Un vitrail par jour 62

8 mars 2021
Qu'est-ce que la foi ?

Daniel dans la fosse aux lions. Daniel est debout, les mains liées; six lions se précipitent sur lui, la gueule ouverte; mais le prophète Habacuc, nimbé de rouge, descend du ciel, en tenant dans un linge (par respect) une nourriture céleste. L'ange qui transporte Habacuc de Palestine en Babylonie n'est pas représenté. Le personnage à gauche n'est pas identifié.

Daniel 14, 29-32

29 Ils [les Babyloniens ] vinrent dire au roi [Cyrus] : « Livre-nous Daniel, sinon nous allons te tuer, toi et ta famille. » 30 Voyant qu’ils le menaçaient sérieusement, le roi fut contraint de leur livrer Daniel. 31 Ils le jetèrent dans la fosse aux lions, où il resta six jours. 32 Dans la fosse, il y avait sept lions, à qui l’on donnait chaque jour deux corps humains et deux moutons mais, pour qu’ils mangent Daniel, on ne leur donna rien. 33 Il y avait alors en Judée le prophète Habacuc. Il venait de faire cuire une bouillie et de mettre des petits morceaux de pain dans une corbeille, pour aller les porter aux moissonneurs dans les champs. 34 L’ange du Seigneur dit à Habacuc : « Le repas que tu tiens, porte-le à Babylone, à Daniel, dans la fosse aux lions. » 35 Habacuc dit : « Seigneur, je n’ai jamais vu Babylone et je ne connais pas la fosse. » 36 L’ange du Seigneur le saisit par le sommet de la tête, le porta par les cheveux et, dans la violence de son souffle, le déposa à Babylone au-dessus de la fosse. 37 Habacuc cria : « Daniel, Daniel, prends le repas que Dieu t’envoie ! » 38 Daniel dit alors : « Tu t’es souvenu de moi, mon Dieu ; tu n’abandonnes pas ceux qui t’aiment. » 39 Il se leva et mangea. L’ange de Dieu ramena aussitôt Habacuc à l’endroit d’où il venait. 40 Le septième jour, le roi vint pleurer Daniel. Il arriva à la fosse et regarda. Voici que Daniel s’y trouvait, assis. 41 Alors le roi s’écria d’une voix forte : « Tu es grand, Seigneur, Dieu de Daniel ! Il n’est pas d’autre Dieu que toi ! » 42 Puis il fit sortir Daniel de la fosse et y jeta ceux qui avaient voulu causer sa perte : ils furent aussitôt dévorés devant lui.

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Daniel est décidément un personnage extraordinaire. Non content d'avoir tué le dragon du dieu Bel et survécu à une première mise dans la fosse aux lions qui nous est relatée au chapitre 6, voilà qu'il est à nouveau jeté dans la fosse. La première fois, c'était avec le roi Darius, cette fois, c'est par son père Cyrus. Nous avons déjà dit toute l'invraisemblance des récits miraculeux de l'histoire de Daniel (cf. vitrail n°33) dont le livre qui porte son nom est une compilation mythologique. Le but en est de manifester la suprématie du Dieu d'Israël, l'Éternel, sur tous les autres dieux : « Mon Dieu est (toujours) plus fort que le tien ! ». Un message extraordinaire lorsqu'il est porté par un peuple opprimé et déporté parce qu'il supporte l'espérance d'une délivrance. Un message dévastateur quand il est porté par une puissance conquérante ou en expansion. Dans un cas, c'est l'espérance d'un rétablissement et d'un retour à une vie bonne, dans l'autre, c'est la certitude de la perte de l'identité et de la liberté.

Or le récit de la seconde mise à la fosse aux lions a précisément été écrit à l'époque hellénistique lorsque la Palestine est dominée par les Séleucides, héritiers de l'empire grec fondé par Alexandre le Grand, qui prétendaient imposer aux Israélites leur religion. Le récit de résistance et de fidélité de Daniel avait déjà servi une première fois d'encouragement pour les déportés à Babylone, il devait resservir lorsque la foi d'Israël était menacée à Jérusalem par les occupants.

Et Ludolphe de Saxe ne s'y trompe pas. C'est bien la fidélité de Daniel qui en fait le type précurseur de Jésus allant au séjour des morts chercher les saints et les prophètes, donc Daniel inclus, pour les amener auprès de Dieu. C'est la fidélité de Jésus qui est ainsi mise en valeur et illustrée par celle de Daniel et cette fidélité est encore soulignée par la présence étrange de cet autre prophète, très méconnu, Habacuc. Celui-ci est cependant extrêmement important pour la piété tant juive que chrétienne, précisément parce qu'il est associé intimement à la notion de fidélité, comme moyen de salut du peuple au moment de l'oppression : c'est en étant fidèle à son Dieu qu'Israël sera délivré. Il est notamment l'auteur d'une phrase qui connaîtra un immense succès dans l'histoire théologique : « le juste vivra par sa foi » (Habacuc 2, 4), formule qui sera reprise par l'apôtre Paul (Romains 1, 15-17, « le juste vivra par la foi) et sera l'exergue du Commentaire de l'épitre des Romains de Martin Luther dans ses cours de 1515-1516, juste avant la Réforme. C'est là qu'est déjà exposé l'essentiel de la doctrine luthérienne d'un salut impossible à l'homme, ne pouvant se faire que par l'intervention divine. La primauté absolue du don divin est au cœur de la pensée de Martin Luther et du protestantisme comme elle l'était originellement dans l'Église.

Une fidélité pour aujourd'hui

Définir ce qu'est la foi est évidemment toute la question de la théologie depuis la sortie d'Égypte et le don de la Loi sur le mont Sinaï. Notons simplement qu'en hébreu, le terme ’emuwnah (אֱמוּנָה,) devient pisteos (πίστεώς) en grec puis fide en latin. Ce qui était à l'origine un système d'observance, de fidélité à la loi, devient un système de croyance, de fidélité à un message. Et toute la complexité de la théologie se trouve dans cet écart entre l'observance qui est de l'ordre de l'obéissance et la croyance qui est de l'ordre de l'inspiration. Il est vrai que la « foi/fidélité » peut facilement se dégrader en soumission aveugle ou en superstition voire en crédulité mais la foi que nous confessons aujourd'hui en Église est aussi de l'ordre de la confiance. Celle qui peut nous encourager à ne pas désespérer lorsque nous sommes, comme Daniel, environnés de toutes parts par « sept lions », quelque soient les noms que nous donnons à ces lions.

La fidélité/foi de Daniel est aussi de rester fidèle à ce qu'il est, à ses principes et à ses choix, c'est celà rester fidèle à son Dieu. Au lieu de se soumettre à l'ordre religieux qui prétend s'imposer à lui avec la force d'un roi faible devant les intégristes babyloniens, Daniel ne renonce pas à cette parole et à cet esprit qui le nourrissent plus que ne sauraient le faire les pains de la terre. À moins d'être prêts à nous laisser dévorer par les adversaires de l'humanisme des Lumières, c'est à nous de nous nourrir aujourd'hui en cultivant l'intelligence de la foi par une lecture attentive et réfléchie de notre héritage biblique et culturel.

Roland Kauffmann

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