Un vitrail par jour 50

24 février 2021 - Le sang de l'innocent

La flagellation du Christ : IhC [Jesus] AD COLUMNALM LIGATUR FLAGELLATUR. Le Christ, nimbé d'une croix et vêtu d'un bas de tunique blanche, signe d'innocence, est attaché à une colonne et deux bourreaux le battent de verges.

Matthieu 27, 20-26

20 Les principaux sacrificateurs et les anciens persuadèrent la foule de demander Barabbas, et de faire périr Jésus. 21 Le gouverneur prenant la parole, leur dit : Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? Ils répondirent : Barabbas. 22 Pilate leur dit : Que ferai-je donc de Jésus, qu’on appelle Christ ? Tous répondirent : Qu’il soit crucifié ! 23 Le gouverneur dit : Mais quel mal a-t-il fait ? Et ils crièrent encore plus fort : Qu’il soit crucifié ! 24 Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule, et dit : Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. 25 Et tout le peuple répondit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! 26 Alors Pilate leur relâcha Barabbas ; et, après avoir fait battre de verges Jésus, il le livra pour être crucifié.

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Troisième étape de la déchéance de Jésus, après la trahison (vitrail n°43) et l'humiliation (vitrail n°48), voici la flagellation par les hommes de Pilate, gouverneur romain de Palestine. Le procès de Jésus se déroule en plusieurs temps. D'abord l'interrogatoire religieux où la question est de savoir si Jésus a vraiment déclaré être le « Fils de Dieu » puis l'interrogatoire politique où il s'agit de savoir si il a prétendu « être le roi des Juifs », auquel cas il représenterait une menace pour l'autorité légale ainsi que pour le « protecteur » (c'est-à-dire l'occupant) romain.

Malgré les procédés bien connus utilisés par tous les pouvoirs, mensonges, faux-témoignages, détournement des paroles de l'accusé et autres fake news bien contemporaines, il n'empêche qu'en dernier ressort, Pilate, celui qui a, ou plutôt devrait avoir, le dernier mot, ne trouve rien à reprocher à cet homme qu'on lui livre et qui lui paraît être l'image même du « juste ». Même un général romain est capable de comprendre la notion de justice, nul besoin de connaître la Loi de Moïse pour cela. Et vient le troisième temps du procès, le jugement de la foule.

Ce n'est plus la même foule que celle qui avait répandu des rameaux sous ses pieds lors de son entrée à Jérusalem. Ceux-là attendaient le sauveur, ceux qui réclament la mort les jouets des passions religieuses et politiques. C'est toute l'ambiguïté de la notion même de « peuple » où un même mot peut avoir des significations différentes. C'est toute la question de la démocratie et du populisme qui se joue ici, entre le peuple qui vient de sa propre initiative saluer le juste et le peuple qui se laisse manipuler par les démagogues. Lorsque le peuple devient foule, l'injustice est reine et il ne reste plus à Pilate qu'à se laver les mains du sang de l'innocent.

Un exemple moral

Mais Ludolphe de Saxe n'a que faire de ces questions politiques et religieuses. Tout son développement, hormis la dimension antisémite que nous avons déjà souligné et condamné, vise à une leçon morale pour son lecteur et après avoir envisagé les préfigurations de la flagellation que sont pour lui l'exemple de Lamech (vitrail n°51) et de Job (vitrail n°52), il compare les souffrances du Christ avec celles que nous pouvons éprouver dans notre vie quotidienne.

Ludolphe s'inscrit ainsi dans la grande tradition du Christ consolateur des peines et souffrances endurées ici-bas. Rien de ce que nous souffrons ne peut être à ses yeux comparable à une seule goutte du sang que le Christ a versé sous les coups de ses bourreaux. Qu'il s'agisse d'une souffrance morale, spirituelle ou physique, économique ou sociale, elles ne sont jamais « qu'une petite bature » aux yeux de notre moraliste du XIVe siècle. 

Cette tradition qui nous est devenue étrangère et difficile à admettre aujourd'hui aura pourtant fait les beaux jours de l'éducation morale. Ainsi Pascal dans ses Pensées s'inscrivait lui aussi dans cette lignée lorsqu'il prêtait au Christ ces paroles : « Je pensais à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. ». Une conception qui a forgé l'endurance morale de nombreuses générations à la fois par l'individualisation et par l'identification qu'elle permettait dans la mesure où elle signifiait aussi l'idée d'être individuellement et collectivement à la hauteur de l'abnégation qu'a eu le Christ pour nous. S'il ne peut plus être question de nous flageller pour répondre à la souffrance du Christ, il n'en reste pas moins que la volonté d'être digne de lui peut être un soutien dans nos actions et nos décisions dans la lignée de Pascal.

Roland Kauffmann

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