Un vitrail par jour 73

19 mars 2021

Christ est au ciel, l'homme sur la terre

Élie monte au ciel. Le prophète est enlevé dans les airs sur un char attelé de deux chevaux ; son disciple Élisée le suit des yeux.

2 Rois 2, 9-12

9 Lorsqu’ils eurent passé, Élie dit à Élisée : Demande ce que tu veux que je fasse pour toi, avant que je sois enlevé d’avec toi. Élisée répondit : Qu’il y ait sur moi, je te prie, une double portion de ton esprit ! 10 Élie dit : Tu demandes une chose difficile. Mais si tu me vois pendant que je serai enlevé d’avec toi, cela t’arrivera ainsi ; sinon, cela n’arrivera pas. 11 Comme ils continuaient à marcher en parlant, voici, un char de feu et des chevaux de feu les séparèrent l’un de l’autre, et Élie monta au ciel dans un tourbillon. 12 Élisée regardait et criait : Mon père ! Mon père ! Char d’Israël et sa cavalerie ! Et il ne le vit plus.

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Le thème des chariots de feu est commun aux mythologies les plus anciennes et il n'est pas surprenant que le récit biblique s'en empare, d'autant plus dans les temps reculés du prophète Élie. Le peuple d'Israël ayant conservé des éléments typiques de la cosmogonie égyptienne, entre autre l'idée que le soleil était transporté d'un bord à l'autre du ciel à bord d'une barque, devenue un char pour les Grecs. Le poète latin Ovide a magnifiquement décrit la chute de Phaéton, fils d'une humaine et d'Apollon, dieu du soleil, qui, pour avoir la preuve que Phébus (le Soleil, autre nom d'Apollon) est bien son père, lui demande comme une faveur de pouvoir conduire son char. Euripide à fait une tragédie de cette ambition démesurée où l'on voit la terre brûler et même le Nil s'enfuir loin de son lit.

Que le motif du char de feu soit commun aux mythologies grecques et israélites n'est pas surprenant comme il ne l'est pas que, jusque et y compris une époque récente, les chrétiens aient accepté cette vision, merveilleuse au sens propre, d'un char et de chevaux de feu enlevant Élie à la vue de son successeur Élisée. Rien n'étant, par définition, impossible à Dieu, il pouvait bien envoyer un tel véhicule. Ce qui est plus surprenant, c'est la capacité de certains à qualifier une croyance de « superstition » lorsqu'elle est le fait des Grecs et de « révélation » lorsqu'elle se trouve dans le récit biblique. Le besoin de merveilleux et de surnaturel est universellement partagé par l'humanité et c'est d'ailleurs une des explications possibles des croyances les plus étranges dans nos sociétés dites modernes. Rechercher une signification au char de feu enlevant Élie est aussi pertinent que de chercher à comprendre le mythe de Phaéton et celui de toutes les grandes figures que nous appelons mythologiques au sens où elles disent quelque chose de l'humanité.

L'enjeu est justement de toujours partir du mythe (mythos) pour rechercher le message (logos). Entre le mythe et le logos, l'écart est aussi grand qu'entre la terre et le ciel qui pourtant sont si proches qu'ils se touchent et si éloignés qu'entre eux se déploie tout l'espace du langage. Ludolphe de Saxe ne se pose pas la question de savoir si un char de feu a effectivement emporté le prophète. Pour lui, si la chose est relatée, c'est qu'elle s'est bien passée. Mais il ne s'y arrête pas ! Au contraire, il dépasse cette image pour en donner une signification, en faire un langage, en faire la préfiguration de l'Ascension du Christ et en marquer les ressemblances et les différences. Étant un homme, Élie a besoin d'un véhicule, étant Fils de Dieu, Jésus est directement emporté par les anges ; Élisée est seul témoin, les disciples ont été nombreux à voir Jésus s'élever dans les airs. Et c'est là le point important pour notre auteur médiéval : que Élie et Jésus aient été emportés au ciel est une chose, ce qui importe ce sont ceux qui restent sur cette terre et qui, comme Élisée et les disciples, pour espérer les rejoindre, vivent dans leur esprit.

Devenir le corps du Christ

Le récit biblique nous raconte comment Élisée, pour avoir été à l'école de son maître Élie et l'avoir vu s'élever, a reçu une double ration de l'esprit de Dieu, du souffle qui animait le prophète. Le prophète biblique, c'est celui qui a reçu à la fois « l'esprit » et « la parole ». Il reçoit l'esprit de Dieu, ce que l'hébreu appelle la ruah, l'esprit, ce même esprit qui planait au-dessus du chaos primordial avant que l'Éternel ne donne forme à l'informe. Le prophète reçoit aussi le davar, la parole, cette même parole que les grecs appellent le logos et dont l'évangile de Jean fait le principe de la création (Jean 1, 1). Ruah et davar, esprit et parole, sont la seule légitimité du prophète lorsqu'il parle et qu'il agit, qu'il donne des signes. Le prophète cherche à transmettre l'esprit qu'il a reçu au plus grand nombre, c'est-à-dire au peuple de Dieu, afin qu'il mette en pratique la loi de Moïse. La parole et l'action sont intimement liés dans l'anthropologie biblique, l'une n'allant pas sans l'autre.

Maintenant que Élie n'est plus là, c'est à Élisée de manifester la volonté de Dieu en paroles et en actes, maintenant que le Christ n'est plus là, c'est aux chrétiens de vivre selon son esprit et sa parole, d'être ses mains, ses yeux et ses oreilles, en un mot d'être le corps du Christ, vivant parmi les hommes, au milieu de son peuple. Et dans la même veine où il décrivait l'impossibilité de décrire les joies du paradis, il conclut au affirmant que « si tous les hommes et toutes les créatures devenaient des prêcheurs, ils ne pourraient ni ne sauraient raconter toutes les beautés de Dieu et du ciel » ce que nous ne saurions mieux dire.

Roland Kauffmann

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