Un vitrail par jour 52

26 février 2021 À quoi sert-il à un homme de gagner le monde ?

Job est tourmenté par sa femme et flagellé par le démon : JOB FLAGELLATUR A SATANA. Job, assis nu sur un tas de fumier, est flagellé par sa femme et par Satan.

Job 2, 1-10

1 Or, les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant l’Éternel, et Satan vint aussi au milieu d’eux se présenter devant l’Éternel. 2 L’Éternel dit à Satan : D’où viens-tu ? Et Satan répondit à l’Éternel : De parcourir la terre et de m’y promener. 3 L’Éternel dit à Satan : As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’y a personne comme lui sur la terre ; c’est un homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal. Il demeure ferme dans son intégrité, et tu m’excites à le perdre sans motif. 4 Et Satan répondit à l’Éternel : Peau pour peau ! Tout ce que possède un homme, il le donne pour sa vie. 5 Mais étends ta main, touche à ses os et à sa chair, et je suis sûr qu’il te maudit en face. 6 L’Éternel dit à Satan : Voici, je te le livre : seulement, épargne sa vie. 7 Et Satan se retira de devant la face de l’Éternel. Puis il frappa Job d’un ulcère malin, depuis la plante du pied jusqu’au sommet de la tête. 8 Et Job prit un tesson pour se gratter et s’assit sur la cendre. 9 Sa femme lui dit : Tu demeures ferme dans ton intégrité ! Maudis Dieu, et meurs ! 10 Mais Job lui répondit : Tu parles comme une femme insensée. Quoi ! Nous recevons de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal ! En tout cela Job ne pécha point par ses lèvres. 

-------------------------------------------------------------------------

Contrairement à Lamech/Lémec, Job est un des personnages les plus connus de la Bible par le grand public. Sa pauvreté et sa misère, ses ulcères, son tesson de bouteille et son tas de fumier sont légendaires. « Pauvre comme Job » est une locution bien connue pour désigner un extrême dénuement. Et c'est tout naturellement qu'il est vu par notre auteur médiéval comme une préfiguration du dénuement du Christ dans ses souffrances. Les souffrances de Job/Jésus sont à la fois physiques, c'est le diable qui tourmente son corps, et spirituelles, c'est la femme de Job qui le raille pour sa volonté d'intégrité morale.

Il faut reconnaître qu'elle parle avec sagesse et dit en substance à son époux : « puisque tout le bien et tout le mal viennent de Dieu, et qu'il t'inflige tant de mal, il ne sert à rien de vivre, Maudis Dieu et meurs ! ». Peut-on imaginer un constat plus brutal et une plus grande violence que de se sentir désavoué et méprisé par la personne aimée ? Et Ludolphe cette fois, ne s'y trompe pas qui place les souffrances morales infligées par l'épouse au-dessus des souffrances physique infligées par le diable. Il faut se souvenir qu'avant cela Job a déjà perdu tous ses biens, ses troupeaux et ses enfants…, à la place de Job, nul doute que nous aurions depuis longtemps abandonné tout espoir et souhaité la mort en maudissant le ciel.

Le livre de Job est une pièce de théâtre et c'est sans doute l'un des textes bibliques les plus anciens qui soient parvenus jusqu'à nous. Le drame qui se joue est tout entier dans le procès de Job que viendront faire ses amis bien intentionnés. Ignorant les termes du pari de Dieu et du diable, les amis de Job se disent qu'il « n'y a pas de fumée sans feu » et que « Si Dieu a décidé de punir Job, c'est qu'il y a bien une raison ». Les personnages secondaires de la pièce sont comme nous, dans leurs petits calculs de responsabilité partagée et de balance des fautes et des sanctions. Dans un souci d'équité, il faut que les choses restent dans l'ordre, leur Dieu ne peut être injuste et Job doit bien être coupable de quelque chose.

Pourtant, tout le motif de la pièce sera justement de démontrer qu'il n'y a pas de raisons à la souffrance. De même que les rescapés de la Shoah se sont longtemps demandé « pourquoi ? » jusqu'à comprendre que les camps de la mort étaient justement les lieux « où il n'y a pas de pourquoi », ainsi Job plus que l'archétype du pauvre est d'abord celui de l'innocent. Simple jouet dans l'absurde des puissances, l'auteur de la pièce en a fait l'exemple de la condition humaine dans une intensité dramatique qui annonce Shakespeare et son Roi Lear.

S'il perd son âme ?

À l'inverse du Faust de Goethe qu'il a pourtant largement inspiré, Job ne pactise pas avec le diable qu'il ne rencontre pas. Il n'aurait rien à gagner à une alliance avec le diable, même pas un retour à la prospérité. Maudire Dieu ne lui servirait à rien, même pas pour un semblant de bonheur éphémère. Il ne peut même pas vendre son âme à Méphistophélès, Job est perdant sur tous les tableaux. C'est pourquoi, dans un ultime sursaut de dignité et de conscience de son droit, il en appelle directement à Dieu, refusant « quoi qu'il en coûte » qu'il n'y ait pas de pourquoi : même si tout est perdu, qu'il reste au moins l'honneur de rester fidèle à ses convictions, fidèle à ce qu'il est et a voulu être. Et Goethe, dans le même temps où il montre la fragilité de Faust souligne que Dieu, s'il accepte le pari que lui propose Satan, sait déjà que Job ne faillira pas. La confiance de Dieu en Job est plus forte encore que celle de Job en Dieu.

C'est de « l'homme debout » que Job est l'image ; de celui qui ne renonce pas et qui, à tous ceux qui rétorquent « il l'a bien cherché », répond inlassablement que l'injustice ne lui est pas faite par Dieu mais bien par ses accusateurs faisant porter à la victime la faute de son infortune. Il est l'exemple de ceux qui ne trouvent pas d'excuses aux assassins et aux violents mais les révèlent pour ce qu'ils sont : de vulgaires ombres au service d'une illusion.

Roland Kauffmann

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire