmann

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