Un vitrail par jour 49

23 février 2021 Le courage de dire non !

Hur périt sous les crachats des Juifs. HUR VIR MARIE SUFFOCATOR. Hur, époux de Marie, sœur de Moïse et Aaron, est assis, trois personnages le maltraitent.

Exode 32, 1-6

1 Le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s’assembla autour d’Aaron, et lui dit : Allons ! fais-nous un dieu qui marche devant nous, car ce Moïse, cet homme qui nous a fait sortir du pays d’Égypte, nous ne savons ce qu’il est devenu. 2 Aaron leur dit : Ôtez les anneaux d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles, et apportez-les-moi. 3 Et tous ôtèrent les anneaux d’or qui étaient à leurs oreilles, et ils les apportèrent à Aaron. 4 Il les reçut de leurs mains, jeta l’or dans un moule, et fit un veau en métal fondu. Et ils dirent : Israël ! voici ton dieu, qui t’a fait sortir du pays d’Égypte. 5 Lorsque Aaron vit cela, il bâtit un autel devant lui, et il s’écria : Demain, il y aura fête en l’honneur de l’Éternel ! 6 Le lendemain, ils se levèrent de bon matin, et ils offrirent des holocaustes et des sacrifices d’actions de grâces. Le peuple s’assit pour manger et pour boire ; puis ils se levèrent pour se divertir.

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Le lecteur curieux de la Bible chercherait en vain l'histoire de Hur mourant sous les crachats du peuple. Et si Moïse et Aaron ont bien eu une sœur, appelée Marie (ou Maryam), aucun texte ne parle de son prétendu mari, à supposer même qu'elle l'ait été, cet Hur qui selon les commentateurs médiévaux, au premier rang desquels Pierre le Mangeur et ensuite Ludolphe de Saxe, aurait refusé avec Aaron que les Israélites construisent le fameux Veau d'or.

La parallèle entre l'humiliation de Jésus dans la cour des sacrificateurs et celle de Hur, martyr au nom de sa fidélité à son Dieu est si évident que même si son histoire n'existe pas il fallait bien l'inventer. C'est exemplaire de la démarche typologique de la théologie médiévale. Puisque toute l'histoire est une annonce des évènements qui vont se passer, il faut bien trouver, quitte à l'inventer, un événement qui préfigure les crachats reçus par Jésus. D'autant que cette résistance de Hur permet également de dédouaner Aaron.

Résumons l'histoire, voilà donc Moïse qui monte sur le Sinaï s'entretenir avec Dieu et recevoir les Tables de la Loi. Évidemment, l'entretien dure un certain temps. Il n'en faut pas plus pour que le peuple s'inquiète, craint que Moïse en revienne pas et la nature humaine n'aime pas l'absence du chef ni l'absence de Dieu. Il lui faut un maître et un dieu, quitte à se les fabriquer de toute pièce l'un et l'autre. Car dans la demande d'un dieu, il y a toujours celle d'un ordre social et d'une assurance dans l'adversité et demander un dieu à Aaron, c'est aussi lui promettre de faire de lui le chef du peuple. Le Veau doit remplacer l'Éternel et Aaron remplacer Moïse.

À sa descente du Sinaï, Moïse, furieux, brise de colère les Tables de la loi, rassemble ses partisans et fait massacrer les principaux responsables de l'idolâtrie. Trois mille hommes mourront ce jour-là pour restaurer l'ordre mais pas Aaron. Celui-ci deviendra même, avec ses fils, le sacrificateur principal, responsable du culte rendu à l'Éternel dans la tente qui sera bâtie sur les indications de l'Éternel. Cette mise hors de cause de Aaron a toujours intrigué les rabbins et au fil des siècles s'est bâtie la légende de la résistance de Aaron qui aurait cédé aux instances du peuple « à l'insu de son plein gré ». Elle permettait également de conforter l'autorité de ses descendants, confrontés eux-aussi aux multiples cultes qui vont proliférer une fois le peuple installé dans la Terre Promise. Au silence du texte concernant un personnage aussi important que Aaron, l'histoire de Hur apporte une solide confirmation, du moins pour ceux qui se fient à l'autorité des commentateurs et des prêtres sans lire les textes.

Refuser les superstitions

Pourtant l'intention est belle et peut servir de leçon éthique dans nos situations contemporaines. Car ce qui est en jeu, ce n'est rien de moins que le besoin des foules d'adorer des idoles, qu'elles soient d'or ou de terre cuite.

Croire en Dieu est difficile pour des humains avide de preuves tangibles, c'est tellement plus facile de prêter foi aux théories les plus fumeuses. À ceux qui s'étonnent que les théories du complot puissent prospérer dans notre monde moderne, même dans une société aussi imprégnée de protestantisme que les États-Unis ; à ceux qui ne comprennent pas comment, dans l'Occident chrétien, peuvent fleurir les croyances les plus saugrenues, l'exemple du Veau d'Or est riche d'enseignements. L'homme a besoin de croire et peu lui importe en réalité en quoi ou en qui il croit. Le besoin de merveilleux se double d'un besoin d'ordre, d'explication du monde, et plus cette explication paraît absurde plus elle semble répondre à l'absurdité du monde moderne. S'ajoute l'effet de la foule :  « si tout le monde le dit ou le fait, c'est bien que ça doit être vrai ; puisque tout le monde apporte ses boucles d'oreilles et que c'est Aaron qui le dit, je vais le faire aussi ». Croire un seul instant que cet objet, une fois fondu en forme de veau, ait la moindre capacité de protection du peuple, soit autre chose que la somme des boucles d'oreilles, est d'une absurdité absolue.

Un homme, un seul, Hur, va refuser et dire « Non ! » quitte à en mourir de honte et de désespoir. Qu'il n'ait pas existé ne change rien à l'affaire, ce qui compte, c'est l'exemple de son courage et de sa volonté de ne pas contribuer à la prolifération du mal qui est en train de se faire. Hur est un exemple de la parrhésia, que le Nouveau Testament, qualifie indifféremment de « confiance » (Hébreux 3,6), de « liberté » (Éphésiens 3,12), « d'assurance » (Philippiens 1,20) ou que l'on peut traduire, à la suite de Michel Foucault, par « courage de la vérité » ou encore à la suite des classiques grecs, « droit de libre parole ». Autrement dit, la liberté de dire ce que l'on pense sans craindre pour sa vie, tout simplement parce qu'on en a le droit. 

Le bien se distingue du mal justement parce qu'il n'existe pas sans ce courage de dire « non » à toutes les idoles de tous les temps, courage qui a valu tant de crachats à Hur comme plus tard à Jésus. Hur, pour le moins, est l'une de ces figures qui se rapprochent le plus de L'Homme révolté d'Albert Camus.

Roland Kauffmann

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