Un vitrail par jour 64

10 mars 2021

Le Royaume de Dieu commence ici

Le Christ vainqueur du démon. Le Christ, qui a terrassé le démon, lui enfonce de la main droite le talon de la croix dans la gueule; dans la gauche il tient un étendard.

Psaume 23, 4

Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : Ta houlette et ton bâton me rassurent.

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We shall overcome ! La force mobilisatrice d'un tel slogan est bien connue depuis la lutte pour les Droits civiques menée par Martin Luther King aux États-Unis. Mais l'on oublie souvent la suite de la phrase : We shall overcome because Jesus defeated the devil (nous vaincrons parce que Jésus a vaincu le diable). La force de conviction de Martin Luther King était directement fondée sur cette conviction bien plus intime et théologique de la victoire initiale remportée par le Christ contre le diable et, à travers la figure de celui-ci, sur toutes les forces d'oppression et de ténèbres. Notre vitrail d'aujourd'hui nous montre précisément ce moment de bascule de l'espérance entre un monde dominé par le Mal et un monde déjà acquis au Bien même si nous ne nous en rendons pas forcément compte.

Cette dimension symbolique du bois de la croix qui s'enfonce dans la gorge du démon se dégradera fortement au cours des siècles en représentation superstitieuse du pouvoir magique de l'objet « croix » qu'il suffirait de brandir pour chasser les démons dès qu'ils se montrent. Une conception que Ludolphe de Saxe fait sienne puisqu'elle est déjà largement partagée en son temps. Cependant la puissance d'une telle idée dépasse largement le cadre de l'affrontement individuel de l'âme contre ses tentations. Les premières Églises y ont puisé la force de résister aux persécutions et autres humiliations imposées par l'Empire romain. Considérant que le pouvoir du Mal était déjà vaincu dans ce moment mystique entre la mort et la résurrection du Christ, les souffrances subies ne pouvaient donc être que temporaires et se conclure par la manifestation définitive de la supériorité du Bien.

L'artisan verrier souligne encore le caractère grotesque du démon en montrant un Christ résolu et sûr de son droit. C'est comme si l'artiste nous montrait l'envers du décor du mal que nous rencontrons tous les jours, auquel nous sommes confrontés dans notre réalité quotidienne. Au pathétique de ses efforts pour faire croire à sa domination sur le monde et à l'inéluctabilité de sa victoire, l'artiste mulhousien du XIVe siècle répond en montrant le Mal sous son vrai visage de vaincu pitoyable. Ce n'est rien de moins que la « fin du monde », de ce monde jusque là laissé à la merci du mal, qui est ici représentée. Mais une « fin du monde » qui a déjà eu lieu. Pour la piété chrétienne des premiers siècles, l'histoire a irrémédiablement basculé dans cet entre-deux qu'est la mort du Christ. Entre-deux, parce qu'entre sa vie terrestre et sa vie céleste. Et il n'est pas anodin que cette victoire s'accomplisse dans ce temps universellement partagé qu'est la mort. Tout homme doit mourir et c'est l'instant, non pas de l'union avec le divin mais au contraire du plus grand éloignement que l'homme puisse connaître d'avec la réalité et avec Dieu. Et c'est dans cet éloignement que le Christ rencontre l'humanité et écrase définitivement le démon, accomplissant ainsi la promesse déjà faite à Adam et Ève (vitrail n°3).

L'aujourd'hui de Dieu

Horizon ultime de nos existences, la mort est la limite indépassable et sans retour, au-delà de laquelle plus rien ne peut être accompli, ni le Bien ni le Mal. C'est bien pourquoi le Bien est à faire ici et maintenant, qu'il ne peut jamais être remis à plus tard, ni « Grand Soir » ni « Retour du Christ » ni « Résurrection des morts » ne peuvent dispenser d'agir vertueusement aujourd'hui dans notre existence concrète et réelle. Il ne peut y avoir de délai ni de conditions pour faire ce qui doit être fait dans l'intérêt d'autrui puisque tout a déjà été réalisé par le Christ dans cet instant précis de sa mort. Si la dimension mystique de cette conception est évidente elle trouve aussi sa concrétisation dans la piété quotidienne, soulignée par ce verset du psaume 23 qu'utilise déjà Ludolphe de Saxe : la houlette et le bâton du bon berger, par lesquels il a vaincu le Mal, soutiennent notre foi ici et maintenant, pour aujourd'hui et pour demain dans les difficultés de l'existence.

À rebours de toutes les idéologies et de toutes les mythologies, le Royaume de Dieu n'est pas pour demain et notre propre mort n'en est pas la frontière, ni le début ni la fin. Certes sa réalisation pleine et entière est toujours à attendre, justement pour que nous prétendions pas détenir l'absolu et la vérité ultimes, néanmoins l'exigence éthique du Royaume de Dieu est à commencer dès aujourd'hui, là où nous sommes, avec celles et ceux que nous devons soutenir, soigner, éduquer, protéger et libérer.

Roland Kauffmann

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