Un vitrail par jour 53

27 février 2021 Aimer ses ennemis

Le couronnement d'épines : XPC [Christus] DOMINUS EST SPINIS CORANATUS. Le Christ, nimbé d'une croix et assis entre deux bourreaux. La façon dont ceux-ci s'y prennent pour faire pénétrer dans la tête du Christ les épines de la couronne, se retrouve dans toutes les anciennes représentations: ils pèsent de toutes leurs forces sur la couronne au moyen d'une perche dont ils tiennent chacun un bout.

Matthieu 21, 27-31

27 Les soldats du gouverneur conduisirent Jésus dans le prétoire, et ils assemblèrent autour de lui toute la cohorte. 28 Ils lui ôtèrent ses vêtements, et le couvrirent d’un manteau écarlate. 29 Ils tressèrent une couronne d’épines, qu’ils posèrent sur sa tête, et ils lui mirent un roseau dans la main droite ; puis, s’agenouillant devant lui, ils le raillaient, en disant : Salut, roi des Juifs ! 30 Et ils crachaient contre lui, prenaient le roseau, et frappaient sur sa tête. 31 Après s’être ainsi moqués de lui, ils lui ôtèrent le manteau, lui remirent ses vêtements, et l’emmenèrent pour le crucifier.

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Nouvelle étape de la déchéance du Christ, comme s'il ne suffisait pas de l'avoir humilié par les crachats et les coups, encore faut-il le couvrir des oripeaux de la royauté qu'il est accusé d'avoir revendiquée. Un manteau écarlate en guise de manteau royal, un roseau en guise de sceptre et des épines en lieu et place de la couronne d'or. Une couronne d'épines devenue au cours des siècles le signe distinctif permettant de distinguer le Christ dans les tableaux et qui orne les innombrables crucifix dans les campagnes européennes, les cours de justice voire les hémicycles parlementaires alsaciens.

Si cet objet a tant marqué l'imagination, c'est sans nul doute en raison de sa fonction parodique. Au lieu de l'hommage qu'il mériterait pour sa vertu et la force de son message, Jésus ne reçoit que souffrances et douleurs. En effet, la moquerie parodique est encore renforcée par la cruauté prêtée aux soldats de Pilate et sur laquelle insistent tant notre auteur médiéval et l'artisan verrier. Le dispositif imaginé pour enfoncer les épines dans la tête de Jésus flatte les instincts morbides et permet d'accentuer encore le caractère terrible de l'évènement de la Passion et par un effet de miroir, de mettre en avant la bonté du Christ qui, alors qu'il aurait pu réagir et se sauver n'en a pas moins continué à aimer ses ennemis plus que lui même.

Ludolphe de Saxe utilise le contraste entre les souffrances subies et la magnanimité du Christ pour en faire le modèle de la vie chrétienne et tout en flattant les bas instincts antisémites de ses lecteurs n'en érige pas moins le Christ en exemple de douceur et de bonté et encourager celui qui veut le suivre à faire preuve de la même douceur et du même amour des ennemis. Le Speculum Humanae Salvationis n'est pas un livre de théologie visant à exposer une doctrine, ses lacunes sont trop nombreuses pour cela, mais un livre de piété visant à montrer la voie droite pour un public laïc, non encadré par les règles d'un ordre monastique ou d'une vie conventuelle.

La pédagogie par l'exemple imagé

Et c'est d'ailleurs, là un de ses principaux intérêts. C'est un extraordinaire document pour comprendre comme une société à une époque donnée, celle de la fin du Moyen Âge, était éduquée. Il nous montre comment les doctrines étaient diffusées à partir d'un référentiel commun où chaque pédagogue pouvait puiser au gré de son inspiration tout en suivant l'ordre chronologique de l'évènement. À ce titre les vitraux du temple Saint-Étienne constituent en soi un document inestimable pour comprendre la représentation du monde et la représentation d'elle-même que se donnait cette société. L'intention n'est pas dogmatique mais elle vise à un perfectionnement de la société par le biais du perfectionnement moral de tout un chacun.

Les vitraux du temple sont un vecteur de cette volonté de perfectionnement. On dirait aujourd'hui un « média », c'est-à-dire qu'ils sont un moyen de diffusion à un public non lecteur de la connaissance pieuse acquise par le public lettré. Ce que raconte l'auteur est illustré par l'artisan verrier et la force de l'image est sans aucun doute plus forte que l'imagination du lecteur.

Pour une monde qui, à l'inverse du nôtre, n'est pas saturé d'image, les vitraux des églises médiévales sont la seule fenêtre ouverte sur le monde de l'imaginaire et devaient profondément marquer les esprits. Tout simplement parce qu'ils sont la seule distraction offerte au regard. L'effet de beauté, accentué par le passage de la lumière révélant les scènes, devait être absolument extraordinaire. Et malgré toutes les réserves que l'on peut faire sur les conceptions théologiques, tant de l'auteur que de l'artisan verrier, il faut reconnaître la modernité de l'intention pédagogique.

En effet, nos vitraux se distinguent par l'absence quasi totale de toute représentation de saints ou d'augustes personnages. Ce ne sont pas les actes héroïques de la vie des saints qui sont donnés en exemple mais bien les faits et gestes de la vie de Jésus et cela suffit à faire de notre cycle de verrières du temple Saint-Étienne de Mulhouse un objet historique tout à fait exceptionnel en dehors même de la beauté formelle des vitraux, en tant qu'ils constituent un document essentiel pour l'histoire culturelle, non seulement de cette période médiévale mais de notre société contemporaine. En effet, les représentations médiévales, et la couronne d'épines en est l'exemple parfait, perdurent jusqu'à nos jours, même si une certaine part du grand public n'en partage plus les codes.

Roland Kauffmann

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