11 mars 2022
98/9-4 : Fortitudo Accidia (Acedia) – Force et Faiblesse (Courage et Lâcheté)
Ce vitrail a été refait à neuf en 1904 par la maison Zettler.
Introduction générale au cycle des vices contra les vertus et des charités évangéliques
Un glissement sémantique s'est accompli au cours du temps dans la présentation de ce vitrail. En effet, alors que les vertus évangéliques ne sont pas référencées parce que leur motif est aisément reconnaissable (une femme donnant un vêtement est facilement identifiée avec la charité de « vêtir ceux qui sont nus »), les luttes entre les vices et les vertus sont identifiées par un ajout vitré donnant les noms de la vertu et du vice représentés, ici « fortitudo » et « accidia », « force et paresse » que les commentateurs traduisent parfois par « courage et lâcheté ».
Il est paradoxalement plus facile de parler de « courage » que de « force » dans nos sociétés contemporaines, le courage étant une vertu à la mode et souvent revendiquée alors que la force est associée à l'abus, à la contrainte ou en tout cas à la violence. Et particulièrement dans les milieux marqués par le christianisme lui-même considéré comme un chemin de roses pavé de bons sentiments et une certaine culture du sacrifice. Le courage est une vertu positive alors qu'il faut se méfier de la force.
Pour comprendre ce que signifie la force dans le contexte de nos vitraux, il faut donc faire le détour par le vice qui est ici représenté. L'acédie n'est pas la lâcheté, en tout cas pas celle qui nous fait renoncer à affirmer nos convictions quant nous avons peur de l'opinion des autres. Il ne faut pas confondre l'acédie et la peur qui nous fait renoncer à nous opposer à ceux qui paraissent plus forts que nous. L'acédie est à la fois plus complexe et plus intime que ce qu'évoquent ces notions de faiblesse, de timidité ou de lâcheté. C'est aussi bien plus que la simple paresse qui nous fait préférer ne rien faire plutôt que d'affronter le monde et ses contrariétés.
C'est bien plutôt l'acide qui nous ronge, la dépression, mal contemporain s'il en est. Souffrir d'acédie, c'est lorsque plus rien n'a d'importance et que chaque chose que l'on a à faire et que l'on sait être nécessaire paraît être une montagne bien au-dessus de nos forces. C'est se sentir impuissant à résoudre les problèmes les plus quotidiens et souffrir de la lassitude des choses toujours recommencées dans la banalité des habitudes. L'acédie, c'est la perte du goût de vivre et de faire ce que l'on fait, c'est le renoncement à soi parce qu'on a subi des échecs et que l'on croit alors que la vie même est un échec et qu'il faudrait y renoncer. C'est ce fameux « syndrome de glissement » que l'on identifie chez les personnes âgées qui n'ont plus le goût de vivre.
De même qu'on ne choisit pas d'être déprimé mais que la dépression nous tombe littéralement dessus à l'improviste, l'acédie n'est pas le fruit d'une décision consciente et volontaire. On ne choisit pas d'être faible et de se résigner à subir ce que d'autres ont décidé de nous imposer. Et de même qu'une personne déprimée ne peut s'en sortir par elle-même et a besoin d'être aidée mais souffre précisément soit de l'absence de ceux qui pourraient l'aider soit de leur impuissance, ainsi une personne, ou une société, ou une Église, qui souffre d'acédie ne peut compter sur ses propres forces pour retrouver le courage et la volonté de vivre, tout simplement parce qu'elle n'a justement plus de forces.
Il est trop facile d'associer les vices et les vertus à des décisions que nous prendrions en conscience de leurs conséquences. Ainsi chacun d'entre nous serait entièrement responsable de ce qui lui arrive et n'aurait à s'en prendre qu'à lui-même des résultats de ses choix. Reconnaissons qu'une certaine conception de l'éthique protestante est largement responsable de cette idéologie qui revient à faire porter la faute sur l'individu et non plus sur le mode d'organisation de la société. C'est là qu'il faut avoir le courage de dire qu'une personne déprimée n'est coupable de rien et qu'elle est plutôt comme Job, confrontée à la détresse de ne rien comprendre à ce qui lui arrive.
Mais la vertu de la force, qu'est-ce donc dans ce contexte sinon la main tendue, la présence à l'autre, la confiance donnée et la motivation proposée ?
La force est le contraire de l'acédie, c'est-à-dire l'appétit et la joie de vivre retrouvés dans le service de l'autre plutôt que dans la résignation à soi. C'est au moment où l'on se découvre utile à un autre que soi, que l'on comprend que l'on est nécessaire pour une autre personne, pour une organisation, pour une cause, que l'on devient fort. Et cette force a pour autre nom « reconnaissance » ! Reconnaissance envers la vie, envers celles et ceux qui nous ont permis de devenir ce que nous sommes, envers le monde qui nous entoure pour les beautés et les luttes qu'il nous propose. Ce sont les beautés de la nature ou de la culture et les luttes contre toutes les formes de misères : la pauvreté, la détresse spirituelle ou morale, l'intolérance politique ou l'avidité économique. Reconnaissance enfin envers l'Éternel parce qu'il nous donne « le calme et la confiance qui sont notre force » (Ésaïe 30,15).
Roland Kauffmann
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