Un vitrail par jour 67

13 mars 2021

La réconciliation entre Dieu et l'humanité

La sortie du Christ des Enfers. Le Christ tient dans la main gauche l'étendard de la croix ; de la main droite il conduit Adam, vieillard à longue barbe blanche, qui est suivi d'Ève. Tous deux sont habillés et sortent du séjour des morts. Au-dessus de la porte infernale, les démons sont furieux de se voir enlever leur proie.

Évangile de Nicodème, 25 (http://remacle.org/bloodwolf/apocryphes/nicodeme.htm)

Et le Seigneur, étendant sa main, dit : « Venez à moi, tous mes Saints, qui avez mon image et ma ressemblance. Vous qui avez été condamnés par le bois, le diable et la mort, vous verrez que le diable et la mort sont condamnés par le bois. » Et aussitôt tous les Saints furent réunis sous la main du Seigneur. Et le Seigneur, tenant la main droite d'Adam, lui dit : « Paix à toi avec tous tes fils, mes justes. » (…) Et le Seigneur, détendant sa main, fit un signe de croix sur Adam et sur tous ses Saints, et, tenant la main droite d'Adam, il s'éleva des enfers. Et tous les Saints le suivirent.

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Le vitrail du jour est fascinant. S'il fallait encore une preuve de la liberté interprétative de l'auteur du Speculum Humanae Salvationis comme de l'artisan verrier, ce vitrail en ce qu'il montre l'écart que s'autorise l'auteur moraliste avec le texte biblique et l'écart que prend l'artisan par rapport au texte du Speculum en est caractéristique.

Nous avons déjà dit à plusieurs reprises que Ludolphe de Saxe ne connaît pas la Bible autrement que par les commentaires faits par d'autres que lui. Il ne l'a sans doute jamais lue et en s'appuyant sur des autorités, il contribue à répandre parmi son lectorat les traditions anciennes et par un effet de redondance assez proche finalement des réseaux sociaux d'aujourd'hui, il devient lui-même une autorité, justifiant encore plus la tradition. Mais à la tradition peut encore s'ajouter la licence poétique de l'artiste illustrant le propos de Ludolphe de Saxe dans les verrières de l'église Saint-Étienne de Mulhouse au XIVe siècle.

Poursuivant sa veine mystique de description du parcours du Christ aux enfers, notre auteur médiéval nous raconte la libération des saints et des prophètes que Jésus sort littéralement des enfers pour les conduire auprès de Dieu. Rappelons le parcours : il est enseveli (vitrail n°59), va au limbe des patriarches (n°61), les fait ici sortir des Enfers avant de ressusciter (n°70). Cela est cohérent même si la Bible ne dit rien de ce périple infernal. Il s'agit de décrire la victoire du Christ sur le mal (n°64) et la libération des fidèles de l'emprise du démon finalement impuissant. L'encouragement moral à la persévérance et à la résistance aux tentations terrestre d'un tel récit auprès de lecteurs convaincus de l'existence d'un autre monde est évident.


Mais, Ludolphe n'évoque pas du tout Adam, il parle explicitement des patriarches. C'est l'artisan verrier, et peut-être ses commanditaires, qui se référant à la tradition de l'évangile apocryphe de Nicodème, symbolise les patriarches en la figure d'Adam que Jésus tient de la main droite comme sur notre vitrail. Plus encore, l'artiste ne peut imaginer Adam sans Ève et l'ajoute donc dans la représentation alors même que l'auteur n'en dit rien. L'artiste a-t-il conscience de conclure une boucle narrative au sens où nous l'entendons aujourd'hui en littérature ? Cette sortie d'Adam et Ève hors des enfers, guidés par le Christ vainqueur, est en effet l'exact contre-point à leur expulsion du Jardin d'Éden sous la menace de l'ange armé d'une épée (vitrail n°4).

Une nouvelle alliance pour un monde nouveau

Tout se passe comme si l'histoire de l'humanité n'avait été jusque là qu'une parenthèse entre l'expulsion du Jardin et la sortie des Enfers du couple primordial ; comme si l'histoire pouvait maintenant réellement commencer avec ce nouveau départ spirituel que représente la venue du Christ, comme l'Arche de Noé avait été un recommencement de la création matérielle après le déluge. Cette notion de recommencement est en effet essentielle pour comprendre nos vitraux. Si l'artisan verrier prend des libertés par rapport à l'œuvre qu'il est chargé d'illustrer c'est qu'il en a compris l'esprit et l'intention : la rédemption est une nouvelle création, le vieux monde est passé, le nouveau monde est là !

En insistant sur les patriarches et les prophètes, Ludolphe de Saxe souligne la reconduction régulière de l'alliance entre Dieu et l'humanité dont Adam et Ève étaient les premiers porteurs, puis Abraham, Isaac, Jacob puis Moïse, David jusqu'à Jésus venant introduire ce qui sera considéré par l'Église comme la « Nouvelle Alliance ». Dire que les rapports entre l'humain et le divin sont de l'ordre de l'alliance, du 'berit en hébreu, c'est dire qu'il ne saurait y avoir d'humanité pleine et entière sans cet indescriptible appel au dépassement de notre nature humaine et qu'il ne saurait y avoir de divin sans l'affirmation de l'humain dans ce qu'il a de plus beau et de plus noble. Dans la conception biblique, le divin et l'humain sont indissolublement liés sans se confondre et cette réconciliation est magnifiquement exprimée par notre vitrail.

Roland Kauffmann

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