Un vitrail par jour 60

6 mars 2021

Apprendre à mourir

David aux funérailles d'Abner. Quatre hommes portent le cercueil couvert d'un linge, David, couronné, les suit les mains jointes.

Sont mentionnés sous le vitrail les noms de Mieg et Koechlin comme donateurs de la restauration générale de 1904.

2 Samuel 3, 30-38

30 Ainsi Joab et Abischaï, son frère, tuèrent Abner, parce qu’il avait donné la mort à Asaël, leur frère, à Gabaon, dans la bataille. 31 David dit à Joab et à tout le peuple qui était avec lui : Déchirez vos vêtements, ceignez-vous de sacs, et pleurez devant Abner ! Et le roi David marcha derrière le cercueil. 32 On enterra Abner à Hébron. Le roi éleva la voix et pleura sur le sépulcre d’Abner, et tout le peuple pleura. 33 Le roi fit une complainte sur Abner, et dit : Abner devait-il mourir comme meurt un criminel ? 34 Tu n’avais ni les mains liées, ni les pieds dans les chaînes ! Tu es tombé comme on tombe devant des méchants. 35 Et tout le peuple pleura de nouveau sur Abner. Tout le peuple s’approcha de David pour lui faire prendre quelque nourriture, pendant qu’il était encore jour ; mais David jura, en disant : Que Dieu me traite dans toute sa rigueur, si je goûte du pain ou quoi que ce soit avant le coucher du soleil ! 36 Cela fut connu et approuvé de tout le peuple, qui trouva bon tout ce qu’avait fait le roi. 37 Tout le peuple et tout Israël comprirent en ce jour que ce n’était pas par ordre du roi qu’Abner, fils de Ner, avait été tué. 38 Le roi dit à ses serviteurs : Ne savez-vous pas qu’un chef, qu’un grand homme, est tombé aujourd’hui en Israël ?

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. » Ainsi commence L'Étranger d'Albert Camus et le protagoniste du roman éprouve des sentiments bien éloignés de ceux que le récit biblique nous relate du roi David apprenant la mort de son nouvel allié, Abner. Si l'expérience de la mort est la plus personnelle qui soit, celle qui signe la plus parfaitement la conscience de notre humanité, le deuil qui lui est corrélé fait aussi partie de notre humanité.

Il faut en effet distinguer la mort du deuil. La mort concerne la personne, c'est une évidence. Le deuil met en jeu les proches, la famille et les amis. Le deuil c'est ce que j'éprouve suite à la perte d'une personne aimée ou importante. Et il peut arriver que le deuil éprouve plus fortement ceux qui restent que ceux qui meurent. Ces derniers peuvent s'être préparé à l'évènement de leur propre mort tandis que les proches ont pu connaître le déni ou cultiver l'espérance d'un rétablissement. La manière dont nous vivons le deuil est sans doute l'une des façons de mieux nous connaître, d'autant qu'à l'inverse de la mort par essence unique et définitif, le deuil est une expérience qui se renouvelle et dont nous pouvons apprendre pour mieux appréhender l'existence.

Le contexte de la mort de Abner est celui de la difficile conquête du royaume d'Israël par David, fait d'alliances et de contre alliances. Abner s'allie avec David mais succombe sous les coups de ses rivaux dont il a tué un frère sur le champ de bataille. La tristesse de David est bien sûr sincère et personnelle mais elle est motivée également par le souci de ne pas être accusé d'avoir trahi celui qui venait de se rallier. C'est la fidélité de David qui est le point important puisque c'est d'elle que dépendra la loyauté qu'il sera en droit d'attendre de ces fidèles. Si le Roi n'est pas exemplaire en loyauté, comment l'attendre des sujets ? Celui qui est garant de la justice doit agir conformément à celle-ci, celui qui détient la puissance doit viser à la vertu.

Ce grand principe politique exposé par le récit biblique renvoie néanmoins avant tout à l'expérience que nous faisons du deuil et à sa dimension sociale. C'est l'occasion d'inscrire le défunt dans une histoire qui le dépasse. Une cérémonie d'enterrement est toujours un récit, une manière d'inscrire la vie de la personne décédée dans une trame personnelle, dans une histoire familiale et dans une communauté de vie ou de destins. Ce sont nos propres conceptions de la vie et de la mort que nous mettons en jeu, en paroles et en actes, dans les différents moment du deuil. Parce qu'aucun d'entre nous, ni le pasteur ni ceux qui restent, ne peuvent dire avec certitude de quoi la mort est la fin parce qu'on ne peut ramasser toute une existence dans un seul moment et, de même, que nul ne peut dire vers quoi elle est le passage, le deuil est fondamentalement le temps de la foi et surtout de sa mise en question.

La consolation attendue

Au tombeau d'Abner, nulle référence à un quelconque au-delà parce que les hébreux ne croyaient pas en une survivance de l'âme ni en une continuation de l'existence au paradis ou en enfer. Au tombeau de Jésus, aucune mention non plus d'une quelconque espérance alors même que Jésus avait annoncé sa résurrection. Nulle joie dans l'attente d'une résurrection prochaine. C'est à la tombe que l'on rencontre la vérité. Vérité subjective des sentiments que l'on a avait réellement pour le défunt. Vérité personnelle de la conception du monde que l'on a. Vérité de la douleur et de la tristesse d'avoir perdu un être cher, vérité de David et de ceux qui ensevelissent Jésus.

Le deuil est une réalité foncièrement sociale, dont les ritualités ont été extrêmement codifiées au cours des siècles pour répondre au besoin fondamental des vivants, celui de consolation. Déjà, Sénèque, le grand philosophe stoïcien, dans sa Consolation à Marcia insistait sur l'importance d'apprendre à mourir comme étant la meilleure consolation qui soit. Principe dont Montaigne fera la règle de l'éthique. Apprendre à mourir étant d'abord vivre une vie bonne, faite de relations vraies, de liberté, d'amour, de solidarités et d'humanité.

Alors la tristesse de la perte peut être consolée par la joie de ce que l'on a pu vivre avec le défunt. Chaque deuil que nous éprouvons est ainsi l'occasion d'une transmission et du tissage de liens nouveaux au sein de la communauté endeuillée, qu'il s'agisse de David ou ses sujets, de Marie, Marie-Madeleine Joseph d'Arimathée, Nicodème ou Jean. Si ce dernier est le seul des évangélistes à relater l'entretien de Jésus et Nicodème, nul doute que c'est en raison de la relation privilégiée entre eux, née de l'expérience commune du deuil partagé. Le deuil est ainsi un apprentissage de la vie que nous pouvons faire à chaque fois que nous y sommes confrontés.

Roland Kauffmann

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