L'Heure Musicale du 2 octobre

Samedi 2 octobre 2021

LE TEMPS RETROUVÉ

(en hommage à Marcel Proust 1871 - 1922)

 


D’un rythme lent, elle le dirigeait ici d’abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, intelligible et précis. Et tout d’un coup, au point où elle était arrivée et d’où il se préparait à la suivre, après une pause d’un instant, brusquement elle changeait de direction, et, d’un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l’entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois.

Et comme dans la petite phrase il cherchait cependant un sens où son intelligence ne pouvait descendre, quelle étrange ivresse il avait à dépouiller son âme la plus intérieure de tous les secours du raisonnement et à la faire passer seule dans le couloir, dans le filtre obscur du son!

Marcel PROUST

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César Franck - Sonate pour violon et piano - Jacques Thibaud Alfred Cortot - YouTube

Composée durant l’été 1886, la Sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck (1822-1890), si elle constitue également un jalon de première importance dans la musique française, pose un problème tout différent. D’une part, les thèmes se caractérisent par une ampleur, un souffle qui impliquent, pour les faire vivre, un art consommé du phrasé, une gradation savamment entretenue de l’intensité. D’autre part, la logique cyclique propre au compositeur ne doit pas demeurer un geste formel souterrain, mais bien guider l’auditeur dans l’exploration de cette œuvre généreuse. Dès l’attaque de l’Allegro moderato initial, le pari est gagné. La largeur du thème accueille une sensibilité frémissante du violon, les accords de piano, d’une souveraine délicatesse conjugue force et tendresse hésitante. Franck prend pleinement sa place dans l’école française, et il y apporte, une propension à l’ampleur. On ne dira jamais assez à quel point le compositeur de la Symphonie enmineur (1888) sait montrer de retenue, de pudeur, autant de qualités que bien des interprètes lui dénient en faisant de ses pages de somptueux mausolées.

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MuCH Music: Elina Buksha Artist Diploma - R.Hahn Sonata in C major - YouTube

La Sonate pour violon et piano en ut majeur (1927) de Reynaldo Hahn (1874-1947) est un chef-d’œuvre encore trop méconnu, même si les dernières décennies ont de plus en plus mis en évidence la position capitale du compositeur dans le post-romantisme français. La position de Hahn au carrefour de la descendance musicale de Massenet et du néo-classicisme à la française explique le double ancrage de l’œuvre : sensibilité pudique à fleur de peau et goût d’une clarté formelle non dénuée d’objectivisme. On appréciera, dans le premier mouvement, Sans lenteur, tendrement, la franchise du premier thème, presque étonné d’oser se présenter crûment, sans préambule, et le caractère fébrile, presque hésitant du second. Pratiquer une élégance sans apprêt qui ne frôle pas le maniérisme ne peut relever que d’un art consommé. Le second mouvement, d’inspiration mécanique et « automobile », présente naturellement un caractère d’étude sur le mouvement. Pour autant, l’interpréter comme une descendance du Pacific 231 (1923) d’Arthur Honegger (1892-1955), en mettant en avant le caractère motorique et musculaire de l’inspiration reviendrait à priver la musique de Hahn de ce qui fait sa spécificité, à savoir un don mélodique intarissable. Le dernier mouvement devient ici un pur moment de tendresse mélancolique, sans pour autant basculer dans le flou. Le trait reste net, acéré, précis, et la nostalgie qui se dégage le fait comme un parfum, une aura indéfinissable.

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Saint-Saëns - Violin Sonata No. 1 - Heifetz, Smith - YouTube

La Sonate n°1 pour violon et piano en ré mineur op. 75 (1885) de Camille Saint-Saëns (1835-1921) est projetée dès 1879, et prend, au cours d’une lente maturation, la coupe particulière propre au compositeur, à savoir deux grands volets, le premier regroupant un Allegro agitato et un Adagio, le second un Allegretto moderato et un Allegro molto. Les quatre temps inhérents à la tradition du genre sonate sont bien présents, fondus en une architecture qui combine densité de l’écriture et urgence. L’arrivée du second thème du premier mouvement, en fa majeur, prend un relief saisissant, qui pourtant ne se départit pas d’un charme certain, presque éthéré. En conséquence, la fugue que le développement élabore à partir de ce second thème ne sonne pas comme une rupture, mais comme un épanouissement logique. On relèvera, dans l’Adagio, la présentation presque miraculeuse du second thème en sol bémol majeur, véritable moment de grâce et de temps suspendu. L’Allegretto moderato est traité sur le ton non pas de la fantaisie débridée, mais sur celui d’une souveraine élégance qui situe bien l’œuvre dans ce paradoxe entretenu par la musique française de la fin du XIXe siècle : une volonté de réaliser un corpus comparable à celui légué par le romantisme allemand, et d’autre part un goût pour une légèreté de façade que soutient toujours le soin apporté à l’écriture et à la forme.

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