Un vitrail par jour 59

5 mars 2021

La réalité de la vie

L'ensevelissement du Christ. À la tête et aux pieds du Christ, dans son linceul blanc, sont Joseph d'Arimathée et Nicodème. La vierge, penchée sur le cadavre, l'embrasse sur le visage. Derrière elle, Marie-Madeleine, tenant un vase de myrrhe, et Jean, le disciple que Jésus aimait, tenant un livre dans la main gauche. Marie, Marie-Madeleine et Jean sont nimbés tandis que Joseph et Nicodème sont coiffés.

Sous ce vitrail est incluse la formule de dédicace des donateurs ayant permis la restauration en 1904, les noms de certains d'entre eux seront mentionnés sous les prochains vitraux mais l'ensemble de l'opération est dédiée aux « CIVITUS MULHUSIANIS AD PRISTINAM DIGNITATEM » (En l'honneur des citoyens mulhousiens).

Les panneaux de cette série sont des rectangles en forme de portail gothique. Sur des colonnettes reposent des ogives équilatérales, ornées de chaque côté de quatre crochets gothiques, représentant des feuilles stylisées. Dans les coins formés par les arcs des ogives, il y a de petites fenêtres gothiques, rouges sur fond bleu pour les panneaux du milieu, bleues sur fond rouge pour les autres.

Jean 19, 38-42

38 Après cela, Joseph d’Arimathée, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate la permission de prendre le corps de Jésus. Et Pilate le lui permit. Il vint donc, et prit le corps de Jésus. 39 Nicodème, qui auparavant était allé de nuit vers Jésus, vint aussi, apportant un mélange d’environ cent livres de myrrhe et d’aloès. 40 Ils prirent donc le corps de Jésus, et l’enveloppèrent de bandes, avec les aromates, comme c’est la coutume d’ensevelir chez les Juifs. 41 Or, il y avait un jardin dans le lieu où Jésus avait été crucifié, et dans le jardin un sépulcre neuf, où personne encore n’avait été mis. 42 Ce fut là qu’ils déposèrent Jésus, à cause de la préparation des Juifs, parce que le sépulcre était proche.

Il est mort ! Il est vraiment mort ! Les disciples de Jésus et sa famille sont obligés d'en convenir lorsque la dépouille leur est rendue sur la demande de ce Joseph, riche propriétaire terrien du village d'Arimathée et membre du Sanhédrin, l'assemblée législative de Jérusalem. Toutes proportions gardées, c'est un peu comme si durant la seconde guerre mondiale un député français allait demander au gouverneur militaire allemand le corps d'un résistant pour l'ensevelir dans son tombeau familial. Le risque personnel que court Joseph d'Arimathée est de cet ordre. Nicodème, quant à lui, est un pharisien, membre de cette école de pensée, concurrente de l'école fondée par le jeune rabbin de Nazareth et sa présence au tombeau, fournissant même les aromates rituels, est particulièrement symbolique. En effet, il fut l'un des premiers interlocuteurs de Jésus selon l'évangile de Jean qui raconte l'entretien au cours duquel Jésus avait pour la première fois, parlé de la nécessité de « naître de nouveau » (Jean 3, 1-21).

La nouvelle naissance dont il était question lors de cet entretien était une naissance spirituelle. À la vie de chair et de sang, préoccupée des choses matérielles de ce monde devait succéder une vie selon l'esprit, attachée aux choses célestes et éternelles. La conversion d'un mode de vie à un autre devant être le reflet de la conversion à une autre conception théologique où l'accent n'était plus mis sur l'obéissance rituelle et magique mais sur une adhésion profonde du cœur de l'homme. Cette dimension d'une vie nouvelle, nourrie par l'Esprit, permettant d'appliquer la loi de Moïse selon l'Esprit plutôt que selon la lettre est centrale dans la théologie développée par l'évangile de Jean.

C'est donc tout naturellement que l'artisan verrier représente ce dernier au tombeau alors même que ni le texte de l'évangile ni le Speculum Humanae Salvationis ne le mentionne, ni Marie-Madeleine d'ailleurs. Nous avons là un exemple de la liberté d'initiative de l'artiste par rapport à son support textuel. Peut-être aura-t-il bien compris la signification de cette autre parole de Jésus « Si le grain ne meurt il ne peut porter du fruit » (Jean 12, 24-25). On peut aussi supposer avec prudence faute de documentation sérieuse, que l'atelier en charge de ces deux fenêtres de vitraux à ogives, est d'une autre orientation théologique que les précédents. Nous avons vu en effet, que les références évangéliques des deux autres ateliers (fenêtres 1 à 3 et 4 à 5) étaient principalement les évangiles de Matthieu et de Luc. La référence à Jean n'est pas anodine dans le contexte de la fin du Moyen Âge où l'évangile de Jean, en raison de son caractère gnostique, c'est-à-dire spiritualiste, est souvent délaissé au profit des autres évangiles, plus propices à l'institutionnalisation de l'Église en tant que garante du bon ordre de la société.

Il n'y a pas de vie qui ne meure

Il n'en reste pas moins que Jésus est mort et le texte du Speculum insiste à nouveau lourdement sur la tristesse de la vierge, en en faisant un modèle du déchirement qui devrait saisir le cœur de tout homme devant la mort de cet homme juste. La sobriété du vitrail, nous montrant la simple dignité d'un enterrement, est plus poignante et réaliste que toutes les manifestations surnaturelles dont Ludolphe de Saxe sature sa démonstration.

Pour toute la théologie médiévale, il était fondamental que Jésus, pour que son œuvre de salut soit efficace, soit à la fois « vrai Dieu et vrai homme ». Cette définition de la double nature du Christ, dont découlent ensuite toutes les conséquences pour la théologie des sacrements et de l'Église, est la base de l'orthodoxie chrétienne occidentale depuis le Concile de Chalcédoine en l'an 451 de notre ère affirmant que les deux natures du Christ sont liées « de manière indivise et sans mélange ». Mais pour être vrai homme il lui fallait partager l'expérience humaine fondamentale qu'est la brièveté de la vie, le simple fait qu'elle s'inscrive dans la durée, entre un début et une fin.

Pour que Jésus ait vraiment eu une vie d'homme il fallait qu'il meure sinon il n'aurait jamais été qu'un être divin errant parmi les hommes car l'homme est, par définition, celui qui meurt et sait qu'il va mourir.

Cette mort de Dieu est l'une des ruptures essentielles du christianisme parmi toutes les représentations religieuses de l'humanité. Elle ne signifie rien de moins que le comblement de l'absolue distance entre le divin et l'humain : le divin faisant l'expérience de l'humanité dans ce qu'elle a de plus tragique et de plus universel. Cette proximité de Dieu venant à l'homme alors que l'homme ne peut aller vers Dieu formera la trame de la pensée de l'apôtre Paul forgeant la notion de l'inconditionnalité du salut par la grâce sur cette initiative divine de l'abaissement jusqu'à la mort.

Roland Kauffmann

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