L'Heure Musicale virtuelle du 9 octobre

 Samedi 9 octobre 2021

BACH AUTREMENT

Azuré, faible, blessé
Par le couteau de l’automne,
L’été se meurt, affaissé
Dans l’éther qui l’abandonne.

C’est un jour étroit. — Refus
D’opulence et de bien-être !
— Mon amour, toi qui ne fus
Que tel que tu pouvais être,

Sans rien au delà de toi,
Sans effort contre toi-même,
Sans ce frémissant émoi
Dont s’accroît celui qui aime,

Ce beau soir intelligent,
Aux couleurs nettes et ternes,
Ressemble à ton cœur d’argent !
Qui n’a ni chaleur ni cerne.

C’est un beau morceau pensant
D’azur glacial et juste;
Mais pour ce sang bondissant,
Pour ce cœur vraiment auguste,

Mais pour cet esprit royal
Qui, disposant du mystère,
Avait dans ton poing frugal
le sceptre de la terre,

Était-ce vraiment assez,
Vraiment la comble mesure
De ma bachique blessure,
Ce pauvre amour que tu sais?

Anna de Brancovan, comtesse de Noailles

Jacques Loussier Play Bach Trio - Jazzwoche Burghausen 2007 - YouTube

Jacques Loussier est communément considéré comme le musicien "inclassable" de sa génération tant son parcours musical emprunte des chemins aussi divers que surprenants. Il faut le dire, Jacques Loussier surgit toujours où on ne l'attend pas. Rendu célèbre dans le monde entier pour son adaptation jazz de l'oeuvre de Jean Sébastien Bach, il aura également accompagné les plus grands du Music-Hall, composé plus d'une centaine de morceaux pour le cinéma et la télévision, consacré à 45 ans une pré-retraite précoce à la recherche musicale, connu sa période mystique en composant une messe pour enfin revenir à sa vieille complicité avec le maître de Leipzig. D'autres compositeurs auront nourri à leur tour cette démarche pionnière d'harmonie entre les influences Jazz et classiques : Vivaldi, Ravel, Satie, Debussy, Schumann. Seule une virtuosité incomparable pouvait lui permettre d'emprunter un tel chemin, et c'est autant ces expériences multiples que le niveau de performance musicale qui les accompagne qui ont pu faire dire au célèbre musicologue français Bernard Gavoty : "Loussier, le meilleur pianiste du monde ? Dans son genre sans aucun doute."

C'est un peu par hasard, dès l'âge de 10 ans, que Jacques Loussier se découvre un don pour le piano. Des dispositions hors du commun le mènent rapidement au Conservatoire National de Musique de Paris dans la classe d'Yves Nat, qu'il quitte 4 ans plus tard pour parcourir le monde au gré des aventures musicales les plus variées : les sonorités du Moyen-Orient, les rythmes de l'Amérique du Sud et surtout de Cuba, oû il passe deux ans, complètent une formation assez peu académique.

À son retour en France, entre deux accompagnements de Catherine Sauvage et de Charles Aznavour, il perfectionne une vieille blague du conservatoire qui consistait à faire swinguer des compositeurs classiques aux rythmes des derniers tubes de jazz. Bach, avec ses lignes pures et à première vue sévères, fait une cible de choix. Mais peu à peu, son art du contrepoint, toute la richesse et la diversité de ses mélodies qui offrent tant de possibilités d'improvisations, transforment la plaisanterie de potache en vérible révélation. Ses affinités naturelles et ses correspondances avec la musique de Bach finissent de convaincre Jacques Loussier de se lancer dans l'aventure : en 1959, il crée avec Christian Garros à la batterie et Pierre Michelot à la contrebasse le premier Trio Play Bach. Le succès est retentissant : 15 ans de tournées, 6 millions de disques vendus, plusieurs fois disque d'or en France et à l'étranger. La réputation de Jacques Loussier comme phénomène musical est désormais établie.

La célébrité aidant, le monde du cinéma et de la télévision fait appel à lui. Il compose des musiques de film pour Jean Pierre Melville, Alain Jessua, Jean Delannoy, Michel Audiard, part à Hollywood, en revient pour faire fredonner la France entière au refrain des séries télévisées, Thierry La Fronde et Vidocq. En 1980, il prend du recul. Il disperse le Trio Play Bach et se retire à Miraval en Provence où il se consacre à la recherche musicale et se replonge dans son siècle, celui des sons nouveaux offerts par la technologie moderne. Il compose successivement les Suites pour piano, synthétiseurs, avec Luc Heller à la percussion : Pulsion, Pagan Moon et Pulsion sous la mer.

Puis en 1985, c'est le tricentenaire de la naissance de Jean-Sébastien Bach. On lui demande de revenir jouer Play Bach un peu partout en Europe, mais aussi aux États-Unis et au Japon. Il reforme un nouveau trio avec André Arpino, percussionniste et Vincent Charbonnier, contrebassiste, encore élève au Conservatoire de Paris. Un nouveau répertoire est constitué, une étonnante complicité règne entre les trois musiciens et leur permet d'atteindre un niveau jamais encore égalé. Comme l'ensemble de sa carrière, il signe son come back dans les styles musicaux extrêmement variés. En 1996, il compose sa première grande œuvre symphonique, une messe nommée "LUMIERES", pour soprano, contreténor, chœur, percussion et orchestre, créée sous la direction de J.P.Wallez avec James Bowman et Deborah Rees au Festival de musique Liturgique de Paray le Monial en Juillet 1987. Elle enthousiasme 2000 personnes et continue à être jouée dans le monde entier. Dans la foulée, il compose successivement un Concerto pour trompette, créé par Guy Touvron, un Concerto pour violon e percussion dédié à Jean Pierre Wallez, qui le crée au Festival d'Albi en 1988, puis les "Tableaux Vénitiens", pièce pour cordes. En 1989, à l'occasion du Bicentenaire de la Révolution, il compose la musique du ballet des "Trois couleurs" pour Serge Golovine et Claude Bessy, créé au Grand Palais par l'Ecole de l'Opéra de Paris.

Passé maître dans une technique d'adaptation improvisation unique au monde, Jacques Loussier se lance un nouveau défi et revisite à sa façon le chef d’œuvre de Vivaldi "les Quatre Saisons". Le succès rencontré à Pleyel et au cours de multiples tournées l'encourage à explorer un territoire musical encore inconnu qui l'avait toujours fasciné : la musique Française du début du siècle. Il adapte les Gymnopédies d'Erik Satie ,puis Maurice Ravel et son "Boléro" auquel il ajoute une suite de petites pièces impressionnistes "les Nymphéas". Enfin, en 2000, il complète son exploration par l'oeuvre incontournable de Claude Debussy dont il adapte des préludes pour piano et des pièces orchestrales (L'Après midi d'un faune, Syrinx...) Toutes ces infidélités à Bach ne lui font pas oublier ce qui à fait de lui une légende internationale : pour le 250ième anniversaire de la mort de Jean Sébastien Bach, Jacques Loussier revient à son maître et enregistre avec son Trio "Les Variations Goldberg". L'année 2001 voit également la sortie d'un CD "Baroque Favorites" composé des grands thèmes de Haendel, Marcello, Albinoni, Scarlatti et Marin Marais. Cette année 2001 s'achève sur un nombre de représentations record dans le monde entier. Elle consacre définitivement Jacques Loussier comme l'un des pianistes clé de sa génération qui aura su, en se plaçant au carrefour des styles musicaux, profondément marquer son époque. 

Matthieu Denni 

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