Un vitrail par jour 74

20 mars 2021

Autour de l'absent

La Pentecôte. Les apôtres sont réunis autour de Marie; le Saint-Esprit descend sur eux sous la forme d'une colombe.

Actes 2, 1-4

1 Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. 2 Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. 3 Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. 4 Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. 

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Avec ce vitrail représentant Marie devenue le centre de l'attention des disciples, maintenant que Jésus est monté au ciel, nous entamons une nouvelle fenêtre consacrée au temps de l'Église. Ce temps qui est le nôtre, celui où nous sommes encore aujourd'hui et où, au mouvement ascendant du Christ dans sa gloire, répond le mouvement descendant de l'Esprit représenté par la colombe.

Une colombe particulièrement chère aux Églises protestantes françaises puisqu'elle se trouve sur nos croix huguenotes qui sont souvent les seules marques visibles d'appartenance confessionnelle. Cette croix que nos portons pour nous démarquer de la croix latine, signe d'appartenance à l'Église catholique romaine, est un rappel constant de ce qui fonde, ou devrait fonder, l'Église depuis son origine à savoir l'attente de la réalisation du règne de Dieu entretenue par l'Esprit Saint.

Cinquante jours après la Résurrection, au jour de la fête du don de la loi à Moïse, la Pentecôte, les disciples sont réunis dans une chambre haute, comme ils l'étaient autour de Jésus au jour de l'institution du repas de la cène. Mais cette fois, il n'est plus là. L'évènement dont ils sont témoins, l'irruption de l'Esprit symbolisé par ces langues de feu, est à proprement parler un miracle, c'est-à-dire l'irruption du divin dans leur existence comme l'ont été d'autres manifestations pour les prophètes d'Israël. Maintenant que le Christ est au ciel et qu'il reste, ses fidèles ne restent cependant pas seuls, ils sont accompagnés dans leur existence par cette autre forme du divin qu'est le Saint-Esprit.

L'Église que nous voyons naître au jour de la Pentecôte n'est pas une réalité surnaturelle préexistante à l'humanité. Elle ne nous précède pas mais elle se constitue au fur et à mesure de l’agrégation, au sens contemporain du terme, de chaque individu à cet ensemble. Une agrégation qui ne signifie pas la disparition de l'individu mais, comme de nos jours lorsqu'un professeur est « agrégé », la participation à un corps constitué dont il devient un membre exactement égal à tous les autres sans pour autant être dilué dans ce corps. C'est comprendre que nous sommes à la fois au centre et à la périphérie de ce corps. Au centre parce qu'il n'existe pas sans nous, à la périphérie parce qu'il dépasse nos intérêts, nos désirs et nos attentes parce qu'il est constitué de tous les autres qui sont nos égaux dans la foi. C'est toute une conception de l'Église qui est ici en jeu.

Une Église constituée de ceux qui la vivent

Et le fait que l'artisan verrier ait fait le choix de représenter l'Esprit Saint par une colombe plutôt que par les langues de feu du texte biblique alors que Ludolphe, pour une fois, suivait le texte, est particulièrement significatif à cet égard. L'artisan verrier fait le choix, à l'inverse de Ludolphe, de relier l'évènement de la Pentecôte au baptême du Christ. Nous avons vu que le baptême du Christ faisait l'objet de quatre vitraux dans la série originelle dont ne nous reste plus que celui de la purification de Naaman (vitrail n°8) par ce même Élisée, témoin de l'enlèvement d'Élie, préfiguration de l'Ascension du Christ (vitrail n°73). Ludolphe de Saxe et l'artisan verrier cherchent des cohérences signifiantes et relier la Pentecôte au baptême signifie précisément que l'Église est constituée de ceux qui sont baptisés puisque c'est au moment du baptême que l'Esprit est descendu sous la forme d'une colombe sur Jésus lui-même (Jean 1, 32). L'Esprit et le baptême sont donc, pour nos auteurs médiévaux, indissolublement liés comme les deux faces d'une même réalité. C'est extrêmement important puisque cela fonde à la fois l'égalité absolue de tous les baptisés et la nécessité de l'Esprit Saint pour lui donner sa pleine et entière signification. La loi, le baptême et la cène réunis dans un même ensemble de significations cohérentes et se renforçant les unes les autres, ce vitrail est un véritable tour de force dans l'art de la représentation et de la mise en images d'un texte.

Pas de langues de feu dans notre vitrail comme il n'y avait pas non plus de flammes sur le char d'Élie. L'artisan verrier fait preuve d'une telle sobriété que l'on peut penser qu'il s'inscrit dans une tradition johannique, c'est-à-dire plus inspirée par l'évangile de Jean que par les autres. L'évangile de Jean insistant plus sur une spiritualité intérieure et un dialogue plus intime entre l'individu et Dieu. C'est peut-être aussi la raison pour laquelle il mêle dans la foule des disciples, ceux qui sont à genou dans une attitude de suppliants, ceux qui ont les mains jointes en prière et ceux qui portent des livres. Comme s'il voulait signifier la diversité des attitudes aussi légitimes les unes que les autres. Qu'il y ait des livres dans cette chambre haute le jour de la Pentecôte plutôt que des langues de feu souligne aussi la nécessité de l'Esprit pour comprendre. La parole contenue dans les livres, ceux de la Loi et des prophètes, n'est jamais que lettre morte tant qu'elle n'est pas éclairée par le Vivant, l'autre nom du Saint-Esprit. Pas de parole qui devienne Parole de Dieu sans la vie que lui donne l'Esprit.

Roland Kauffmann

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