Un vitrail par jour 22

29 novembre L'humanité de Dieu

La naissance du Christ. Marie, nimbée de rouge, dans une robe verte, assise sur un lit, tient dans ses bras son enfant nouveau-né, lequel est déjà joueur et a les yeux ouverts; à ses pieds, Joseph, avec le même bonnet rond et le même bâton que dans la scène du mariage; dans le fond, la tête d'un bœuf et celle d'un âne; au-dessus resplendit l'étoile. - Marie n'est pas encore représentée agenouillée devant l'enfant Jésus, comme nous la voyons toujours à partir de la fin du XIVe siècle, mais couchée dans un lit; ce détail témoigne de l'ancienneté de nos vitraux.

Luc 2, 1-7

1 En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. 2 Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. 3 Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville. 4 Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, 5 afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. 6 Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, 7 et elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie

Tympan ouest de la Collégiale de Thann
 Peut-être le texte biblique le plus connu de nos contemporains avec le récit de la naissance dans l'étable par manque de place dans l'auberge de la ville bondée par tous ceux qui devaient se faire recenser. Tant il est encore aujourd'hui repris dans toutes les cérémonies, veillée de Noël ou entendu dans l'Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach. Une scène bien humaine où on ne peut blâmer l'aubergiste puisqu'il faut imaginer aujourd'hui un grand rassemblement de population. Marie et Joseph ont paradoxalement eu de la chance de trouver encore de la place au chaud auprès de l'âne qui devaient certainement être leur monture et du bœuf qui devait se trouver là.

La tradition associe cependant l'âne et le bœuf en référence avec la comparaison que fait le prophète Ésaïe « Cieux, écoutez ! Terre, prête l’oreille ! Car l’Éternel parle. J’ai nourri et élevé des enfants, Mais ils se sont révoltés contre moi. Le bœuf connaît son possesseur, Et l’âne la crèche de son maître : Israël ne connaît rien, Mon peuple n’a point d’intelligence. » (Ésaïe 1, 2-3). Ils signifie que même si l'enfant qui est naît ne sera pas reconnu par son propre peuple, il l'est pourtant par ceux qui conscience de la nature des choses. Ils signifient, comme l'étoile annoncée par Balaam, que l'enfant qui naît est bien celui annoncé par Ésaïe. Les paroles prophétiques n'annoncent en réalité par l'avenir mais sont des rappels à l'ordre, toujours dites pour ramener le peuple sur le chemin de l'obéissance à la Loi.

Malheureusement, les chrétiens dès les premiers siècles ont vu dans ces paroles et dans leur propre interprétation des signes autour de la naissance de Jésus, une condamnation sans appel d'Israël. Un peuple anciennement choisi par Dieu mais auquel viendrait se substituer le nouvel Israël, le nouveau peuple élu. L'antisémitisme contemporain se cache souvent là où on ne l'attend pas. Il est malheureusement toujours déjà là, sous nos yeux, dans nos crèches, avec cet âne et ce bœuf. Et nous verrons dans la suite de nos vitraux un certain nombre d'autres développements de ce détestable antisémitisme chrétien qui devient possible dès que l'on considère qu'il y a substitution entre Israël et l'Église. Par ailleurs, il faut toujours se souvenir, lorsque nous lisons le récit de la nativité qu'il y a deux récits, comme pour la création. L'évangile de Matthieu n'a nul besoin d'anges dans les campagnes ni d'âne ni de bœuf ni de crèches, il lui suffit de dire « Jésus étant né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode » (Matthieu 2, 1) sans doute parce que l'essentiel de l'histoire n'est pas dans la crèche.

Une parfaite humanité

Ce que l'on ne voit pas ou que l'on ne voit plus, c'est aussi le fait que Marie soit couchée sur un lit. Il est assez remarquable que le Speculum Humanae Salvationis ne parle quasiment pas de la nativité. Il l'évoque comme en passant alors qu'il s'étend bien plus sur tous les autres vitraux et l'artiste verrier a ainsi pu donner libre cours à son imagination. On y voit donc Marie souriante avec un enfant joueur sous le regard tendre de son époux. Loin de la reine du ciel ou de la mère de Dieu, c'est toute son humanité, certes dans un lit d'or et de brocards quoique dans une étable, mais c'est avant tout une jeune maman qui se relève de ses peines. L'artiste prend ses distances parce qu'il nous montre comment il imagine, lui, la naissance. Dans toutes les représentations ultérieures, Marie sera assise ou à genoux en prière. Puisqu'elle a conçu son fils sans souillure et a été elle-même conçue sans péché, elle n'est pas sous le coup de la condamnation de toutes les filles d'Ève et n'a pas besoin de souffrir. Elle peut donc se lever immédiatement et adorer le fils auquel elle vient de donner naissance. Nul doute que Ludolphe de Saxe était convaincu de cette idée et qu'il n'éprouve pas le besoin d'en parler parce que ce n'est même pas une question pour lui.

Pourtant, ce n'est pas ainsi que la nativité est représentée dans nos vitraux. Nous avons un exemple de l'interstice dans lequel l'artiste verrier a glissé un décalage d'interprétation en nous montrant Marie, telle que peut être une maman quelques heures après l'accouchement : simplement heureuse !

Cette humanité de Marie est bien plus touchante et conforme à l'esprit de l'évangile. Elle nous montre que le Christ, l'envoyé de Dieu, est natif de l'humain ! Que l'humanité est à la portée de chacun d'entre nous, car le Christ, dont chaque chrétien est l'incarnation, se manifeste à chaque fois que nous sommes nous-mêmes plus humains. C'est-à-dire plus fraternels, plus solidaires et plus libres de toute forme d'oppression. À chaque fois que nous incarnons l'amour véritable que nous devons aux plus petits d'entre nos frères, que nous secourons ceux qui sont affligés ou peinés, que nous soulageons ceux qui sont écrasés ou libérons les opprimés, nous sommes alors dans l'esprit du prophète Ésaïe (58, 6-12), de l'évangile et de notre vitrail de la Nativité.

Roland Kauffmann

 

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