18 mars 2022
99/9-5 : Castitas Luxuria – La chasteté terrasse la luxure
Introduction générale au cycle des vices contra les vertus et des charités évangéliques
Ce qui distingue la chasteté des autres vertus, ce n'est pas seulement qu'elle est de l'ordre du plus intime mais c'est de ne pas être universalisable. En effet, s'il peut être souhaitable que tous les humains soient charitables, patients, sobres, courageux ou généreux, l'extinction de l'humanité serait le résultat d'une pratique universelle de la chasteté.
Il est vrai que dans les premiers temps de l'Église, alors qu'elle se situait dans une perspective apocalyptique, persuadée d'un retour prochain du Christ et donc de la fin des temps, l'apôtre Paul a pu promouvoir le célibat et d'une manière générale le fait « qu'il est bon pour l'homme de ne pas toucher de femme » (1 corinthiens 7, 1), il a bien fallu se rendre à l'évidence de la nécessité de la génération. Plus largement au cours du Moyen Âge la réforme grégorienne du XIe siècle a réservé la chasteté aux clercs, prêtres et moines et a fait du mariage une obligation pour les laïcs en l'instituant même comme le septième sacrement. Certes l'acte sexuel ne se conçoit alors que dans le cadre du mariage et doit toujours être dans l'intention de la procréation, il n'en reste pas moins que la chasteté n'a jamais été comprise comme le mode de vie normal de la société.
Nos vitraux nous présenteraient donc une vertu réservée à quelque uns ? À nouveau, il faut comprendre la vertu en la mettant en rapport avec le vice représenté, ici la luxure. La chasteté n'est alors pas à prendre au sens propre de l'abstinence sexuelle mais comme l'inverse de la luxure comprise comme un débordement des sens et un dérèglement des mœurs. L'ensemble des vertus représentées dans les vitraux du temple Saint-Étienne de Mulhouse sont des caractéristiques d'une vie équilibrée et harmonieuse, en d'autres termes d'une vie réglée et ordonnée, où les passions sont non seulement sous contrôle et dominées mais vaincues au sens propre dans cette lutte entre les vertus et les vices. La luxure, comme les autres vices de notre série, s'oppose à la sobriété, à la patience, à la force, à la générosité et à l'amour, car les vices, de même que les vertus qui se renforcent les unes les autres, se complètent et s'opposent chacun à toutes les vertus.
Il est ainsi possible de définir la luxure autrement que sous les termes simplistes de débauche ou de pornographie. S'opposant à la générosité (100 9-6), la luxure est un égoïsme, c'est prendre pour soi sans faire attention aux désirs ou aux besoins de l'autre. S'opposant à la force (98 9-4) la luxure est une résignation, c'est renoncer à la beauté. S'opposant à la sobriété (94 8-6), la luxure est un appétit sans borne, c'est ne jamais parvenir à la satiété et à la satisfaction, il en faut toujours plus. S'opposant à la patience (93 8-5), la luxure est une avidité, c'est vouloir tout tout de suite. Enfin s'opposant à l'amour (92 8-4), la luxure est un mépris de soi et de l'autre, c'est considérer l'autre comme un moyen et non plus comme une fin.
Contrairement aux vertus qui sont entières et ne peuvent tolérer de demi-mesures - on aime ou on n'aime pas, on ne peut aimer à moitié – les vices ont des degrés dans la dégradation et si la luxure peut exister dans le cadre d'une relation sexuelle entre adultes consentants, elle est d'autant plus criminelle lorsqu'elle se passe du consentement, dans le cas du viol, ou qu'elle l’achète par une promotion ou un avancement de carrière. C'est tout l'objet des campagnes « #metoo » où de trop nombreuses femmes dénoncent la sexualisation qui leur est imposée ou « #dénoncetonporc » où des étudiantes racontent ce qu'elles endurent de la part de professeurs pouvant décider de leur avenir. Ces abus de faiblesse et de position d'autorité sont abjects et ne peuvent être tolérés sous couvert d'aucune forme de liberté que ce soit. Mais que dire alors de l'exploitation sexuelle d'enfants ? D'autant plus dans le cadre familial ? Ou dans le cadre d'institutions éducatives ? Ou dans le cadre de l'Église ?
Parce
qu'elle détruit celui ou celle qui en est victime, et pas seulement
la personne qui la pratique, en la touchant au plus intime
d'elle-même, non seulement dans son intégrité physique mais aussi
dans sa dignité psychologique et la représentation qu'elle peut
avoir d'elle-même, la luxure est une abysse parmi les vices. Et il
faut rendre hommage aux mouvements contemporains de libération de la
parole et prendre acte que dans ces affaires, il faut toujours
prendre au sérieux la parole des victimes ; ne pas croire que
les enfants mentent ou fabulent ; ne pas leur demander d'oublier
mais au contraire les aider à mettre des mots sur ce qui leur est
arrivé pour comprendre que l'amour existe néanmoins et ne doit pas
être avili par l'acte qui leur a été imposé.
Quant à
tous ceux qui ont une vie sexuelle harmonieuse et épanouie, c'est
néanmoins à une attention constante pour celles et ceux qui autour
de nous, dans nos familles, dans nos lieux de travail, dans nos
Églises, pourraient être victimes de cette violence dans leur chair
que nous sommes appelés par notre vitrail de la semaine.
Roland Kauffmann
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