Un vitrail par jour 65

11 mars 2021

Vaincre le mal au coin de la rue

Samson et le lion. Samson, barbu et chevelu, tue le lion en lui déchirant la gueule .

Juges, 14, 5-6 

5 Samson descendit avec son père et sa mère à Thimna. Lorsqu’ils arrivèrent aux vignes de Thimna, voici, un jeune lion rugissant vint à sa rencontre. 6 L’esprit de l’Éternel saisit Samson ; et, sans avoir rien à la main, Samson déchira le lion comme on déchire un chevreau. Il ne dit point à son père et à sa mère ce qu’il avait fait. 

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Les récits antiques sont riches de ces rencontres entre des humains et des bêtes plus ou moins formidables. Notre imaginaire est formé, que nous en ayons conscience ou non, par ces confrontations entre l'humain, c'est-à-dire le civilisé, l'intelligent, le rusé, celui qui est en relation avec le divin d'une part et le bestial d'autre part. C'est-à-dire les forces de la nature qu'il convient de toujours vaincre pour survivre ou pour lever telle ou telle malédiction.

Ainsi Œdipe dont le complexe tient lieu d'étape incontournable dans la maturation des enfants montre-t-il la supériorité de l'homme sur la Sphinge, une supériorité qui n'est pas basée sur la force mais sur l'intelligence. À la question posée par le monstre « Quel est l'être, le seul parmi ceux qui vivent sur terre, dans les eaux et dans les airs, qui a une seule voix, une seule façon de parler, une seule nature, mais qui a deux pieds, trois pieds et quatre pieds ? », Œdipe répond « c'est l'homme. Quand il est encore enfant, il marche à quatre pattes, devenu plus âgé, il se tient sur ses deux jambes et, lorsqu'il est vieillard, il s'appuie sur une canne pour pallier sa démarche hésitante, oscillante ». À ces mots, la Sphinge se jette de son rocher et meurt. Œdipe quant à lui peut retourner à Thèbes épouser la reine promise dont il ignore encore pour son malheur qu'elle est sa mère.

Samson, lui aussi, est en route pour un mariage mais il est accompagné de son père et de sa mère. Ils se rendent dans un village proche pour rencontrer la jeune fille qui lui est promise. Tout se passe pour le mieux jusqu'à ce que survienne un jeune lion rugissant. Pas de question comme la Sphinge ni de danger comme Héraclès avec le lion de Némée, Samson le déchire en deux purement et simplement comme s'il s'agissait d'un agneau. Si l'histoire d'Œdipe peut nous faire réfléchir sur la nature humaine, celle de Samson est bien terne par comparaison et l'on pourrait se demander pourquoi elle sert ici de préfiguration de la victoire du Christ sur le diable (vitrail n°64).

Ludolphe de Saxe fait du lion le symbole du mal, à la suite de l'apôtre Pierre qui dans sa première lettre aux Églises déclare « Veillez ! Votre adversaire le diable, comme un lion rugissant, rode, cherchant qui dévorer » (1 Pierre 5, 8). Jésus lui-même sur la croix, lorsqu'il demande à Dieu son père « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » il reprend le psaume 22 dans lequel le roi David demandait « Arrache-moi à la gueule du lion » (psaume 22, 22). Toute la spiritualité chrétienne médiévale reprendra ce thème du lion pour désigner le diable qui rode et assaille les fidèles au moment où ils s'y attendent le moins. Ludolphe de Saxe n'est pas un théologien ni un exégète des textes bibliques, c'est un moraliste qui cherche à donner des règles de vie à ses lecteurs. Par l'image de Samson et du jeune lion, ils les met en garde : « c'est justement quand tout va pour le mieux que la tentation peut surgir d'un instant à l'autre ». C'est ici toute la tradition ancestrale de la lutte du chrétien contre les tentations par lesquelles le diable cherche à le séduire.

Une résistance contre les peurs contemporaines

Pourtant le diable n'a-t-il pas été vaincu une fois pour toutes ? C'est bien ce sur quoi Ludolphe insiste lorsqu'il reprend le thème de ce lion déchiré comme rien. S'il faut être attentif, il ne faut pas non plus avoir peur ! Chaque chrétien, dans l'esprit de Ludolphe de Saxe, est, tel Samson, capable de déchirer chaque tentation qui se présente à lui. Il se situe résolument dans une tradition où le mal est extérieur à l'homme. Il existe certes, chacun peut s'en rendre compte et peut en subir les assauts. Mais, en même temps, chacun peut par la foi vaincre le mal dans toutes les circonstances et Ludolphe d'encourager ses lecteurs à résister dans les petites et les grandes épreuves dont il souligne l'éphémère et la vanité.

Il ne nie en aucune façon que nous ne soyons confrontés dans nos vies quotidiennes à cette réalité du mal. Que nous le subissions ou que nous en soyons le jouet ou l'acteur mais il nous invite à ne pas y céder, à ne pas se résoudre à la désespérance devant le désordre du monde et parfois le chaos de nos consciences qui ne savent plus que faire. À tous ceux qui disent « Je ne peux rien y faire, c'est plus fort que moi, c'est ma nature et je ne peux changer ce que je suis », notre auteur médiéval oppose la figure du jeune Samson plus fort que le lion rugissant de même que nous sommes plus forts que le mal qui nous accable. Si la foi ne nous change pas, ne nous rends pas meilleurs que nous ne le sommes naturellement, plus justes et plus aimants, elle ne sert de rien. L'histoire de Samson est une invitation à être conséquents avec nous-mêmes et à prendre l'évangile au sérieux en résistant au mal sur tous les chemins où nous le rencontrons.

Roland Kauffmann

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