Un vitrail par jour 57

3 mars 2021

Le mal sera vaincu

Le songe de Nabuchodonosor (l'arbre): NABUCHODONOSOR VIDIT ARBOREM. Le roi voit en songe un arbre qu'un bûcheron est occupé à abattre. Sous l'arbre, il y a quatre quadrupèdes, dont un lion et un cerf ; entre les branches, un nid de pélican.

Daniel 4, 10-18

10 Voici les visions de mon esprit, pendant que j’étais sur ma couche. Je regardais, et voici, il y avait au milieu de la terre un arbre d’une grande hauteur. 11 Cet arbre était devenu grand et fort, sa cime s’élevait jusqu’aux cieux, et on le voyait des extrémités de toute la terre. 12 Son feuillage était beau, et ses fruits abondants ; il portait de la nourriture pour tous ; les bêtes des champs s’abritaient sous son ombre, les oiseaux du ciel faisaient leur demeure parmi ses branches, et tout être vivant tirait de lui sa nourriture. 13 Dans les visions de mon esprit, que j’avais sur ma couche, je regardais, et voici, un de ceux qui veillent et qui sont saints descendit des cieux. 14 Il cria avec force et parla ainsi : Abattez l’arbre, et coupez ses branches ; secouez le feuillage, et dispersez les fruits ; que les bêtes fuient de dessous, et les oiseaux du milieu de ses branches ! 15 Mais laissez en terre le tronc où se trouvent les racines, et liez-le avec des chaînes de fer et d’airain, parmi l’herbe des champs. Qu’il soit trempé de la rosée du ciel, et qu’il ait, comme les bêtes, l’herbe de la terre pour partage. 16 Son cœur d’homme lui sera ôté, et un cœur de bête lui sera donné ; et sept temps passeront sur lui. 17 Cette sentence est un décret de ceux qui veillent, cette résolution est un ordre des saints, afin que les vivants sachent que le Très Haut domine sur le règne des hommes, qu’il le donne à qui il lui plaît, et qu’il y élève le plus vil des hommes. 18 Voilà le songe que j’ai eu, moi, le roi Nebucadnetsar [Nabuchodonosor]. Toi, Beltschatsar [Daniel], donnes-en l’explication, puisque tous les sages de mon royaume ne peuvent me la donner ; toi, tu le peux, car tu as en toi l’esprit des dieux saints.

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Il y a plusieurs manières de tuer les prophètes d'Israël. Le meurtre pur et simple comme la tradition le rapporte des prophètes Amos, Ézéchiel, Ésaïe ou encore Jérémie, en est une. L'interprétation spiritualiste en est une autre et c'est celle qu'utilise, sans en prendre conscience, notre auteur médiéval. En effet, tout à son projet de n'envisager les récits de la Bible hébraïque que sous l'angle de la préfiguration de Jésus-Christ, il ne se préoccupe absolument pas du message contenu dans cet épisode du songe du célèbre Nabuchodonosor. Dans la pure veine allégorique, Ludolphe de Saxe fait le catalogue de chaque détail du texte en le rapportant directement à la personne du Christ sur la croix. Ainsi qu'un « cœur de bête [soit] donné » au roi de Babylone, c'est une annonce du vinaigre donné à Jésus assoiffé. De même, que les « fruits soient dispersés » et c'est une image de la dispersion des apôtres partis en mission dès après la mort de leur maître ; les « sept temps » deviennent les « sept heures canoniales » qu'a duré le calvaire. Sans oublier que si la racine de l'arbre doit rester en terre, c'est aussi déjà une annonce que la mort n'aura qu'un temps avant la résurrection du Christ. Quant à « l'homme le plus vil », c'est évidemment une image de Jésus dans sa déchéance au point que Nabuchodonosor devient lui aussi une préfiguration du Christ.

L'intention apologétique des auteurs de livres de piété ne s'embarrasse pas du contenu théologique. La force de persuasion qu'ils trouvent dans la comparaison terme à terme entre les récits bibliques et le récit de la Passion suffit à les convaincre que la destinée de Jésus était inscrite dans le projet de Dieu depuis la fondation du monde. Cette volonté de rechercher le Christ dans tous les évènements de l'histoire d'Israël a pour nom le christocentrisme et est commun aux théologies catholiques, orthodoxes et luthériennes. C'est déjà le projet de nos vitraux du temple Saint-Étienne au XIVe siècle que de montrer le Christ dans l'histoire d'Israël et c'est ce projet que nous pistons depuis le début de notre voyage à travers ces scènes.

Ce que ne comprennent pas notre auteur ni l'artisan verrier ni leurs lecteurs et parfois, malheureusement, certains théologiens contemporains, c'est que l'auteur du récit originel, ici celui du livre de Daniel, a une intention qui lui est propre et qu'il n'a absolument pas à l'esprit l'annonce du Christ mais bien un message de consolation et de réconfort pour ses propres lecteurs. Le sens du songe n'est pas allégorique mais bel et bien l'annonce de la défaite finale de l'oppresseur babylonien. De la même manière que le jeune Joseph interprétait les rêves du Pharaon (vitrail n°23) au XIIIe siècle avant notre ère, Daniel est un jeune israélite prisonnier à la cour de celui qui a détruit la ville de Jérusalem au Ve, toujours avant notre ère. À l'inverse de Joseph, Daniel risque sa vie en disant la vérité au tyran puisqu'il annonce la chute de son règne livrant une extraordinaire leçon de courage politique. Une chute qui sera l'œuvre de l'envoyé de Dieu que sera ensuite le roi perse Cyrus (vitrail n°7) devenant pour Israël la figure du Messie, c'est-à-dire du libérateur.

Une libération prochaine

Plus encore, l'auteur du livre de Daniel s'inscrit à la suite du récit de libération d'Égypte et son intention est de montrer la souveraineté du Dieu d'Israël sur tous les royaumes de la terre. Il n'y a pour lui aucun pouvoir humain aussi absolu soit-il, comme l'empire babylonien ou les autres empires qui l'ont précédé ou lui succèderont, qui ne soit au pouvoir de l'Éternel. À la succession des oppressions répond celle des libérations, voilà l'interprétation du songe de Nabuchodonosor et le cœur du message de Daniel.

Mais ce livre de Daniel avec ses récits qui se déroulent à des époques différentes s'inscrit lui-même dans une interprétation de l'histoire comme ayant un but dont l'Éternel est le maître. Cette vision finaliste, l'histoire devant avoir une « fin » déjà prévue par le créateur, trouve sa source dans la compréhension biblique et se retrouve aujourd'hui dans beaucoup d'analyses pessimistes de notre situation actuelle mais cette fois dépourvue de toute espérance. L'effondrement de nos sociétés que certains annoncent complaisamment est à comparer à celui de l'arbre de Nabuchodonosor mais l'auteur du livre de Daniel veut convaincre ses lecteurs que, quoi qu'il arrive, l'Éternel aura le dernier mot et que ce dernier mot sera de rétablissement et de reconstruction.

C'est une incitation au courage et à la confiance. Outre son côté profondément subversif à l'égard des pouvoirs oppresseurs, l'auteur du livre de Daniel raconte à des prisonniers l'histoire d'un autre prisonnier pour annoncer un avenir qui sera restauré et meilleur que la situation présente. Pour les confinés que nous sommes, c'est aussi l'espérance de la reconstruction d'une société qu'il nous appartiendra de rendre meilleure, plus libre, plus juste et plus fraternelle.

Roland Kauffmann

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