L'Heure musicale virtuelle du 3 avril 2021

SAMEDI SAINT

Mise au tombeau, Le Caravage

Parsifal :
Oh! Douleur, jour suprême de la souffrance!
Tout ce qui fleurit là, me semble-t-il,
tout ce qui respire, vit et revit,
ne devrait qu’être en deuil,
ah! en pleurs

Gurnemanz :
Tu vois, il n’en est pas ainsi.
Ce sont les larmes de repentir du pécheur
Qui aujourd’hui formant cette sainte rosée
arrosent les champs et les prairies:
Elle les fait ainsi prospérer!
Alors, toute créature se réjouit
des nobles traces du Sauveur!
et s’offre elle-même en oraison!

Richard Wagner - Parsifal

La playlist ou pièce par pièce ci-dessous

Wagner: Parsifal-Vorspiel ∙ hr-Sinfonieorchester ∙ Jérémie Rhorer - YouTube

Wagner Parsifal- Good friday Music.wmv - YouTube

Dernier opéra écrit et composé par Richard Wagner, Parsifal représente un « Festival scénique sacré », qui s’apparente à la fois à une épopée médiévale aux nombreuses références spirituelles et, qui reprend parallèlement le leitmotiv* du voyage initiatique* de son personnage principal. Une grande diversité de récits de chevalerie tachent de relater la « quête » du Graal par divers personnages, allant du roi Arthur à Perceval. Ce sont là les reflets de mythes et légendes médiévales qui ont perduré à travers les siècles dans la littérature, la musique et les arts. Au début des années 1840, Wagner s’initie à la légende autour de Parsifal, de Tannhaüser et de Lohengrin. Il lui faut attendre 1845 pour découvrir le Parzifal composé par Wolfram von Eschenbach (1170-1220) qui n’est autre que la version allemande d’un poème épique autour de la légende de Perceval. Datant du début du XIIIe siècle, cette dernière reprend le récit inachevé et développé bien plus tôt par Chrétien de Troyes (v. 1135- 1183): Perceval le Gallois ou Le Conte du Graal.

Au début du récit, Perceval est un jeune homme naïf, ignorant jusqu’à son nom. Il habite avec sa mère qui l’élève loin des tentations. Un jour, alors qu’il se trouve dans la forêt, il fait la rencontre impromptue des chevaliers du roi Arthur. Dès lors, il quitte sa mère ne souhaitant plus que devenir l’un d’entre eux. Après plusieurs années d’errance, Perceval rencontre le Roi Pêcheur qui l’invite en son château. Rien n’étonne le jeune homme, ni le fait que le roi lui ait remis en personne une épée au pouvoir extraordinaire, ni le défilé du cortège du Graal. Le lendemain, le château est vide. Son absence de curiosité lui a fait manquer la sainte relique et le roi qu’il n’a donc pas pu guérir.

Les grandes étapes de cette histoire ont été librement reprises par Wagner. Il s’est également appuyé sur un manuscrit du XIVe siècle, Mabinogion, pour créer les personnages principaux de son drame lyrique. Le nom du héros apparaît pour la première fois dans le monologue final de son opéra de 1850, Lohengrin : Lohengrin révèle à Elsa qu’il est venu d’un autre royaume, celui de Montsalvat où se trouvent les reliques du Christ et dont le gardien n’est autre que son père, Parsifal. Puis, c’est en travaillant sur Tristan et Isolde que lui revient l’image du jeune homme. Il songe à le faire apparaître au chevet d’un Tristan blessé dont il se doit de soigner la plaie, comme il le fera pour Amfortas. Il ne garde pas cette trame toutefois dans sa dernière version et esquisse un autre projet, baptisé Les Vainqueurs, où son personnage principal se voit attribuer des traits caractéristiques du Parsifal en herbe. Reprenant le topos du héros du renoncement, compassion et drame habite le protagoniste.

*

Mahler: Totenfeier ∙ hr-Sinfonieorchester ∙ Eliahu Inbal - YouTube

À Iglau en février 1888, Mahler écrit les premières notes de la deuxième, en même temps qu’il termine sa première symphonie Titan. Il avait à peine 27 ans et déjà parcouru bien des apprentissages de chef d’orchestre et d’homme. Le temps de l’innocence était loin, celui de l’ardente obligation de prouver toujours là, et surtout de trouver un sens du monde.

Et ainsi se pose clairement la filiation entre la vie terrestre de la première et de son héros, et la vie métaphysique approchée dans la deuxième avec le thème central qui le hante : la vie après la mort. Face à cette interrogation existentielle il mettra six ans, après la première symphonie, pour terminer, été après été jusqu’en juillet 1894, cette œuvre, accouchement spirituel de son chemin d’homme.

"J’ai nommé le premier mouvement Totenfeier, là c’est le héros de ma symphonie en ré majeur que je porte au tombeau et sa vie que je capte dans un pur miroir, d’un point de vue plus élevé."

