Un vitrail par jour 24

1er décembre Le Royaume de Dieu

L'Adoration des Mages. Marie, couronnée et nimbée, présente l'enfant Jésus, lui aussi nimbé, aux trois Mages qui lui offrent leurs cadeaux avec leurs hommages. L'étoile, qui les a conduits à Bethléem est au-dessus de leurs têtes. Comme celui de la Nativité, ce vitrail est essentiel pour l'histoire de l'art. En effet, les trois rois sont blancs contrairement à la Tradition qui veut que le troisième aurait été noir. Ce n'est que vers la fin du XVe siècle, qu'on a fait un noir d'un des Mages, pour représenter ce qu'il était alors convenu d'appeler les trois races de l'humanité, à savoir Sem, Cham et Japhet, du nom des trois fils de Noé. Par contre la répartition des trois âges de la vie, entre vieillesse, maturité et jeunesse est déjà installée. Le mage le plus âgé a déposé sa couronne sur son genou.

Matthieu 2, 9b-12

Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta. 10 Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie. 11 Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Nous avons dit que l'auteur du Speculum Humanae Salvationis ne parle pas de la Nativité, sans doute parce que cet événement ne le concerne pas en raison de son aspect simplement humain alors qu'il cherche à démontrer par tous les moyens la participation de la vierge au divin mais aussi parce que contrairement à l'artiste verrier qui suit le récit de Luc, Ludolphe de Saxe suit le récit de Matthieu. Et comme pour l'évangéliste, les noms des trois rois mages ne l'intéressent pas alors même que « Melchior, Gaspard et Balthazard » sont déjà les noms que leur prêtent Pierre Comestor dans L'Histoire scolastique et Jacques de Voragine dans La légende dorée.

Ce qui compte bien plus pour lui, ce sont les présents : l'or qui signifie la royauté de l'enfant qui vient de naître, l'encens qui souligne sa prêtrise, sa fonction de médiateur entre le divin et l'humanité et la myrrhe qui annonce déjà sa mort et, fidèle à son intention d'articuler métaphysique et vie de piété, il transpose ces trois présents en valeurs, non plus matérielles mais spirituelles : « Nous devons oncques offrir à Dieu or de dilection [c.-à-d. attachement, amour tendre], encens de dévote louange et myrrhe de compassion ». Amour de Dieu, c'est-à-dire amour pour les hommes et les femmes de notre temps tel qu'il est ; louange, c'est-à-dire reconnaissance de la dette que nous avons les uns envers les autres et envers Dieu et une véritable compassion active pour les détresses et les peines de tous ceux qui aujourd'hui souffrent et sont dans la peine, voilà bien trois cadeaux que nous pouvons nous offrir les uns aux autres en cette fin d'année éprouvante.

Qu'est ce que le Royaume ?

Si les mages sont devenus des rois, la tradition l'explique par le psaume 72, 7-14 : « 7 En ses jours le juste fleurira, Et la paix sera grande jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de lune. 8 Il dominera d’une mer à l’autre, Et du fleuve aux extrémités de la terre. 9 Devant lui, les habitants du désert fléchiront le genou, Et ses ennemis lécheront la poussière. 10 Les rois de Tarsis et des îles paieront des tributs, Les rois de Séba et de Saba offriront des présents. 11 Tous les rois se prosterneront devant lui, Toutes les nations le serviront. 12 Car il délivrera le pauvre qui crie, Et le malheureux qui n’a point d’aide. 13 Il aura pitié du misérable et de l’indigent, Et il sauvera la vie des pauvres ; 14 Il les affranchira de l’oppression et de la violence, Et leur sang aura du prix à ses yeux. »

On ne peut que regretter que la tradition n'ait retenu que l'hommage rendu au « juste » par les rois de la terre. Les commentateurs y ont trouvé la légitimité de la soumission du pouvoir temporel au pouvoir religieux, conception exactement inverse de la laïcité. N'utilisant que ce qui les arrange, les pouvoirs religieux et cléricaux oublient la suite, à savoir que le Juste n'est pas là pour dominer mais pour instaurer l'utopie biblique de la délivrance du pauvre, du malheureux et l'affranchissement de toute espèce de domination.

L'alliance du trône et de l'autel, pour évidente qu'elle ait été au Moyen Âge, ne peut et ne doit plus être recherchée aujourd'hui. Nos sociétés connaissent le prix du sang versé au nom d'un prétendu Vicariat de Dieu sur terre avec son lot d'inquisitions et de persécutions, de guerres et de violences au nom de Dieu. Il n'y a de pire tyrannie que celle qui se prétend à la fois justifiée par la légitimité religieuse et politique. Lorsque « Dieu » et le « Roi » s'allient pour légitimer et défendre réciproquement leurs pouvoirs, les libertés individuelles et collectives sont en danger. C'est précisément l'objet de la lettre de Jean Calvin en introduction à L'institution de la Religion chrétienne où le Réformateur français demande à François Ier non pas de s'incliner devant le Christ mais au contraire affirme que les protestants français se considèrent bien comme des sujets du roi mais n'en revendiquent pas moins une liberté religieuse qui ne dépend pas du pouvoir royal. Aujourd'hui que d'aucuns prétendent que les lois religieuses seraient supérieures aux lois de la République, il faut affirmer qu'ils se trompent. Dans la mesure où les lois républicaines sont le fruit d'une délibération collective tenant compte de la diversité de la société et dans la mesure inverse où les lois religieuses ne peuvent que s'exclure réciproquement, les lois républicaines doivent prévaloir sur les pratiques religieuses. Le Royaume de Dieu n'est pas un substitut de l'État mais le lieu où « le juste a pitié de l'indigent ».

L'Église, et toute forme de religion, n'en déplaise à ceux qui voudraient qu'elle domine la société et voient dans ces mages prosternés l'exemple de cette soumission du temporel, doit au contraire être profondément laïque et être au service de la société pour un renouveau du monde, renouveau dont le programme nous est donné par le psaume et par le Speculum. Un programme qui ne se voit certes pas dans le vitrail mais bien dans le texte et qui sera encore déployé plus avant dans la suite de notre récit.

Roland Kauffmann

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