Maigret ou la quête de l'innocence

Maigret, Patrice Leconte avec Gérard Depardieu

C'est dans l'attachement et la préoccupation pour l'autre qui seules permettent de rompre la solitude d'être soi que se trouvent à la fois "la métaphysique de Simenon, (…) bien plus horizontale que verticale"1 de Georges Simenon et la piste éthique que le réalisateur nous propose subtilement.

Une jeune fille est retrouvée morte, lardée de coups de couteaux, dans un square parisien. Le commissaire Maigret, du 36 Quai des Orfèvres, va enquêter sur l'identité de la "Jeune Morte" (titre du roman policier adapté ici par Patrice Leconte).

Comme souvent dans les aventures de Maigret, l'intrigue a moins d'importance que la manière de la résoudre et l'atmosphère générale qui est loin de tout extraordinaire. Au contraire, la banalité, pour ne pas dire la conformité, de la vie de Maigret rejoint celle des victimes, la vraie, celle dont on apprendra qu'elle "s’appelait Louise", et la potentielle, Betty, autre proie possible pour les suspects qui sont bien les "coupables" comme ils nous apparaissent dans les premières scènes du film.

Ce qui compte bien plus que l'intrigue, c'est l'attention aux faibles, aux ignorés, aux "figurants" qui motive le commissaire. Aux grands mots de Justice, Ordre ou Punition, il préfère chercher "à comprendre ce qui pousse une fille comme Louise/Betty à quitter ses parents et à venir se perdre dans la ville". Louise et Betty sont en effet des figures inversées, l'une est orpheline et est venue à Paris chercher son père disparu, l'autre a quitté sa province et ses parents qui l'aiment pour chercher l'aventure. Autant l'une est effacée, autant l'autre est solaire et elles renvoient l'une et l'autre au mystère de la fille de Maigret, dont on apprend la mort mais sans en connaître la raison.

C'est bien pourquoi, Maigret, lorsque Kaplan lui dit "Vous ne savez pas ce que c'est que de perdre un enfant" peut répondre sincèrement "Si". Qui répond à ce moment-là ? Maigret ? ou Gérard Depardieu ? Le personnage ou l'acteur ? Les deux bien sûr mais aussi le réalisateur qui n'ignore pas que Simenon a lui aussi perdu une fille (bien après l'écriture de ce roman).

L'attention, l'empathie (ou pourrait-on dire la tendresse ?) dont Maigret fait preuve envers les innocentes Louise/Betty et surtout son opiniâtreté à découvrir l'identité de Louise et à protéger Betty, alors même qu'il n'a plus goût à la vie, privé qu'il est de sa pipe et des fameux sandwichs jambon-beurre, rompent sa solitude. C'est en se préoccupant de Betty/Louise et en se dé-préoccupant de lui-même et de ses problèmes de santé qu'il retrouve le sourire lorsque Betty et Mme Maigret sont attablées.

Pour le groupe Pro-Fil de Mulhouse

Roland Kauffmann

1 Berthier Patrick, « Métaphysique de Simenon », Études, 2003/5 (Tome 398), p. 651-661. DOI : 10.3917/etu.985.0651. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-5-page-651.htm

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