La partition semble s’organiser dès août 1888 et son idée fixe de marche funèbre et elle se trouve confortée par la découverte d’un poème du grand Adam Mickiewicz qui porte le titre de Totenfeier, mais qui est d’un tout autre esprit. Mais pour le Mahler exalté, assailli de visions funèbres, toute coïncidence à valeur de vérités, et H.L De Lagrange avance même l’hypothèse de l’écriture d’un Requiem pour son amour contrarié avec Marion Von Weber.

Cette marche funèbre, ce requiem des illusions perdues, va donc survivre six ans, non pas méprisé, car Mahler en faisait grand cas et il fit tout pour le faire publier.

Il la décrit à ses amis ainsi "Je me vois moi-même dans un cercueil, envahi de fleurs et de musique funèbre".

Comme la mode était aux poèmes symphoniques (Liszt, Strauss), Mahler pensait peut-être que cette longue marche avait son autonomie propre, même si elle n’avait point sa solution. Peut-être pensait-il entreprendre aussi sa véritable première symphonie, celle qui devait laisser traces et plaies en ce monde, car la symphonie Titan était toujours appelée poème symphonique.

Cette partie va continuer une vie autonome, sous le titre de Fête des morts, car Mahler était dans une impasse plus psychologique que musicale. Et là intervient une histoire lourde de sens psychanalytique.

En 1891, Mahler déjà en pleine activité à Hambourg, tente de séduire son illustre collègue Hans Von Bülow en lui présentant son poème symphonique déjà écrit depuis près de 4 ans. Être joué par un grand maître devait enfin faire entrevoir un autre talent que celui qui lui était reconnu de chef d’orchestre et de directeur d’opéra. Bülow accepta enfin d’entendre cette partition jouée par Mahler au piano. Bülow hurla immédiatement : "Si ça, c’est de la musique, alors je ne comprends plus rien à la musique !".

De ce moment, la vénération de Mahler pour Bülow se changea inconsciemment en haine, et de désir de "meurtre dans un jardin musical allemand" de l’autre, de l’obstacle vers soi-même. Le rapport au père a toujours été complexe chez Mahler, aussi seul le père modèle, le père de substitution, devait être immolé car le père naturel avait été enfoui dans sa honte et sa mémoire.

Pourtant il doute encore et encore : "Le monde musical vivra bien sans mes compositions " écrit-il à Richard Strauss en octobre 1891. Et la partition finit dans un tiroir.

Vénération et détestation non avouées aboutirent à une véritable inhibition créative et humaine pendant 3 ans. Seule la mort de Van Bülow, le 12 février 1894, fut la libération. La cérémonie funèbre qui suivit fut une délivrance, une révélation. Il était inhibé par Bülow bien sûr, mais aussi par Beethoven, car il voulait terminer son dernier mouvement par un chœur, et donc faire de chacune de ses symphonies une Neuvième.

Tout cela fut balayé et le poème symphonique Totenfeier n’exista plus alors que comme premier mouvement de la symphonie Résurrection. Ainsi se trouve dénoué, au travers de l’histoire de ce poème symphonique qui aura dormi six ans sans pouvoir exister vraiment, un véritable nœud gordien psychanalytique pour ce "chercheur de Dieu ".

Totenfeier est en fait le mur têtu contre lequel s’est cogné Mahler pendant des années, car cette fulgurante marche funèbre n’allait nulle part. Mahler ne pouvait s’en échapper que par le ciel et la transcendance. Mais pendant la lourde germination de cette œuvre interpellant la mort, des signes se dressaient en 1889 Mahler perd sa mère, son père, et une de ses sœurs, avec toujours la même question qui le hante : Mort où est la victoire ?

Telle qu’elle est, cette partition est plus qu’une curiosité, car elle reste ainsi uniquement la simple prolongation de la première symphonie, elle piétine sans la libération finale, et sans réponses aux questions existentielles. Mais ainsi, elle est presque plus troublante que la symphonie qui suivra, car c’est une musique encore sans Dieu, ou pire un Dieu hanté, sans jugement dernier, en suspens dans sa quête et sa douleur.

Ce mouvement sera révisé le 29 avril 1894 pour être incorporé à sa symphonie, mais sans doute peu retouché. L’orchestration de 1888 est plus légère que la version finale, et certains détails diffèrent, notamment le tempo. Mahler note dès 1888 la durée voulue pour ce poème : 20 minutes à 23 minutes.

Mahler, même après l’écriture complète et la représentation de sa deuxième symphonie le 13 décembre 1895, tenait encore à son ébauche et il dirigera encore ce poème symphonique de 1888 pendant quelques années encore. Elle reste le cœur de la symphonie à venir.

Ce poème symphonique donc de 1888 (Prague, 10 septembre 1888 dit la partition) avait d’abord été pensé plus ramassé, et en tout cas joué plus vite que l’usage actuel.

"Allegro Maestoso " plutôt que l’indication marquée " Maestoso ", et Mahler, d’après les témoignages, le jouait en vingt minutes, avec une rage et une tension surprenante.

