Un vitrail par jour 87

2 avril 2021 - Vendredi saint

Le nouveau monde

Les félicités des bienheureux au ciel. Le Christ et Marie dans une gloire étoilée entourée d'anges; dans le bas, différentes personnes agenouillées.

1 Corinthiens 15, 42-54

42 Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Le corps est semé corruptible, il ressuscite incorruptible ; 43 il est semé méprisable, il ressuscite glorieux ; il est semé infirme, il ressuscite plein de force ; 44 il est semé corps naturel, il ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps naturel, il y a aussi un corps spirituel. 45 C’est pourquoi il est écrit : Le premier homme, Adam, devint une âme vivante. Le dernier Adam est devenu un Esprit vivifiant. (…) 51 Voici, je vous dis un mystère : nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons changés, 52 en un instant, en un clin d’œil, à la dernière trompette. La trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés. 53 Car il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité. 54 Lorsque ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors s’accomplira la parole qui est écrite : La mort a été engloutie dans la victoire

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Faisant pièce au vitrail des damnés (n°83), celui des bienheureux en est le contraste. Là où les démons se multipliaient avec leurs visages multiples cachés dans les plis de leur chair, le séjour des bienheureux s'organise autour de la gloire de Dieu, occupée par le couple Marie-Jésus, lui même contrastant avec le couple originel des premiers vitraux pour chanter ses louanges dans un bonheur perpétuel.

La description qu'en fait le Speculum Humanae Salvationis est une comparaison entre les biens et les maux : « Il y aura repos sans labeur, il y aura paix et sureté sans épouvantement, il y aura toute sagesse et toute science sans ignorance, il y aura amitié et charité sans envie, il y aura santé sans maladie... » La liste est longue puisqu'elle est faite de toutes les espérances bien réelles et concrètes auxquelles nous aspirons quand nous pensons au bonheur.

Il suffit de prendre le bon et d'enlever le mauvais pour avoir une idée assez précise de l'idée que se faisaient les anciens du ciel où ils passeraient leur éternité. Aujourd'hui encore, il n'est pas rare lors de l'évocation des défunts qu'on continue de les imaginer, vivant comme si de rien n'était, ayant retrouvé leurs amis et se livrant avec eux à leurs occupations favorites qui faisant de la photo, qui de la musique, qui discutant avec ses amis. Le besoin de se représenter ce territoire inconnu par définition qu'est l'autre côté de la mort est une réalité existentielle depuis que l'humanité est humaine. Seules changent les représentations selon les époques, les lieux et les cultures. Au jardin d'Éden où débutait notre histoire, alors que Dieu unissait Adam et Ève, succède ce lieu immortel, incréé, sans espace et sans durée qui en est le miroir spirituel.

Car les théologiens du Moyen Âge, notamment saint Anselme au XIe siècle, prenaient au mot les paroles de l'apôtre Paul qui affirmait qu'à la résurrection nous serions changés de « charnel » en « spirituel » et considéraient que les bienheureux recevraient quatorze béatitudes spéciales, sept pour le corps et sept pour l'âme. Pour le corps, la Beauté, l'Agilité, la Force, la Liberté, la Santé, la Volupté, la Longévité ; et pour les dons de l'âme, la Sagesse, l'Amitié, la Concorde, l'Honneur, la Puissance, la Sécurité, la Joie.

Pourquoi attendre ?

Autant de qualités qui correspondent à l'idée que nous nous faisons tous de la perfection et qu'il est normal d'espérer atteindre au paradis mais qu'est ce qui nous empêche aujourd'hui de tendre vers elles ? Pourquoi devrions attendre de devenir des êtres « spirituels et incorruptibles » pour reprendre les termes de l'apôtre Paul pour vivre déjà comme au paradis. Bien sûr qu'ils ne dépendent pas tous de nous mais rien ne nous interdit de nous y essayer. Les dons de l'âme par exemple, lesquels ensuite transforment le corps. Nous ne pouvons certes programmer la joie, pour ne prendre qu'un exemple. Nombreux sont ceux qui aujourd'hui ont peu de raisons de se réjouir mais la vérité du ciel c'est que nous ne sommes pas seuls. Chaque damné est abandonné à lui-même dans la foule de ses compagnons de souffrance, tandis que chaque bienheureux est entouré de ses semblables.

La réalité du monde est heureusement bien plus complexe que la poésie du ciel et de l'enfer ne le laisse penser. Ici, nul condamné qui ne puisse espérer une rédemption, nul joyeux qui puisse se réjouir tout seul sans chercher à consoler ceux qui sont dans la peine; nulle peine qui soit portée toute seule; nulle souffrance qui ne soit soulagée par la compassion et l'empathie des proches; nulle liberté qui vaille aussi longtemps que d'autres sont opprimés; nulle science qui ne s'accompagne de sagesse; nulle volupté qui ne soit partagée; nulle abaissement mais un égal honneur pour tous; nul esprit de discorde mais un désir de concorde et de sureté pour tous ceux qui sont affaiblis; nulle faiblesse mais la force du collectif. Voilà bien le monde tel que l'évangile nous demande de le construire sans attendre ; le monde dans l'Église devrait être la prémisse et dont chacun d'entre-nous peut être le premier acteur. Car tout, y compris le ciel et l'enfer, commence toujours ici, maintenant, par moi, avec les autres et avec l'Autre que nous appelons l'Éternel.

Roland Kauffmann

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