Un vitrail par jour 23

30 novembre La clé d'interprétation de la Bible

Le songe de l'échanson de Pharaon. L'échanson dort dans un lit; de sa poitrine sort une vigne portant plusieurs raisins.

Genèse 40, 9-15
9 Le chef des échansons raconta son songe à Joseph, et lui dit : Dans mon songe, voici, il y avait un cep devant moi. 10 Ce cep avait trois sarments. Quand il eut poussé, sa fleur se développa et ses grappes donnèrent des raisins mûrs. 11 La coupe de Pharaon était dans ma main. Je pris les raisins, je les pressai dans la coupe de Pharaon, et je mis la coupe dans la main de Pharaon. 12 Joseph lui dit : En voici l’explication. Les trois sarments sont trois jours. 13 Encore trois jours, et Pharaon relèvera ta tête et te rétablira dans ta charge ; tu mettras la coupe dans la main de Pharaon, comme tu en avais l’habitude lorsque tu étais son échanson. 14 Mais souviens-toi de moi, quand tu seras heureux, et montre, je te prie, de la bonté à mon égard ; parle en ma faveur à Pharaon, et fais-moi sortir de cette maison. 15 Car j’ai été enlevé du pays des Hébreux, et ici même je n’ai rien fait pour être mis en prison.

Après la vigne qui fleurit dans la poitrine de Mandane, la fille du roi Astyage (cf. vitrail 7) et le rameau de Jessé (vitrail 11), une nouvelle floraison de vigne comme préfiguration de la naissance du Christ par la vierge Marie nous est relatée par nos vitraux. Il nous faut faire un nouveau bond en arrière dans le temps, bien avant Moïse et le buisson ardent. En ce temps d'avant les temps où Joseph, fils de Jacob, arrière petit-fils d'Abraham, est vendu en esclavage par ses frères et emmené en Égypte. Thomas Mann en tirera un roman-fleuve, Joseph et ses frères dont le volume dépasse celui de la Bible et où il fait de l'histoire de Joseph, l'exemple même de ce qu'il appelle « l'humanisme de l'avenir » où la fraternité, malgré tous les obstacles, surmonte toutes les formes d'hostilité. Voltaire, Péguy, Goethe, Dostoïevski avec Les Frères Karamazov ou Alexandre Dumas et Le Comte de Monte-Christo, Joseph est le héros biblique romanesque par excellence, source inépuisable de description de ce qui fait la condition humaine.

Mais notre auteur médiéval ne retient de Joseph, ni le pardon offert à ses frères, ni le salut qu'il offre à sa famille en les faisant s'installer en Égypte. Ne l'intéresse que ce fameux songe du sommelier (échanson) de Pharaon. Celui-ci oubliera bien vite sa promesse lorsqu'il sera libéré. Il faudra que le Pharaon lui-même fasse des rêves que nul ne peut interpréter pour qu'il se souvienne de cet hébreu rencontré en prison et le fasse à son tour libérer pour interpréter le rêve des vaches grasses et des vaches maigres.

Une vigne, source de vie

Ce qu'il l'intéresse, c'est le parallèle entre ce rêve et la légende de la floraison des vignes d'Engadi, un lieu réputé pour ses vignobles « à l'heure de la naissance ». Pour lui, c'est un miracle que des vignes fleurissent en décembre, oubliant que le climat de Judée n'est pas celui d'Alsace. C'est bien sûr, Marie vierge miraculeuse qui est la terre d'où naît la vigne « laquelle est notre Seigneur Jésus-Christ [qui] croissait de terre, c'est à savoir de Marie, laquelle avait en soi trois merveilleuses choses », Et comme il a donné une interprétation symbolique des sept fleurs du rameau de Jessé, il comprend les trois sarments du songe comme les trois choses que Jésus tire de sa mère, à savoir « chair, âme et deité ». Trois choses que Ludolphe de Saxe nomme les trois personnes de la sainte Trinité qui libère l'humanité de sa captivité, comme l'échanson a été libéré de sa prison.

Mais le symbolisme va encore plus loin puisque le fruit de la vigne, le vin, est dès à présent associé au sang que Jésus versera sur la croix. Le sacrifice est toujours déjà présent dès la nativité. Et c'est ce vin/sang qui, nous dit notre auteur médiéval, « enivra (!) tellement le roy des cieulx qu'il pardonna franchement au genre humain tout son offense » et c'est bien évidemment une image symbolique du vin qui est donné aux chrétiens dans le sacrifice eucharistique. Car l'eucharistie catholique n'est pas d'abord une communion entre frères et sœurs en Christ comme l'est le repas (la cène) eucharistique des protestants, mais bien, dans l'esprit du Moyen-Âge, une répétition quotidienne de l'oblation, c'est-à-dire du sacrifice, car « il n'est jour auquel Dieu ne soit offensé ou courroucé des mondains ».

La clé d'interprétation

Pourtant le songe de l'échanson tel qu'interprété par Joseph est bien plus simplement, sans qu'il soit besoin de considérations métaphysiques, l'annonce d'une libération. Et n'est-ce pas là une belle clé d'interprétation du récit biblique et de l'évangile ? Lorsque nous ne comprenons pas tel ou tel texte, se demander en quoi il peut être libérateur. De quoi ? Comment ? À quelles conditions et quelles en seraient les conséquences pour moi et les autres si cette libération devenait effective ? Voilà une bonne manière de ne pas passer à côté de l'esprit du texte et de l'intention de Dieu qui nous est toujours présenté comme sauveur au sens de libérateur, ici et maintenant.

 Roland Kauffmann

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