Ce torse de la future symphonie se présente comme une marche funèbre, cinglante et obstinée, venant se cogner sans cesse au bocal du monde, sans trouver la fenêtre du haut. D’où les nombreux piétinements de violoncelles, les retours de thèmes, et surtout cette attente rageuse qui apparaît constamment. Véritable combat métaphysique où Mahler se heurte et combat avec l’ordre terrestre du monde, ce mouvement n’est pourtant qu’une forme de sonate modifiée. Mais dans cette vieille forme, dans cette arène si close, tous les combats avec l’ange sont possibles.

Du trémolo initial des cordes aiguës, au thème récurrent de la marche lourdement porté par les violoncelles et les contrebasses, c’est toute une musique du XIXe siècle que l’on enterre.

Audace et folle générosité, lyrisme éperdu des thèmes, sanglots de l’orchestre, poings rageurs des instruments, la musique devient un combat, un témoignage de la profonde angoisse de l’homme. Le décoratif et l’esthétisme, l’art même, tout cela meurt dans ce cri d’un jeune homme de 27 ans.

La vie était tragique, beaucoup le savaient déjà, la musique devient tragique, c’est Mahler qui nous l’apprend.

Et le cri qui retentit à la fin du mouvement, une immense échelle chromatique, dit simplement pourquoi sommes-nous volés du sens de notre vie ? Mahler croira trouver plus tard des réponses, ou bien il voudra y croire, s’arrêter enfin dans les brisures du doute.

*

Richard Strauss - Tod und Verklärung | Symfonieorkest Vlaanderen - YouTube

Tod und Verklärung (« Mort et Transfiguration ») fut composé au cours de la décennie qui vit la naissance des grands poèmes symphoniques inspirés à Richard Strauss par des arguments littéraires, poétiques et philosophiques d’origines variées, décennie inaugurée en 1889 par la fantaisie symphonique Aus Italien – hommage, d’une certaine manière, à Harold en Italie de Berlioz et à la Symphonie italienne de Mendelssohn. Ces poèmes symphoniques reprennent à leur compte quelques-unes des conceptions de Liszt, tout en transcendant le genre par une verve mélodique et un renouvellement constant de la forme elle-même, qui ne caractérisent pas précisément les œuvres orchestrales du compositeur hongrois.

C’est ainsi que virent le jour, successivement, à la suite d’Aus Italien : MacbethDon JuanTod und Verklärung (« Mort et transfiguration »), Till Eulenspiegels lustige Streiche (« Les joyeuses équipées de Till l’espiègle »), Also sprach Zarathustra (« Ainsi parlait Zarathoustra »), Don Quixote (« Don Quichotte »), enfin Ein Heldenleben (« Une vie de héros »). Strauss se consacra ensuite essentiellement à la scène, de Feuersnot (1901) et Salome (1905) jusqu’à l’ultime Capriccio, créé à Munich en 1942.

Richard Strauss porta d’une certaine manière à son comble le style du poème symphonique, mais il aura toujours à cœur de ne jamais être prisonnier des textes choisis comme source d’inspiration de ses œuvres. Certains de ses poèmes symphoniques, à l’encontre d’Ainsi parlait Zarathoustra, ont même un support littéraire particulièrement lâche. C’est le cas de Mort et Transfiguration, dont la partition comporte en épigraphe un poème d’Alexander Ritter, mais qui pourrait très bien se passer d’un pareil argument. Cette musique nous parle en effet d’agonie, de souffrance, d’un combat avec la mort, puis d’une montée vers la délivrance, la lumière et l’apaisement, itinéraire intérieur qui n’a guère besoin d’être commenté ou expliqué pour être éprouvé par l’auditeur. Mieux, le programme semble avoir été ici ajouté après coup à la musique.

Richard Strauss raconte lui-même : « Mort et transfiguration est un pur produit de mon imagination, non pas celui d’une expérience vécue (je ne devais tomber malade que deux ans plus tard). Une idée musicale comme une autre, sans doute le simple besoin, après Macbeth (qui commence et se termine en ré mineur) et après Don Juan (qui commence en mi majeur et se termine en mi mineur), d’écrire un morceau qui commence en ut mineur pour s’achever en ut majeur ».

L’ut mineur du début est celui de l’agonie et des souvenirs. Un coup de timbale annonce la violence du combat avec la mort, combat acharné qui s’apaise brièvement avant de laisser la place aux réminiscences glorieuses qui s’emparent de l’imagination du héros mourant : c’est la vie héroïque (exprimée par les cors), c’est l’amour, c’est aussi le thème de l’Idéal qui tente de s’imposer. (Le dernier des Quatre derniers Lieder cite fugitivement ce thème.) Une nouvelle transition, avec des coups de tam-tam menaçants et étouffés, conduit à un grand crescendo qui affirme le thème de l’Idéal et se termine, sur fond d’arpèges de harpes, dans une ambiance de réconciliation définitive.

Matthieu Denni

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire